Cuba, dans les années 1920 – 1930, est l’un des points de rencontre favori des créateurs venus du Nord, du Sud de l’Amérique ou d’Europe. Le charme tropical est là, la mode est aux couleurs et aux rythmes venus des Caraïbes, la sensualité ambiante est l’une des raisons, pas toujours raisonnables, de l’attirance des poètes, des peintres et des musiciens.
Photo: Le Mans Maville – éditions Le Seuil
On l’a un peu oublié mais l’entre-deux guerres a été une période d’échanges intellectuels uniques dans l’histoire de la création. Stravinsky composait ses ballets à Paris, Federico García Lorca parlait de théâtre et de poésie devant des salles pleines dans une longue tournée entre l’Argentine et les États-Unis et rencontrait Serge Prokofiev pendant sa halte cubaine, on pourrait multiplier les exemples.
Dans années 2000, Thierry Clermont, journaliste et poète français, amoureux de La Havane, parcourt ses places et ses rues, fait des rencontres et recherche, en amateur éclairé, des traces des séjours qu’y fit Robert Desnos en 1928. Au jour le jour, il évoque les figures cubaines inévitables, Alejo Carpentier, José Lezama Lima, Nicolás Guillén et d’autres bien moins connus comme le peintre Pascin qui s’est suicidé à Paris en 1930.
Une Havane moribonde, crasseuse, souvent obscène, qui conserve pourtant une réelle beauté, une noblesse blessée, une dignité populaire qui existe sous nos yeux, dans nos oreilles aussi (que serait Cuba sans la musique ?), avec partout des odeurs de fleurs tropicales, quand ce n’est pas des odeurs corporelles, tout cela vit d’une vie que rien ne peut éteindre. On mange des bananes salées, on boit du rhum, on se frotte contre des inconnus en écoutant des orchestres improvisés : celui dont un seul des cinq sens serait déficient est à plaindre à Cuba !
Thierry Clermont n’offre pas que des informations, un autre de ses cadeaux est sa façon de dire, du réalisme évidemment, et aussi de la poésie pure qui n’imite pas celle de Desnos ou de Lorca mais qui les rappelle parfois, quand il évoque l’humidité mouvante du Malecón ou un jeu de lumière sur une maison coloniale de la ville.
Quelle luxueuse manière d’apprendre une foule de choses autour de la littérature occidentale du XXème siècle, de découvrir des noms et des poèmes, tout en se promenant dans les rues d’une des villes les plus attachantes du monde ! Thierry Clermont donne la sensation que, à La Havane comme dans son livre inclassable, la vie est un roman.
Christian ROINAT
Barroco bordello de Thierry Clermont, éd. Le Seuil (collection Fiction & Cie.), 240 p., 19 €.