À la surprise générale, le sénateur de centre-droit Rodrigo Paz, fils de l’ancien président Jaime Paz Zamora (1998-1993), arrive en tête avec 32,1 % des voix. L’ancien président de droite Jorge « Tuto » Quiroga (2001-2002) le suit de près avec 26,8 %, selon les mêmes estimations.
Le sénateur Rodrigo Paz et l’ancien président Jorge Quiroga s’affronteront au second tour des élections présidentielles boliviennes, mettant fin à 20 ans de gouvernement du MAS. Le sénateur Rodrigo Paz Pereira et l’ancien président Jorge « Tuto » Quiroga s’affronteront au second tour des élections présidentielles boliviennes le 19 octobre. Tous deux ont été les candidats les plus votés lors des élections présidentielles de ce dimanche, marquées par une profonde crise économique dans le pays, la division de l’opposition et la rupture au sein de la gauche et du MAS, qui perdra le pouvoir deux décennies après la première victoire électorale d’Evo Morales en 2005. Rodrigo Paz (Parti démocrate-chrétien) a obtenu plus de 1 561 000 voix (32,08 %) et Quiroga (Alliance libre) plus de 1 311 000 voix (26,94 %), selon les résultats préliminaires publiés par le Tribunal suprême électoral (TSE) avec plus de 90 % des votes dépouillés. Derrière eux se trouvent l’homme d’affaires Samuel Doria Medina, qui était donné favori selon les sondages, avec 19,93 %, et le principal candidat de gauche, Andrónico Rodríguez, avec 8,15 %.
Le taux de participation a été de 78,55 % sur un total de 7,5 millions de citoyens inscrits, selon le TSE. Le président bolivien, Luis Arce, s’est félicité du déroulement de la journée : « Nous avons tout mis en œuvre pour garantir un processus électoral pacifique et transparent ». Dans son premier discours devant ses partisans, Paz Pereira, exultant, a déclaré : « Merci à tous les hommes et toutes les femmes qui ont rendu cela possible. Nous sommes la voix de ceux qui n’apparaissaient pas dans les sondages, qui n’existaient pas et n’avaient pas voix au chapitre. Il y a une Bolivie qui n’est pas prise en compte ». De son côté, Tuto Quiroga a félicité Paz Pereira pour la campagne menée et a déclaré : « Désormais, la Bolivie sera libre pour les siècles des siècles. Nous avons parlé avec force, foi, espoir et dignité. Par notre vote, nous avons redonné à tous la foi en la démocratie et montré qu’il est possible de changer le pays par la force du vote, contre les blocages et les sabotages. Aujourd’hui, c’est la démocratie bolivienne qui a gagné ». Paz, qui se présente comme une figure du renouveau politique du centre, et Quiroga, plus aligné sur la droite conservatrice, s’affronteront le 19 octobre lors du second tour.
Cela marque un avant et un après puisque, depuis la mise en place du système de second tour en Bolivie en 2009, toutes les élections ont été décidées dès le premier tour. La qualification de Paz et Quiroga pour le second tour annonce également un changement historique dans la politique bolivienne, puisque les citoyens éliront un président qui n’est pas de gauche après près de deux décennies de gouvernement du MAS. Le résultat confirme la fracture et le déclin de la force politique fondée par Evo Morales, qui est arrivée divisée dans la course et avec un soutien électoral bien inférieur à celui qui a marqué la politique bolivienne au cours des 20 dernières années. Mais le passage au second tour de Paz et Quiroga montre également la fragmentation au sein de l’opposition, qui, il y a quelques mois, a tenté d’unifier ses forces autour d’un seul candidat, mais a fini par se diviser.
Les deux candidats se disputent un électorat qui cherche à surmonter la crise économique et à mettre fin au cycle politique du MAS, mais avec des styles différents : Paz incarne un profil plus novateur et modéré, tandis que Quiroga propose un discours plus politique, idéologique et conservateur. Jorge « Tuto » Quiroga, 65 ans, a été président entre 2001 et 2002 après la démission d’Hugo Banzer. Il se présente comme un homme politique expérimenté, au discours virulent contre le MAS, ce qui, selon les analystes, lui vaut le soutien des secteurs les plus radicaux de l’opposition, mais le limite lorsqu’il s’agit d’attirer les électeurs modérés ou désabusés.
Né à Cochabamba, le candidat de l’Alianza Libre a hérité du surnom de son père, Jorge Tuto Quiroga Luizaga, un ingénieur que son fils a décrit comme un homme « exemplaire qui m’a tout légué, y compris le surnom qui est aujourd’hui mon nom ». Après avoir terminé ses études secondaires, Tuto s’est rendu aux États-Unis pour étudier l’ingénierie industrielle au Texas, où il a ensuite obtenu une maîtrise en administration des affaires. C’est là qu’il a fait ses premiers pas dans le secteur privé en tant qu’ingénieur système chez International Business Machines Corporation (IBM). « Étant originaire de Bolivie, j’ai toujours eu envie de retourner dans mon pays. À un moment donné, j’ai dû choisir entre faire carrière chez IBM ou retourner en Bolivie pour servir la fonction publique. Et c’est ce que j’ai fait », a déclaré Quiroga dans une interview.
