Colombie : La fin de la guerre ou la guerre sans fin

Dans le contexte des négociations de paix entre le gouvernement et les FARC, le premier tour des élections présidentielles a été gagné par le candidat de l’opposition, favorable à la prolongation de la guerre. Interdit de se représenter par la Constitution, Álvaro Uribe a choisi son ancien ministre de l’Économie, Oscar Ivan Zuluaga, pour affronter le président sortant, Juan Manuel Santos. Les sondages donnent les deux candidats au coude-à-coude au second tour, le 15 juin prochain !

Depuis 2012, le gouvernement du président Juan Manuel Santos et les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) négocient des accords de paix devant mettre fin à plus de 50 ans de guerre civile. La guerre ou la paix sont maintenant les enjeux et  l’alternative donnée aux électeurs après le premier tour des élections présidentielles du 25 mai gagnées par le parti favorable à la prolongation de la guerre…

Les historiens s’accordent à considérer que les prémisses de cette guerre de 50 ans datent de l’assassinat du candidat présidentiel du Parti Libéral (centre gauche) Jorge Eliécer Gaitán le 9 avril 1948. Gaitán tentant de mobiliser les classes populaires rurales contre les oligarchies terriennes, c’est le début d’une guerre civile qui dure jusqu’en 1953 et fait plus de 250.000 morts, surtout des petits paysans. En 1964, le Parti communiste rassemble ces comités donnant naissance aux FARC dont la principale revendication est la lutte pour la terre face aux les oligarchies terriennes qui annexent volontiers les terres des petits paysans et des indiens. Leurs ressources proviennent de « l’impôt de guerre » prélevé sur les entreprises dont le chiffre d’affaire dépasse le million de dollars, sur la culture de la feuille de coca, sur la production de la pâte base de la cocaïne et, plus tard, sur l’enlèvement pour rançon. En 1990, les FARC s’affranchissement du PC et deviennent complètement autonomes.

De leur côté, divers groupes paramilitaires s’unissent en Autodéfenses unies de Colombie (AUC) et frappent durement les FARC. On estime le nombre de victimes de ce conflit de presque un demi-siècle à 600.000 décès, 15.000 disparus et 4 millions de réfugiés internes. L’élection du président Álvaro Uribe en 2002 (réélu en 2006)  marque un tournant. Représentant les oligarchies terriennes, son programme de « sécurité démocratique » signifie une guerre frontale visant une victoire militaire totale sur la guérilla. Juan Manuel Santos, son ministre de la Défense assène de graves revers aux FARC. Uribe ne pouvant se représenter pour un troisième mandat, il soutient la candidature de Santos qui gagne les élections de 2010.

Le tournant Santos

Une fois président, Santos réalise  qu’aucun des deux camps ne pourra jamais gagner la guerre. De leur côté, les FARC, affectées par les coups assénés par l’armée colombienne et la mort de plusieurs chefs historiques, font la même analyse : elles ne pourront jamais gagner la guerre non plus. En  février 2012,  les deux Parties se mettent d’accord pour établir une Table de dialogue (Mesa de Diálogo) en vue d’une négociation d’un « Accord général pour la fin du conflit et la construction d’une paix stable et durable » pour mettre fin à la guerre.

Les discussions préliminaires ont lieu à Oslo en Norvège en août 2012 et les négociations ont lieu à La Havane, Cuba. La Norvège et Cuba deviennent les « garants » des discussions, le Venezuela et le Chili acceptent « d’accompagner » les négociateurs en envoyant des observateurs.

Les négociations portent sur six grands thèmes (1) :

  1. Développement rural : accès et propriété de la terre ;
  2. Participation des FARC à la vie politique et garanties de sécurité pour les anciens guérilleros ;
  3. Justice transitionnelle pour les crimes commis par la guérilla, les paramilitaires et l’armée ;
  4. Le problème de la drogue : programmes de substitution des cultures à usage illicite avec la  participation des communautés ;
  5. Droits des victimes : droits humains et vérité ;
  6. Quel mécanisme pour un accord national populaire.

Déjà trois accords on été  signés.

Point 1 : propriété de la terre

La réforme agraire est une des revendications historiques et fondamentales des FARC qui réclament l’accès à la terre pour les petits paysans pauvres ou sans terre. Le 16 mai 2013, l’accord, intitulé « Vers une nouvelle campagne colombienne : réforme rurale intégrale », est signé. Les deux Parties émettent un communiqué de presse :

“Ce que nous avons accordé dans cet accord est le début d’une transformation radicale de la réalité agraire de la Colombie, avec fair-play et démocratie. Elle est centrée sur le peuple, les petits producteurs, la distribution de la terre, la lutte contre la pauvreté. Il est créé un Fonds des terres pour la Paix pour rendre leurs terres aux personnes qui en ont été dépossédées  ou qui ont été forcées à les quitter”.

