Mercedes Olivera Bustamante, la lutte comme outil académique féministe

Il est de ces figures fortes qui par leurs existences changent la vie de nombreuses personnes et marquent leur époque. Féministe convaincue, Mercedes Olivera fait partie des grands noms de la recherche en anthropologie au Mexique. Après avoir étudié de nombreuses années la région du Chiapas, elle a porté ses réflexions sur le devenir féministe. Aujourd’hui, après une vie bien remplie, elle se dit optimiste quant à la nouvelle génération qui voit le jour.

Photo : Rosalinda Hernández

Issue d’une famille populaire très chrétienne, elle commence sa vie intellectuelle dans la continuité religieuse de ses proches. Plus tard, elle se tourne vers le communisme et les écrits de Karl Marx avant de créer une méthodologie féministe. Ces grands traits dessinent le parcours singulier d’une femme qui ne cesse de se remettre en question.

Mercedes Olivera grandit dans un milieu modeste. Dès son enfance, elle s’interroge sur la justice sociale : ?qué le había pasado a Diosito lindo que nos había hecho a unos ricos y a otros pobres?”. Qu’est-ce qu’il lui est arrivé à ce bon dieu pour avoir rendu des gens riches et d’autres pauvres? ». Traversée par ces questionnements qui s’étoffent au fil du temps, elle n’est pourtant pas aidée par son contexte familial à prendre le chemin académique. Aînée d’une famille nombreuse, elle a très vite de lourdes responsabilités au sein du foyer. Pour son père, il était logique qu’elle reste travailler à la maison afin de s’occuper des plus jeunes. Dans ces conditions il était impensable qu’elle commence des études.

Puis vient la brutale séparation avec le monde catholique. Les curés au sein de sa paroisse avaient des règles extrêmes qui laissaient place à la violence et au harcèlement. Afin d’assoire leur idéologie, ils allaient jusqu’à interdire la lecture de certaines versions de la Bible. Selon eux, les femmes n’avaient pas les capacités intellectuelles nécessaires pour prendre du recul. Mercedes Olivera ne manque pas de remarquer que le harcèlement présent dans l’Église se fait de plus en plus oppressant avec l’âge, notamment envers les jeunes filles jolies. Lors d’un entretien avec des responsables religieux qui lui reprochent d’avoir lu certains livres « interdits », elle décide de laisser définitivement la religion derrière elle. 

Tout au long de sa carrière, Mercedes Olivera tente de relier son activisme à sa recherche académique. Elle rencontre des femmes engagées, aux parcours et aux cultures différents, et prend ainsi pleinement conscience de la pluralité des définitions du « féminin » propre aux revendications féministes. C’est dans cet état d’esprit qu’elle voyage dans le Chiapas afin de rencontrer des femmes paysannes ou indigènes qui lui permettent de problématiser ses recherches. Sa pensée commence à s’orienter autour des relations de pouvoir normalisées, institutionnalisées, naturalisées. Dans ses écrits, elle aborde ces problématiques avec beaucoup de sentiments et d’émotions.

Sa conception du travail d’anthropologue l’amène à joindre la théorie et la pratique. Elle refuse l’anthropologie comme matière qui se parle à elle-même au sein des universités. Au cours de ses études, elle a notamment pu se rendre compte que les persécutions contre les femmes au Mexique avaient significativement augmenté avec l’arrivée des conquistadors espagnols. C’est là que lui vient l’idée de penser une anthropologie féministe depuis les communautés, chez les femmes paysannes et indigènes aujourd’hui encore mises à l’écart de tout « développement » défini selon les règles du capitalisme.

Marquer son époque, c’est savoir proposer une vision critique et pertinente du monde qu’on habite, c’est aussi savoir la remettre en question. Comme Paulo Freire, souvent considéré comme un sage avec une âme d’enfant, Mercedes Olivera a toujours su avancer et se questionner de façon à ne pas sombrer dans les méandres de la certitude. C’est ainsi qu’elle est passée de la religion à Karl Marx puis de Karl Marx à Pierre Bourdieu.

Aujourd’hui, elle nous dit : « Tout ce que j’écris, je le fais pour les femmes. J’essaye de faire de mes textes des endroits de compréhension communs afin que chacune puisse prendre conscience de ses droits en tant que femme ». Femme rebelle assumant ses sentiments et ses émotions, elle ne cesse de partager son espérance d’un futur meilleur pour l’Amérique latine. 

Étienne FAIVRE