Il a occupé différents postes publics sous le gouvernement de Jaime Paz Zamora. Il a été conseiller technique au ministère bolivien des Affaires étrangères et a rapidement pris les fonctions de vice-ministre de l’Investissement public et de la Coopération internationale, mais il ne se sentait toujours pas politicien. « J’étais encore considéré comme le bras technique du ministre », a déclaré Quiroga. Jusqu’à ce qu’il soit élu ministre des Finances en 1992, poste qui lui a ouvert les portes des premiers rangs de la politique. L’année suivante, il a rejoint l’Acción Democrática Nacionalista (ADN), le parti conservateur fondé par Hugo Banzer, dictateur de Bolivie entre 1971 et 1978.
Tuto Quiroga, qui représentait la faction réformatrice au sein de l’ADN, a été élu vice-président de la Bolivie en 1997, à l’âge de 37 ans, après s’être présenté comme colistier de Banzer, qui revenait ainsi au pouvoir par la voie démocratique. En août 2001, Quiroga est devenu président de la Bolivie par succession constitutionnelle après la démission de Banzer pour raisons de santé, fonction qu’il a exercée jusqu’en août de l’année suivante. Au cours de son mandat, il a cherché à réduire la production illégale de feuilles de coca, ce qui lui a valu le rejet des syndicalistes cocaleros, parmi lesquels se trouvait alors le dirigeant paysan Evo Morales. Lors des élections de 2005, il s’est présenté à la présidence de la Bolivie, mais a été battu par Morales, qui a remporté sa première victoire électorale permettant au MAS d’accéder au pouvoir.
Après cette défaite, Quiroga est resté éloigné des fonctions publiques jusqu’en décembre 2019, date à laquelle la présidente par intérim Jeanine Áñez l’a nommé délégué présidentiel chargé de dialoguer avec la communauté internationale, poste qu’il n’a occupé que quelques semaines. Lors des élections de 2020, Quiroga s’est à nouveau présenté à la présidence, mais s’est retiré un mois avant le scrutin en raison de son faible score dans les sondages. Quiroga est un leader conservateur sur le plan social et libéral sur le plan économique, ainsi qu’un homme d’État expérimenté.
« Tuto est apprécié pour ses talents de politicien, qu’il a démontrés lors des débats présidentiels », explique l’analyste Luciana Jaúregui. Pour ses détracteurs, il est un politicien trop connu, qui incarne un retour à un passé où les présidents arrivaient au pouvoir sans bénéficier d’un soutien social majoritaire. Une inflation annuelle à 25 %.
Le scrutin s’est déroulé dans un contexte de grave crise économique marqué par une pénurie chronique de dollars et de carburant, tandis que l’inflation annuelle avoisine les 25 %, un niveau inédit depuis 17 ans. Tenu pour responsable de la débâcle, le président sortant Luis Arce, autrefois soutenu par l’ancien président Evo Morales (2006-2019), mais désormais en conflit avec lui, a renoncé à un second mandat.
Andronico Rodriguez, le président du Sénat également issu de la gauche, et le candidat du Mouvement vers le socialisme (MAS) au pouvoir depuis 2006, Eduardo del Castillo, n’ont pas réussi à convaincre. « Je veux un changement. Je pense que la gauche nous a fait beaucoup de mal », a estimé Miriam Escobar, une retraitée de 60 ans. « Il n’y a pas de travail, pas d’essence, pas de diesel, tout est très cher », a-t-elle déploré après avoir voté à La Paz. Les candidats de droite ont promis de rompre avec le modèle étatiste instauré par Evo Morales. Sous sa présidence, la pauvreté a reculé et le PIB triplé, mais la chute des revenus gaziers depuis 2017 a plongé le pays dans la crise.
« Besoin de stabilité »
« C’est la fin d’un cycle », a déclaré Jorge « Tuto » Quiroga, après avoir voté à La Paz. Cet ingénieur, qui avait assuré un intérim à la tête du pays pendant un an (2001-2002), promet « un changement radical » en cas de victoire. Agustin Quispe, un mineur de 51 ans, a cependant qualifié « Tuto » Quiroga de « dinosaure » et affirmé son soutien à Rodrigo Paz, qui a axé sa campagne sur la lutte contre la corruption et la baisse des impôts. « La Bolivie a besoin de stabilité, de gouvernabilité et d’un modèle économique tourné vers le peuple plutôt que vers l’État », a déclaré Rodrigo Paz après avoir voté à Tarija, dans le sud du pays. Les deux gagnants s’affronteront lors d’un second tour le dimanche 19 octobre, infligeant à la gauche son plus lourd revers depuis l’arrivée au pouvoir d’Evo Morales.
Désenchantement d’Evo
L’ancien chef d’État de 65 ans espérait briguer un quatrième mandat présidentiel, mais la justice, en les limitant à deux, l’a écarté de la course. Visé par un mandat d’arrêt dans une affaire de traite de mineure qu’il conteste, l’ancien syndicaliste des planteurs de coca vit retranché dans son fief du centre du pays. En votant, chaussé de sandales, Evo Morales a dénoncé un scrutin « sans légitimité ». Malgré son éviction, le premier chef d’État bolivien d’origine indigène garde de solides appuis dans certains bastions ruraux et autochtones. Mais son conflit avec Arce a fracturé le MAS, et même ceux qui ont pendant longtemps bénéficié des politiques sociales ont exprimé leur désenchantement. Pour Daniel Valverde, politologue à l’université Gabriel René Moreno, « le pire ennemi de la gauche a été la gauche elle-même ». « La corruption, la mauvaise gestion, le manque de décisions et l’improvisation ont fini par fatiguer la population », juge-t-il.
D’après les journaux boliviens
Traduit de l’espagnol par nos soins