Élections mexicaines : un triomphe pour le parti du président Andrés Manuel López Obrador 

Confirmant la bonne image que la majorité des Mexicains ont de leur gouvernement, le Mouvement de régénération nationale et les partis alliés remportèrent, dimanche 5 juin, quatre des six gouvernorats mexicains. L’historique Parti révolutionnaire institutionnel apparaît comme le grand perdant, alors que des liens entre l’actuel président et les cartels de la drogue ont été évoqués par deux de ses opposants.

Photo : La Jornada

Ce qu’on appelle après l’élection « la fête de López Obrador » s’est largement imposé à Oaxaca, Quintana Roo, Hidalgo et Tamaulipas. Et si Aguascalientes et Durango lui ont échappé, cette élection montre la nette expansion du pouvoir présidentiel et ses alliés. Aucun des six États mexicains appelés à renouveler leur administration n’était gouverné par le Mouvement de régénération nationale (Morena). À l’issue du scrutin, le parti du président dispose désormais de deux tiers des sièges des gouverneurs et va gouverner sur 58 % de la population du pays. Mario Delgado, chef national du parti de centre gauche, savoure le triomphe avec ces mots acérés : « C’est la sanction que le peuple mexicain a imposée à ceux qui ont trahi notre pays en votant contre la réforme de l’électricité. C’est la démocratie ; que nos différends soient réglés par les urnes », a-t-il déclaré pointant les législateurs de l’opposition. 

En réalité, dans le panorama politique qui est en train de se dessiner, en vue des prochaines élections présidentielles de 2024, force est de constater que le pluralisme démocratique mexicain commence à faire défaut. Après une élection marquée par une faible participation (Oaxaca enregistre le taux le plus bas avec 39 %), le parti du président et ses alliés vont gouverner une vingtaine d’États sur un total de 32. En plus, Andrés Manuel López Obrador va disposer de la majorité au Congrès et au Sénat. Le résultat de cette élection laisse ainsi peu d’espace politique en dehors de la tutelle hégémonique du parti au pouvoir. Or, un pays démocratique est-il en bonne santé quand la vie politique est dominée par un seul parti ? En ce sens, il faut noter qu’une certaine dérive autoritaire avait déjà émaillé la campagne dans le courant de la semaine précédant l’élection. 

Ainsi, suivant les directives du chef de l’État, Mario Delgado et la direction du parti ont porté plainte devant le parquet pour « trahison contre le pays » visant les députés qui ont rejeté le projet de réforme de la Constitution. Une réforme située au cœur même du programme officiel du gouvernement car elle concernait le renforcement de la participation du secteur public dans la production de l’électricité. Dans la même démarche intimidatrice s’est ajouté l’intention manifeste de Mario Delgado, avant le scrutin, de mener une action en justice contre la coalition des partis de l’opposition Va por Mexico dans les États où Morena n’a pas réussi à imposer ses candidats. 

Par ailleurs, en ce qui concerne l’alliance des trois partis dominants contre Morena, le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), le Parti action nationale (PAN) et le Parti de la révolution démocratique (PRD), le plus remarquable c’est le discrédit du PRI. Le résultat du scrutin est sans appel : des 21 États dirigés par ses gouverneurs il y a dix ans (15 États en 2018), le PRI va dorénavant en contrôler seulement deux. Le PRI a été pendant soixante-et-onze ans le parti-État mexicain, jusqu’en juillet 2000 lorsque le conservateur Vicente Fox s’emparait des rênes du pouvoir. Si ce parti historique connaît aujourd’hui la débâcle, les causes en sont multiples. C’était le parti de l’ancien président Ernesto Zedillo (1994-2000), responsable du renflouement, dans des conditions pas tout à fait nettes, de la banque Fobaproa, qui a coûté au pays la faramineuse somme de 100 milliards de dollars. Abus de pouvoir, répressions et une corruption à grande échelle ont marqué les sept décennies de présidence et les gouvernorats du PRI. Par conséquent, 58 % des Mexicains pensent que c’est le parti qui a fait le plus de dégâts au pays et qui a le plus volé (52 %), comme le montre un sondage Reforma de mai 2022.