Point 2 : Participation des FARC à la vie politique

Les FARC se souviennent que, dans les années 90, suite à des accords de fin de guerre, elles avaient, avec la guérilla du M-19, formé une entité politique, l’Union Patriotique, devant leur permettre de rentrer dans le jeu politique démocratique. L’UP avait gagné de nombreux sièges au Parlement. Mais les paramilitaires et des escadrons de la mort issus de la police et de l’armée avaient assassiné plus de 3.000 militants de l’UP dont deux candidats présidentiels ! Il était donc compréhensible que les FARC demandent des garanties pour la sécurité de ceux qui s’engageront dans des partis politiques issus de  la guérilla. Le président Santos reconnait que, pour lui, un parti de gauche est tout à fait acceptable : “Je m’imagine très bien les représentants des FARC assis au Congrès… Je leur dis de continuer à lutter pour leurs idéaux mais par les voies démocratiques”.

Point 3 : Solution au problème des drogues illicites

Le 16 mai 2014, le gouvernement et les FARC annoncent la signature de l’accord numéro 4 sur la drogue. Les Parties ont convenu une nouvelle politique d’éradication des cultures illicites et la mise en marche d’une stratégie anti-blanchiment d’argent sale et de localisation des narcotrafiquants. Il faut rappeler que la Colombie et le Pérou sont les principaux producteurs de cocaïne : 309 tonnes sur 48.000 hectares semés en 2012 selon des données fournies par l’ONU.

Les FARC se sont engagées « dans un scenario de fin de conflit » à mettre fin à « toute relation » avec le narcotrafic. Mais elles exigent que des programmes de substitution des cultures à usage illicite soient mis sur pied avec la  participation des communautés, car ce sont en général des petits paysans pauvres qui cultivent la feuille de coca. La signature de cet accord pousse le président Santos à faire ouvertement appel aux électeurs pour qu’ils votent pour lui : « Nous sommes proches, très proches d’obtenir la paix… Je vous demande de me donner le mandat de persévérer dans la recherche de la paix… »

Une fin de campagne présidentielle tumultueuse

La campagne pour les élections présidentielles du 25 mai 2014 fut secouée  par une série de scandales. Cinq candidats s’affrontaient : le président Juan Manuel Santos du Parti de la U (pour l’Unité nationale, centre droite) pour un nouveau mandat. Oscar Iván Zuluaga du parti Centre démocratique (CD, droite), soutenu par l’uribisme du nom du plus farouche opposant aux négociations de paix, l’ancien président Álvaro Uribe. Enrique Peñalosa de l’Alliance Verte (centre gauche). Clara López représentant une alliance Pôle démocratique et Union Patriotique (gauche), et Marta Ramírez, une ancienne ministre de la Défense et du Commerce extérieur, pour le Parti conservateur (droite).

À quelques jours du scrutin, les deux principaux partis sont secoués par un scandale. Un conseiller du président Santos aurait reçu 12 millions de dollars de la mafia pour organiser la reddition « tranquille » de chefs narcos. Il nie mais démissionne. Puis la police découvre une officine d’écoutes clandestines qui aurait espionné les membres des deux parties en négociation de paix à Cuba, et même capté des courriels du président Santos. Le cerveau derrière cette opération n’était autre que Andrés Sepúlveda, le communiquant principal du candidat Zuluaga ! Le but avoué de l’opération : faire échouer les négociations de paix…

Un premier tour plein de surprises

Le scrutin du 25 mai apporte son lot de surprises. La première : le gagnant du premier tour est Oscar Iván Zuluaga avec 29 % des voix, devant le président Santos, 25 %. Il est clair que les scandales n’ont eu que peu d’impact sur les électeurs. Les autres surprises, à part une abstention record de 60 %, sont les bons résultats du Parti conservateur de Marta Ramírez et du Pôle démocratique de Clara López, 15 % chacune alors que les sondages leur octroyaient moins de 10 % ; la déception est dans le camp de l’Alliance verte : 8 %.

Il y aura donc un deuxième tour le 15 juin, avec un résultat des plus incertains. Le Pôle démocratique et l’Alliance verte soutiendront vraisemblablement Santos qui obtiendrait environ 45 % des voix. Le Parti conservateur soutiendra vraisemblablement  Zuluaga ce qui lui donnera aussi environ 45 % .

Les négociations à Cuba sont pour ainsi dire le seul thème en débat pour le second tour. Pour le challenger Zuluaga, “La paix, oui, mais qu’elle ne bénéficie qu’au peuple”. Il accuse Santos de “laisser la guérilla vouloir commander le pays depuis La Havane”. De son côté, le président-candidat insiste : « Plutôt que peur, guerre et passé, nous offrons espoir, paix et futur. À vous de choisir : la fin de la guerre ou la guerre sans fin”. Le sort des négociations de paix et le futur du pays reposent donc dans les mains des indécis et des abstentionnistes le 15 juin prochain.

Jac FORTON

(1)Pour une analyse en profondeur des divers points des accords de paix en discussion, lire l’article détaillé publié dans l’édition « Été 2014 » de la revue Espaces latinos.

Pour en savoir plus, lire: www.legrandsoir.info