Colombie-Pérou : conflit en Amazonie : une controverse qui dépasse le cadre diplomatique

Le 12 juin dernier, le Congrès péruvien a approuvé à l’unanimité la « création du district de Santa Rosa de Loreto dans la province de Mariscal Ramón Castilla du département de Loreto, avec pour capitale la ville de Santa Rosa », qui a été publiée le 3 juillet dans le journal officiel El Peruano. En réponse, la Colombie a présenté deux notes de protestation, le 20 juin et le 3 juillet, demandant la réactivation de la Commission mixte permanente pour l’inspection de la frontière colombo-péruvienne car, selon le ministère des Affaires étrangères, « l’île de Santa Rosa est une formation apparue au cours du fleuve Amazone, après la seule attribution d’îles effectuée entre les deux pays en 1929 ». Par conséquent, « elle n’a pas été attribuée au Pérou », selon la Colombie, et « un processus d’attribution d’un commun accord entre les ministères des Affaires étrangères » doit être mis en place. Le Pérou a répondu le 4 juillet par une autre note diplomatique dans laquelle il rejetait « les termes » des deux notes colombiennes et réaffirmait « les droits légitimes de souveraineté sur l’intégrité de notre territoire national ». La question est passée du domaine diplomatique au domaine politique le 5 août dernier lorsque le président colombien, Gustavo Petro, a accusé le Pérou de s’être approprié « un territoire qui appartient à la Colombie » sur le fleuve Amazone, ce qui a suscité les réponses de son homologue péruvienne, Dina Boluarte.

La Colombie et le Pérou invoquent le « Traité sur les limites et la navigation fluviale entre la Colombie et le Pérou », connu sous le nom de Traité Salomón-Lozano, signé à Lima le 24 mars 1922 et qui établit « la ligne frontalière » entre les deux pays, y compris « le thalweg du fleuve Amazone jusqu’à la limite entre le Pérou et le Brésil ». Le « thalweg » est une méthode utilisée pour déterminer les frontières des fleuves internationaux et est défini par la ligne médiane du chenal navigable d’un cours d’eau. Ce traité a été ratifié par les deux pays au début de l’année 1928, année où son application technique a commencé.

La Commission mixte chargée de délimiter les frontières fixées dans le traité de 1922 s’est réunie à Iquitos (Pérou) en octobre 1928, février et novembre 1929, afin de définir la ligne suivant le thalweg des fleuves Amazone et Putumayo. « Un fleuve a toujours un chenal plus profond que les autres, que les bateaux empruntent pour éviter de s’échouer. Sur le fleuve Amazone, ce chenal plus profond a été défini en 1928 et la ligne du chenal le plus profond a été tracée en 1929 », écrit l’ancien ministre colombien des Affaires étrangères Julio Londoño Paredes. En ce qui concerne les îles des deux fleuves, la Commission a décidé qu’elles « appartiendraient à la nation dont la rive est la plus proche de l’île ». En conséquence, les îles amazoniennes de Zancudo numéro 2, Loreto, Santa Sofía, Arara, Ronda et Leticia ont été attribuées à la Colombie, tandis que les îles Tigre, Coto, Zancudo, Cacao, Serra, Yahuma et Chinería, cette dernière étant au centre du litige actuel, ont été attribuées au Pérou.

Cet accord a été signé dans l’ancienne capitale brésilienne le 24 mai 1934 afin de rétablir les relations bilatérales après la guerre qui a opposé les deux pays entre septembre 1932 et mai 1933 et qui a débuté lorsqu’ « un groupe de civils et de militaires péruviens a occupé la ville de Leticia », explique M. Londoño. Ce document, également appelé « Protocole de paix, d’amitié et de coopération entre la République de Colombie et la République du Pérou », ratifie le traité de 1922 et engage les deux pays « à ne pas se faire la guerre ni à recourir, directement ou indirectement, la force comme moyen de résoudre leurs problèmes » actuels ou futurs, ainsi qu’à « les résoudre par des négociations diplomatiques directes » ou, en dernier recours, devant la justice internationale. C’est pourquoi le Protocole de Rio de Janeiro a été invoqué par les deux pays pour justifier leurs décisions dans la situation actuelle.

La divergence actuelle est due aux changements dans le cours du fleuve Amazone qui, depuis les années soixante-dix, a accumulé des sédiments à hauteur de Leticia, capitale du département colombien de l’Amazonas, qui risque de se retrouver dans quelques années sans accès à ce cours d’eau en raison de l’émergence de nouveaux îlots. Le gouvernement colombien considère que l’île dite Santa Rosa, ainsi que d’autres formations fluviales apparues sur le cours de l’Amazone après la seule attribution binationale d’îles (…) réalisée en 1929, n’ont été attribuées à aucune des deux républiques. Cependant, le gouvernement péruvien considère que Santa Rosa est rattachée à l’île péruvienne de Chinería et qu’elle est donc soumise à sa souveraineté et à sa juridiction nationale, qu’il exerce depuis des décennies en totale harmonie avec ses voisins colombiens de Leticia. « La loi créant le district dit de Santa Rosa de Loreto est un acte unilatéral du Pérou qui ignore les instruments juridiques binationaux, en incorporant une île non attribuée… », indique une déclaration lue par le président Gustavo Petro jeudi lors d’une cérémonie à Leticia. Petro reconnaît que la solution prendra du temps et que, pour l’instant, la parole reviendra à la Comperif, qui se réunira à Lima les 11 et 12 septembre prochains.