Le même sondage révèle que, au contraire, pour 65 % des Mexicains Morena est le parti qui « aide ceux qui en ont besoin ». Voilà pourquoi le mouvement politique du président, fondé en 2014, est devenu la principale force politique d’un pays rongé par une corruption généralisée, un système d’impunité toujours en place et surtout par les influents cartels de la drogue. On se souvient encore des images diffusées dans le monde entier, pendant la pandémie, en avril 2020, des premiers secours aux apportés par les cartels de Sinaloa : dans un dans un entrepôt de la ville de Guadalajara, des employées remplissant des colis de denrées pour les plus démunis et arborant un masque à l’effigie de leur chef El Chapo Guzmán (1). Imprimés sur les boîtes, le visage du Chapo et l’inscription : ElChapoGuzman.com

C’est un sujet épineux, difficilement imaginable vu depuis l’Europe, et qui touche de trop près la crédibilité de l’actuel président López Obrador. Ainsi, la veille des élections (4 juin), deux vétérans de la politique, Porfirio Muñoz Ledo, fondateur du PRD, ancien député de Morena et ancien président de la Chambre des députés, et Francisco Labastida Ochoa, ancien dirigeant du PRI et ex-gouverneur de Sinaloa (siège du cartel homonyme), ont évoqué, sans toutefois apporter la moindre preuve, l’existence d’un pacte caché entre l’actuel président et les cartels de la drogue. « Le président va finir, la piste s’épuise, il pense qu’il peut hériter de son association avec des criminels au prochain gouvernement et que cela lui donne plus de pouvoir. Je veux répéter publiquement cet appel, Andrés Manuel López Obrador doit comprendre que sa collusion ou son alliance avec le narco n’est pas héréditaire », a déclaré Muñoz Ledo lors de son discours à la Conférence permanente des partis politiques d’Amérique latine (Coppal).

De son côté, Labastida Ochoa a évoqué des « indices qui pointent vers une protection très suspecte du gouvernement sur le trafic de drogue », concernant le Jalisco New Generation Cartel et le cartel de Sinaloa. Sur ce point, Anabel Hernández, auteure mexicaine du livre Los señores del narco (« Ces messieurs du narcotrafic ») confirme cette sorte de symbiose qui depuis longtemps n’est plus un secret pour personne : les cartels de la drogue, comme ceux de « Jalisco-nouvelle génération », de Sinaloa ou encore de Juárez, « parrainent des candidats ». C’est peut-être là un indice de la vive polémique suscitée, en octobre 2019, par la libération, validée par le président López Obrador sous la menace du cartel de Sinaloa, de Ovidio Guzmán, fils d’El Chapo. Six mois plus tard, le même président avait salué, main dans la main, la mère du célèbre baron de la drogue. Un geste qui rappelle les codes bien connus dans les milieux maffieux, en guise de remerciement pour une faveur accordée.

Ce sera certainement un sujet d’actualité lors des prochaines élections. Pour l’instant, l’issue de cette élection régionale, qui dessine le terrain de la présidentielle de 2024, montre sans ambiguïté le bien fondé de la stratégie du président et ses alliés. Pour l’Institut National Electoral (INE), le bilan du scrutin est positif comparé à la sanglante campagne législative de l’année dernière. La journée électorale s’est déroulée normalement sans incident grave, dans un pays où « le tissu social est fait de violence »(2). Dans ce contexte, l’enlèvement de quatre militants de Morena dans l’État de Durango et l’assassinat d’un de ses militants à Oaxaca sont passés presque inaperçus. Seul bémol : le parquet a reçu trente plaintes pour « de possibles délits électoraux ».

Eduardo UGOLINI

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(1) Joaquin Guzmán Loera, alias El Chapo, après avoir passé douze ans en prison a échappé à la justice mexicaine : il a été condamné aux États-Unis, en 2020, à la prison à perpétuité. L’opération de communication était orchestrée par sa fille, Alejandrina Guzmán, propriétaire de la marque El Chapo 701, allusion au rang du trafiquant dans le classement Forbes 2009 des plus grandes fortunes mondiales.

(2) À lire : newsletter 27 mai 2022, « Jordi Soler : Au Mexique, si vous avez l’air d’un indigène… »