La Colombie face à l’escalade de la violence politique : l’assassinat du sénateur Miguel Uribe Turbay

Le sénateur colombien Miguel Uribe Turbay est mort le 11 août après deux mois de coma. Durant un rassemblement à Bogotá il avait été visé par deux balles dans la tête lors d’une tentative d’assassinat. Miguel Uribe, 39 ans est d’une famille très connue en Colombie. Sa mère Diana  Turbay, journaliste, avait été enlevée en 1991 à Medellín par les Extraditables un groupe de narcotrafiquants aux ordres de Pablo Escobar et tuée lors d’une opération militaire de sauvetage. Il est surtout le petit fils de Julio César Turbay, président de la République entre 1978 et 1982, de l’aile droite du parti libéral qui avait adopté un statut de sécurité en Colombie, sur le modèle du Plan Condor dans les dictatures en Amérique du Sud à cette époque.

Miguel Uribe a d’abord été membre du Parti Libéral. Il a commencé sa carrière politique à Bogotá comme conseiller municipal en 2012, secrétaire municipal sous le mandat de Enrique Peñalosa en 2016, candidat indépendant à la mairie de Bogotá aux élections en 2019. Il rejoint le Centre Démocratique, la droite dure, fondé par l’ex-président Alvaro Uribe Vélez qui le choisit pour organiser pour son parti les élections sénatoriales Il sera élu sénateur en 2022. Et enfin depuis quelques mois seulement Miguel Uribe s’était déclaré pré-candidat pour les élections présidentielles de 2026. Il était un vif détracteur du président Gustavo Petro, avec un discours sur la défense de la sécurité et des institutions.

Un jeune de 15 ans a été arrêté juste après l’attentat et inculpé ainsi que d’autres personnes. Il serait lié à un réseau de tueurs à gages sicarios mais on ne connaît pas les commanditaires pour le moment. Selon la police il s’agirait d’un groupe dissident des Farc Segunda Marquetalia, pour d’autres le lien serait avec des réseaux du trafic de drogue, Le président Petro parle même de mafias internationales. En Colombie, entre 2016 et 2024 au moins 74 candidats à des élections ont été tués selon l’organisme Indepaz. Les derniers candidats à la présidentielle assassinés avaient été Bernardo Jaramillo, de l’Union Patriotique en 1990 ainsi que Carlos Pizarro du M19. Ce qui est sûr c’est qu’il y a un climat de polarisation de la vie politique, et une aggravation de la violence dans le pays.

L’attentat de Miguel Uribe a eu lieu à un moment de très fortes tensions de la classe politique. Les partis d’opposition en général ont rejeté de façon virulente les propositions de réformes du président de gauche Gustavo Petro élu en 2022. Ils ont tout fait pour faire obstacle à la réforme de la santé, au programme de distribution des terres aux paysans. La réforme du travail qui vise en particulier à réduire la journée de travail et la création d’un fonds de pension pour les agriculteurs a finalement été adoptée par le Sénat.

Pour donner suite à l’assassinat de Miguel Uribe, il y a bien eu un appel à l’union nationale mais Gustavo Petro a été très vite accusé d’être l’instigateur de cet assassinat en particulier par l’ex-président Alvaro Uribe. Ou Vicky Dávila, pré-candidate de la droite qui a déclaré « Tout cela est un plan d’élimination d’un secteur de la Colombie. C’est la prise de la démocratie. Les criminels ne sont pas seuls ».

 Les funérailles de Miguel Uribe au-delà d’un office religieux, se sont transformées par moments en un  tribune politique en particulier lors de la lecture d’une déclaration d’Alvaro Uribe lue par le chef de son parti  (l’ex président était absent car condamné quelques jours avant à 12 ans d’assignation à résidence pour subornation de témoin et fraude procédurale) l’ancien président a accusé Gustavo Petro d’avoir créé une atmosphère propice à la violence, affirmant « qu’ils ont assassiné Miguel, qui exerçait une opposition critique et raisonnée, à l’instigation d’une vengeance induite par le président de la République ».   Il y a eu aussi le discours du père du jeune sénateur, Miguel Uribe Londoño. Il a loué Alvaro Uribe « ce leader qui a libéré ce pays en 2002 » et a attaqué sans les nommer « Cette guerre a des coupables. Nous le savons. Nous n’avons aucun doute d’où vient la violence, et qui la promeut. » Et au sujet des élections présidentielles de 2026. « Les Colombiens savent encore mieux qui sera le dirigeant chargé de perpétuer et d’honorer l’héritage que mon fils laisse aujourd’hui. Nous avons une occasion unique de mettre fin à cette folie en 2026, ne la gâchons pas ». À signaler qu’aucun membre du gouvernement n’était présent à la demande de la famille. Tout cela, avec des discours de plus en plus véhéments, montre une fracture idéologique profonde entre l’exécutif et les partis d’opposition. Le Président Petro a récusé toutes ces attaques.

En janvier dernier des combats entre l’ELN et des dissidents des FARC, dans la région de Catatumbo, région frontalière avec le Venezuela ont fait plus de cent morts des dizaines de blessés, et des dizaines de milliers de civils déplacés. Cette région est importante pour le trafic de drogue avec 44 000 hectares de coca. Récemment en juin, des attentats ont été perpétrés dans le sud-ouest du pays dans le Cauca. La piste serait un autre groupe armé. Aussi de nombreux leaders communautaires, sociaux et défenseurs des droits de l’homme ont été tués lors de toutes ces violences et par des secteurs de l’ultra droite. La présidence est confrontée à un relatif échec « de la paix totale » que Gustavo Petro avait souhaitée au début de son mandat. Cette politique visait à négocier aussi bien avec les groupes armés qu’avec les groupes de narcotrafiquants issus du paramilitarisme.

Mais on peut se poser la question : à un an à peine des élections présidentielles, n’existe-t-il pas un plan de déstabilisation contre un gouvernement progressiste, en créant un climat d’insécurité en Colombie ? A qui profite cette violence, l’assassinat de Miguel Uribe ? La gauche se prépare à ces élections avec une coalition de gauche « el Pacto Histórico » réunissant les forces de gauche. Plusieurs candidats sont proposés. De son côté la droite est plutôt désorganisée avec des rivalités pour le leadership, avec en plus la condamnation de l’ex-président Alvaro Uribe. Mais l’attentat de Miguel Uribe, par le choc et l’émotion que cela a provoqué dans le pays ne pourrait-il pas bénéficier au Centre Démocratique ? En tout cas cet attentat aura un profond impact sur la campagne présidentielle en Colombie.