Regards féminins sur le Mexique. Les photographes qui ont fait l’histoire de la photographie

L’été est le moment idéal pour vagabonder en ouvrant les portes de notre curiosité, et au milieu de la luminosité des jours, laisser notre regard s’étonner et s’émouvoir sur d’intemporelles photographies en noir et blanc.

Photo : FotoEspaña 2022

Traversons les Pyrénées, et laissons-nous séduire par cette proposition d’exposition estivale, pour évoquer et rappeler le talent de l’une des plus grandes photographes qui a su capter, à travers la beauté des images, l’âme d’un peuple, la magie des figures devenues mythiques et l’histoire d’un pays, le Mexique. À moins de deux heures de Lyon en avion, un détour par Madrid, nous offre la belle opportunité de présenter aux lecteurs des Nouveaux Espaces Latinos, la XXVe édition de PhotoEspaña 2022, consacrée à la photographe Tina Modotti, du 15 juillet au 2 octobre 2022, au musée Cerralbo. Cette exposition propose un parcours à travers la biographie et l’œuvre de l’une des plus grandes dames de la photographie du siècle dernier. Elle présente 108 photographies et certains éléments d’archives clef dans la vie de l’artiste (ouvrages biographiques, écrits personnels, poèmes dédiés).

Avec une très brève carrière comme photographe, cette Italienne d’origine a été capable de créer une esthétique de grande valeur, devenant l’une des principales reporters de l’une des périodes les plus agitées de l’histoire du Mexique, le pays dans lequel elle a résidé et où elle mourut. Son œuvre nous fait toucher de près les tumultueuses années 20 et 30 en Europe et en Amérique latine. Elle est un exemple de fusion entre la culture révolutionnaire mexicaine et l’esthétique photographique avant-gardiste dans laquelle se fondent les idéaux d’égalité proposés par le socialisme et une prise de conscience politique qui donnera du sens à sa vie.

En seulement dix années fructueuses, elle apprend à capturer avec son appareil photo la beauté du Mexique où elle s’installe et se radicalise. L’exploitation dans laquelle vivait la classe ouvrière l’émut au point que ses photos ne présentent pas seulement la beauté, elles dénoncent également l’injustice dans laquelle vivait la société mexicaine. Tina Modotti n’était pas seulement préoccupée par la représentation d’un beau paysage ou d’un objet esthétique, elle voulait dépeindre les ouvriers, les femmes de son pays et leurs conditions de vie de manière réaliste et impressionnante. Elle s’intéressait aux pauvres et aux travailleurs dont elle voulait montrer la dignité. Avec son imagerie concise et précise, elle dénonce l’injustice, en combinant son intérêt pour les personnes avec une esthétique moderne.

Photographe et militante politique italienne.

Mannequin, actrice du cinéma muet hollywoodien, photographe et activiste politique, Tina Modotti (de son vrai nom Assunta Adelaide Luigia Modotti Mondini), née le 17 août 1896 à Udine, (Italie) arrive aux États-Unis en 1913, où elle travaille comme couturière. En 1917, elle entame sa carrière d’actrice dans le théâtre amateur de la communauté italienne de San Francisco. En 1918, elle épouse le peintre et poète Roubaix de l’Abrie Richey, dit Robo. Le couple s’installe à Los Angeles. Au début des années 1920, elle joue dans trois films muets à Hollywood, devient le mannequin préféré, et bientôt la maîtresse du célèbre photographe Edward Weston.

À la mort de son mari, au début de 1922, déçue par sa carrière d’actrice et encouragée par Edward Weston, elle choisit de se consacrer à la photographie. Le couple part au Mexique où M. Weston lui enseigne la photographie. En décembre 1924, le photographe rentre aux États-Unis tandis qu’elle demeure sur place, administrant seule le studio. Elle photographie les œuvres des peintres muralistes, ce mouvement dirigé par Diego Rivera qui prétend à travers une peinture murale avant-gardiste, faire connaître à la société mexicaine son histoire officielle. Séduite par leurs idées politiques et artistiques, elle devient la photographe favorite du mouvement et tisse des liens d’amitié avec des personnalités en vue comme Manuel Álvarez Bravo, Diego Rivera et Frida Kahlo. En 1926, elle expose avec Edward Weston, Diego Rivera et Jean Charlot, peintre français spécialisé en xylogravure, à la Galería d’arte moderno à Mexico. 

En 1927, elle entre au Parti communiste mexicain, année où elle réalise la photographie « sombrero mexicain avec marteau et faucille » qui évoque les symboles de l’imaginaire communiste mexicain.  Durant l’année suivante, elle crée une série appelée « les contrastes du Régime » pour El Machete, périodique de grand format, publié par les muralistes depuis 1924, organe du Parti communiste mexicain à partir de 1925.

En février 1929, quelques-unes de ses photos sont publiées dans le journal avant-gardiste français, Transition. Durant la même année, une autre série de photographies illustre les villes mexicaines de Juchitán et Tehuantepec, révélant alors son regard et sa sensibilité esthétique sur la réalité mexicaine. Ses images attachent une importance particulière à la figure de la femme, qu’elle considère comme un symbole de force. La même année, en association avec Weston, elle réalise une série pour illustrer l’ouvrage d’Anita Brenner (1905-1974) « Idols Behind Altars » («des idoles derrière les autels», 1929), qui traite de l’art religieux et folklorique du pays. Après l’assassinat de son compagnon, l’activiste cubain Julio Antonio Mella en 1929, son œuvre sera présentée à la Bibliothèque de l’université nationale de Mexico, et qualifiée de « première exposition révolutionnaire du pays ».

En février 1930, suspectée d’avoir participé à un projet d’attentat contre le président Pascual Ortíz Rubio, elle est arrêtée et contrainte de quitter le pays. Après un bref séjour à Berlin où elle mène une vie discrète, elle s’engage dans le Secours rouge allemand, la Ligue anti-impérialiste … C’est à ce moment qu’elle décide de raccrocher l’appareil photo et de consacrer sa vie à la lutte antifasciste. Plus tard, elle accepte l’invitation de son compatriote Vidali, avec qui elle se mariera, et s’installe à Moscou où elle travaille pour le Comité exécutif du Secours rouge international. 

En 1935, durant la guerre civile d’Espagne, elle s’engage dans la section espagnole du Secours rouge international, et est confrontée aux horreurs du front. Quatre ans plus tard, interdite d’entrée aux États-Unis, elle retourne au Mexique sous une fausse identité, terrorisée et malade du cœur. Elle travaille inlassablement comme soutien aux réfugiés espagnols. Elle ne récupèrera sa véritable identité que peu de temps avant sa mort, seule, dans un taxi, dans la nuit du 4 au 5 janvier 1942. Quelques mois après sa disparition, une exposition rétrospective est organisée à sa mémoire, à la Galería d’arte moderno de Mexico. Son travail a été exposé à la XVIe Biennale de Sydney en 2008, Revolutions – Forms That Turn (Révolutions – les formes qui ont changé le monde). 

Natalia MARTIN*

* Avec la complicité de Pedro Tena Tena

Bibliographie :