Accord Mercosur-Union Européenne : Accord coulé ?

La grogne des agriculteurs français a semé des mines flottantes autour du porte-conteneurs, « Europe et Mercosur ». La bataille navale, un temps suspendue par la covid-19 et les dévastations amazoniennes de Jair Bolsonaro, a retrouvé un cap belliqueux depuis quelques semaines. Va-t-elle torpiller l’accord Mercosur-Union européenne, péniblement trouvé le 28 juin 2019, et sortir des cartons après l’élection de Luis Inácio Lula da Silva à la présidence du Brésil le 30 octobre 2022 ? L’accord n’est peut-être pas coulé, mais il a bel et bien glissé en dessous de la pile des urgences.

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La mondialisation, philosophie économique et culturelle du moment, navigue de conserve avec la levée universelle des barrières douanières. L’Union européenne en a fait son étendard identitaire, en signant des traités de libre-échange tous azimuts. Pour ce qui est des Amériques, dont il est plus particulièrement question ici, elle a « traité », avec l’Amérique centrale, le Canada, le Chili, le Mexique, l’Équateur, le Pérou et la Colombie. Avec le Mercosur, le Marché Commun du Sud, les négociations se sont enlisées. Après des années de bla-bla, un compromis a été laborieusement trouvé en 2019. Mais signer n’est pas jouer. Encore faut-il, pour qu’il entre en vigueur, qu’il soit ratifié par le Parlement européen, ceux des pays composant le Mercosur et l’Union européenne.

La longueur des pourparlers est révélatrice de résistances, ici en Amérique du sud, comme là, en Europe. Outre-Atlantique les industriels ont peur d’être si l’on peut dire les dindons d’une farce qui n’a rien de comique ou d’appétissant. Le gouvernement argentin sortant, du péroniste Alberto Fernández, avait fait savoir fin 2023 qu’il refusait le traité en l’état, le considérant dommageable pour son industrie, et pour l’emploi. Mêmes craintes en Europe du monde agricole, français, hollandais, irlandais et polonais. Les organisations professionnelles françaises ont toujours été en première ligne, contestant les conditions inégales, à leurs yeux, de la concurrence. Produire en Europe, en France, suppose le respect de contraintes environnementales, ignorées, disent-elles, en Argentine, au Brésil, au Paraguay et en Uruguay. On notera que ces craintes sont aujourd’hui aussi reprises par les syndicats paysans espagnols, et de façon moins attendue par les petits producteurs, familiaux, brésiliens.

Le dossier a donc toujours été semé d’oursins, chacun soupçonnant l’autre partie de tricher sur les règles. Un jeu qui s’est bien compliqué au fil du temps. La France avait joué la montre avec succès en faisant vibrer la corde environnementale pendant les années Bolsonaro, au Brésil. La forêt amazonienne, avait martelé le chef d’État français sur tous les forums, est en danger. Cette vérité, malheureusement d’évidence, avait forcé la main aux plus chauds partisans d’une ratification rapide qui, pour des raisons électorales et idéologiques locales, portaient haut le drapeau écologique, et des forêts en péril. Allemagne, Espagne, Suède avaient donc suivi le panache vert du cavalier de l’Élysée. Un additif avait été ajouté à l’Accord, conditionnant la ratification au respect de la forêt amazonienne. Pour être bien comprise, la France avait ajouté quelques couches de vert, en 2023, histoire de montrer que Lula élu ou pas, il convenait de maintenir la garde. Un sommet des massifs forestiers tropicaux, « One forest summit », a été organisé en terres francophones, à Libreville (Gabon), les 1er et 2 mars 2023, sous la co-présidence d’Emmanuel Macron et Ali Bongo. Un deuxième, le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, s’est tenu à Paris, les 22 et 23 juin juin de la même année.

