Objets perdus de Katia Suárez : un roman touchant sur la quête de soi aux éditions Métailié 

Katia Suárez est née en 1969 à La Havane, à Cuba. Ingénieure en électronique de formation, la lecture et la littérature l’ont toujours accompagnée. Après avoir publié sa première nouvelle en 1994 dans la revue cubaine Revolución y Cultura, Katia Suárez se lance dans l’écriture de son premier roman en 1996, année au cours de laquelle elle voyage pour la première fois en Europe. Deux ans plus tard, elle s’installe à Rome, puis, en 2003, à Paris. Elle vit désormais à Lisbonne, où elle se consacre à la littérature. Leonardo Padura la décrit, au même titre que Wendy Guerra et Ena Lucía Portela, comme l’une des voix les plus authentiques de sa génération littéraire à Cuba. Tropique des silences (1999/2002), La Voyageuse (2005), La Havane année zéro (2012), Le fils du héros (2017) sont ces quatre premiers romans : ils brossent un portrait du Cuba de la fin du XXe siècle. Objets perdus est son cinquième roman et se déroule cette fois à Barcelone. 

Dans Objets perdus, Giselle, la jeune narratrice, n’a qu’un rêve : danser. C’est d’ailleurs ce rêve qui l’a poussé à s’éloigner de Cuba pour s’installer en Europe ; c’est aussi ce rêve qui l’entraîne jusqu’à ce jour malheureux où, après une dispute avec son petit ami, Javi, et le vol de son sac-à-main, elle se retrouve seule et perdue dans les rues de Barcelone. Sans ses papiers d’identité, il devient difficile pour elle de se tourner vers la police. Heureusement, elle a un sens tout cubain de la survie, capable de surmonter toutes les épreuves. Elle ne connaît pas la ville et ne se souvient d’aucun numéro de téléphone utile. Elle a cependant bon espoir de retrouver Raviel, l’un de ses amis cubains d’adolescence. Celui-ci réside à Barcelone et Giselle se souvient qu’il vit près de la célèbre basilique de la Sagrada Família. Débute alors une aventure extraordinaire, où, durant trois jours et trois nuits, la jeune danseuse erre dans le cœur de Barcelone, en quête d’un sens à redonner à sa vie.

Objets perdus commence affreusement, sur une scène de vol : on dérobe à Giselle son sac-à-main. Elle perd donc de facto tout ce qu’il contenait, c’est-à-dire des objets à forte valeur sentimentale : « des petits bouts de soi ». Ces objets perdus sont aussi de magnifiques prétextes pour raconter des histoires : ce qui équivaudrait à pallier leur absence et l’importance qu’ils ont dans nos vies en imposant leur présence par les mots. Pour Giselle, ils sont avant tout symboliques et fonctionnent comme des garants de sa mémoire : chacun d’eux a construit, à sa manière, son existence. Ils la poussent à parler de sa famille, de ses souvenirs, de ses amitiés et de ses amours, de ses passions et de ses désillusions, de ses bonheurs et de ses tragédies. Paradoxalement, Giselle a d’ailleurs elle-même en sa possession un objet perdu. Il s’agit du portefeuille d’un Français, Gérard, dont les photos et la lettre qu’elle y trouve, l’invitent à élaborer toute sorte d’hypothèses et à se poser des questions, les bonnes, celles qui seraient aptes à reconstruire sa propre histoire et à comparer, comme par symétrie, ses perspectives personnelles avec celles des autres au sujet de ce monde. Il lui faut absolument retrouver une place, la sienne, malgré ses doutes.

Pour son rêve, pour devenir danseuse, Giselle a tout sacrifié. A-t-elle bien fait ? Car, depuis, tout semble lui échapper : sa vie, au-dedans, est pour le moins étriquée. C’est ce qu’elle ressent et comme elle ne peut totalement l’exprimer, elle danse. Cet égarement, cet isolement et cette solitude au milieu des rues souvent bondées de Barcelone est une pause, qui lui permet également de dresser un bilan et de réfléchir. Quand elle danse, le monde disparaît, mais, elle, apparaît. Alors, dans cette quête de soi, bien que Giselle soit perdue dans Barcelone, déboussolée entre Cuba et l’Europe, déroutée entre sa famille et celle de son petit ami Javi, déconcertée par le destin hypothétique de Gérard ou encore désorientée par les incertitudes de son rêve de danse, le récit de ses jours d’errance devient l’occasion de reprendre son envol et de reconstruire ses convictions, ses aspirations et ses idéaux, plus simplement.

Entre passion et renaissance, dans une interprétation presque mystique de ces termes, Objets perdus est une magnifique métaphore de la quête de soi. Le récit et l’écriture finissent par offrir à l’héroïne de ce véritable roman de formation le privilège de devenir, loin de la gloire de ses rêves d’adolescence, la protagoniste de sa propre danse et de sa propre vie. Pour nous lecteur, en nous identifiant à Giselle, Objets perdus nous rappellera sans doute, spontanément, qu’il existe toujours la possibilité de se faire une place dans ce monde.