« Re-encanto » et  « Israel et Mohamed » : deux spectacles du festival IN d’Avignon

Mayra Andrade est une artiste née à Cuba, ayant grandi au Cap Vert, et résidant actuellement au Portugal. Pour sa première venue au festival d’Avignon elle offre un concert voix et guitare avec Djodje Almeida, guitariste capverdien. Sur scène se dévoile la décoration intimiste d’un intérieur chaleureux : un tapis, une lampe, une dizaine de plantes vertes, un beau fauteuil, une table. Le décor est posé pour la chanteuse et son guitariste, un décor simple sur la scène de la somptueuse et majestueuse cour d’honneur du Palais des Papes.

Elle nous invite dans son salon, un intérieur extérieur, un boudoir ou l’on cause, où elle se livre simplement, où elle nous parle, chante et où elle se laisse inspirer par la majesté des lieux comme elle le confie au public en début de concert. Le ton est donné : nous voilà dans l’intimité de Mayra Andrade qui devant nous met en voix son histoire personnelle et oscille entre récit autobiographique et référence au monde actuel. Car ce spectacle est conçu et construit en une redécouverte et reprise d’anciennes chansons qu’elle a eu envie de réorchestrer et de proposer sous ce format du duo mettant à l’honneur voix et guitare acoustique. Ce concert devient un retour sur soi, une réflexion sur la permanence de certains thèmes et la résonance des mots au fil des décennies.

Entre histoire personnelle, relations humaines, et réflexions sur l’histoire de notre temps, ses mélodies nous enveloppent de douceur tout en défendant certaines causes qui lui sont chères. Elle évoque en particulier sa maternité et sa fille mais aussi son rôle de tante et ses neveux ainsi que l’importance de l’enfance dans la construction de soi. Elle s’interroge sur la conscience d’être, et dans une chanson dialogue avec sa conscience, lui rappelant l’importance de ne jamais fermer les yeux et de ne pas rester indifférente aux injustices du monde. Elle salue notamment le Cap Vert et les Capverdiens en rappelant l’indépendance récente de ce pays qui en célèbre les 50 ans. Elle chante contre les injustices et condamne le génocide en Palestine, position adoptée par de nombreux artistes dès le début du festival, artistes qui ont publié une tribune dans Telerama le 5 juillet 2025 puis ont manifesté et se sont exprimés individuellement ou collectivement sur les scènes et dans les rues d’Avignon. Le festival IN d’Avignon, qui invite la langue arabe pour cette édition 2025, se connecte ainsi à l’actualité qui secoue le Moyen Orient et l’ensemble de la communauté internationale.

Mayra Andrade parvient de façon inattendue en un claquement de doigts et en un mouvement de bras à dialoguer avec le public de cette salle comble et ce public réagit. Contre toute attente, l’intimité perdure malgré le grand nombre de spectateurs présents ici. Sa voix, tantôt douce et mélodieuse, tantôt puissante et grave, se fait onomatopée, cri, et devient animale parfois. Elle invite le public à adresser mots et sons aux civilisations extraterrestres qui pourraient être les destinataires des envolées vocales, ce qui crée un moment de communion étrange qui infléchit la majesté du lieu et le rend extrêmement humain.

Re-Encanto est un voyage sonore et mélodique en portugais avec une chanson en français au cœur de son histoire. Mayra Andrade parvient avec brio à occuper l’espace sans presque bouger, installée simplement dans son superbe fauteuil jambes croisées nous envoyant sa voix voluptueuse et solide et nous emmenant avec elle au-delà des murs du Palais, au-delà de sa propre histoire. Mayra Andrade, citoyenne du monde, offre à Avignon le temps d’une soirée une parenthèse enchantée qui restera gravée dans le cœur de ses compagnons de voyage d’un soir. 

Ce spectacle au titre oxymorique est né de la rencontre entre le dramaturge et comédien français Mohamed El Khatib et le danseur de flamenco espagnol Israel Galván. Le spectacle est une exploration croisée des relations entre chacun des artistes et son père, ce qui permet une mise en lumière de ces deux figures paternelles que beaucoup de points communs rapprochent.

Éducation à la dure, regard jugeant et négatif sur les choix des voies professionnelles des deux hommes, critiques récurrentes et absences de partages de moments doux dressent un portrait assez sévère d’une éducation traditionnelle et de la place du père au sein de ces familles. Dit ainsi, on pourrait penser assister à une tragédie, ou à un règlement de comptes psychologisant. Il n’en est rien. Car ce qui émane de ces prestations est une simplicité, un humour constant et un regard tendre sur ces deux pères desquels Israel et Mohamed se sont éloignés en traçant leur propre route.

Sur scène deux écrans sur lesquels sont projetées des entrevues réalisées auprès de chacun des pères et qui sont montées en alternance et en écho, insistant sur leurs points communs et suscitant le rire dans le public. À la manière d’un portrait chinois, des objets représentant leurs pères sont déposés sur chacune des deux tables, celle d’Israel Galván et celle de Mohamed El Khatib. Les artistes se livrent, évoquent chacun leur parcours, leurs difficultés et le font avec un humour qui ne faiblit pas.

Le rideau s’ouvre sur un échauffement footballistique et se ferme sur une danse de flamenco à deux. Entre temps une mosquée est dévoilée au-dessus du mur de ce cloître des Carmes. Ce spectacle est étonnant, frais, drôle, sans perdre une profondeur qui touche et parle à chacun des spectateurs. Mohamed El Khatib fait une lecture d’une ‘lettre à son père’ qu’il a écrite lui-même, lettre que celui-ci ne lira jamais, car il ne sait pas lire, mais qui atteindra des dizaines ou des centaines d’autres pères. Son père, dans l’une des vidéos, exprime son refus d’aller à Avignon assister au spectacle et espère que son fils dira un mot sur les enfants innocents de Palestine qui meurent en ce moment. Ici aussi sur cette scène du Couvent des Carmes l’actualité s’invite et nous rappelle que le théâtre sert aussi de tribune.

Si le propos ne se veut pas politique, comme l’ont confié les deux artistes lors de la matinale du festival au cloître Saint Louis le mardi 15 juillet au matin, si le titre du spectacle ne se veut pas politique non plus en ce qu’il reprend simplement leurs prénoms, impossible toutefois de ne pas y voir une forme de réconciliation des peuples, et un désir empreint d’espoir que tous partagent.

Le festival IN ce sont aussi des spectacles d’une humanité simple, drôles, mettant à l’honneur des artistes humbles et accessibles, que les spectateurs auront plaisir à suivre, à lire, à regarder et à écouter. Merci à Mohamed et à Israël pour ce spectacle qui a su rencontrer et séduire son public !