Le joker Amazonie a duré ce que durent les jokers. Le Brésil en élisant Lula, adversaire résolu de Bolsonaro, a d’entrée de jeu levé les interdits, en haussant lui aussi sa garde commerciale et environnementale. Lula à peine élu et pas encore au pouvoir s’est rendu à Charm El Cheikh en Égypte où se tenait la COP 27 le 16 novembre 2022. Il s’est présenté en défenseur convaincant de la forêt amazonienne et de la ratification de l’Accord UE-Mercosur. « Avec une déforestation en baisse de 49 % en dix mois » a déclaré Marina Silva, ministre brésilienne de l’Environnement, à Berlin, le 4 décembre 2023. « il n’ y a plus d’excuses pour ne pas signer l’accord ». 2023 a vu Lula alterner un chassé-croisé de propositions forestières avec Emmanuel Macron. L’un, Lula, ne s’est pas rendu à Libreville, les 1er et 2 mars, au « One Forest Summit », co-organisé par la France, l’autre, Macron, a boudé le sommet de l’OTCA (Organisation du Traité de Coopération Amazonien), organisé à Belém, en Amazonie brésilienne, les 8 et 9 août. 

Allemagne, Espagne, se saisissant de la victoire de Lula, président protecteur de l’Amazonie, ont remis la ratification de l’accord UE-Mercosur à l’ordre du jour européen. Le chancelier allemand, pressé par ses industriels en quête de marchés plus sûrs que ceux des deux Chines, et remplaçant celui perdu de la Russie, a fait plusieurs déplacements dans les Amériques. Il a pris langue avec Lula, qui a présidé le Mercosur au deuxième semestre 2023. Puis plus récemment avec l’Argentin Milei, salué comme un chantre de la démocratie, ayant opportunément d’un point de vue allemand, écarté le ministre de l’Économie du gouvernement sortant d’Alberto Fernandez, son opposant à la présidentielle, plus qu’hésitant sur le traité, comme vu plus haut. Olaf Scholz a remis ça le 14 janvier 2024. Selon les communiqués officiels les deux responsables ont confirmé, par téléphone, leurs convergences libre-échangistes. L’Espagne, qui présidait les destinées de l’Europe de juin à décembre 2023, a secondé, organisant un rendez-vous exceptionnel entre l’Union Européenne et l’Amérique latine.

La messe pourtant n’a pas été totalement dite. Les agriculteurs français, mais aussi allemands, espagnols, ont tiré une bruyante sonnette d’alarme. Les masques sont tombés. Plus personne, à Paris, comme à Berlin ou à Madrid, ne parle de la forêt amazonienne. Chacun tire sur la corde de ses intérêts. L’Allemagne, en difficultés, a un urgent besoin de marchés industriels. La France soumise à des revendications agricoles existentielles ne peut que les défendre. Le Paraguay, responsable du Mercosur de janvier à juin 2024, a fait valider une feuille de route exigeant une ratification « dans les plus brefs délais ». L’Argentine, en crise économique et financière, pousse à la roue, espérant attirer les investisseurs allemands promis par Olaf Scholz. De l’Argentine à l’Uruguay, du Brésil au Paraguay, les agro-industriels espèrent impatiemment l’ouverture de l’Europe communautaire.

Démocratie, droits de l’homme, environnement, fanions identitaires des Européens, bannière du Brésil « lulien », ont été balayés par le vent de crises touchant à l’estomac et au portefeuille des uns et des autres. Pour le reste, et au vu des circonstances de ce début d’année 2024, selon le commentaire d’Eric Mamer, porte-parole de la Commission européenne, repris dans la presse « mercosur », il ne faut pas attendre une ratification prochaine de l’accord. 

Rendez-vous est pris à Brasilia, un jour de mars 2024, entre le président français qui vient de signifier à Bruxelles l’urgence d’une suspension des discussions sur la ratification d’un traité qui doit être, selon lui, révisé, et son homologue brésilien qui a rendu visite au Chancelier allemand le 4 décembre 2023, et appelé à une rapide conclusion des procédures en cours.