El Salvador : Que penser du président Nayib Bukele ?

Au Salvador, le 4 février tranchera entre la popularité considérable du président Nayib Bukele et son manquement aux droits de l’Homme et à la Constitution même de son pays. Dans la même veine que la soumission de la Cour Suprême et l’imposition progressive de son autoritarisme, le jeune président quittait prématurément son poste pour jouer sur les actes constitutionnels et permettre le renouvellement de sa candidature aux élections 2024. Il semblerait cependant que le peuple salvadorien soutienne majoritairement sa présidence aux allures aussi modernes qu’autoritaires.

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Un président dans la vie des jeunes salvadoriens. Élu avec 53 % des voix en 2019, Nayib Bukele avait accédé à la présidence à seulement 37 ans, faisant de lui le plus jeune président d’Amérique Latine. Il a fondé son propre parti politique de la Grande Alliance pour l’Unité Nationale (GANA) en dénonçant le manque d’éthique de son ancien parti de gauche, le FMLN, et le représente au gouvernement. Bukele mettait par là fin à trente ans de division politique au Salvador. Son programme à la fois social et qui ambitionne de rétablir la sécurité dans son pays n’égalait cependant pas le succès de sa présence sur les réseaux sociaux et dans les médias. Nayib Bukele peaufine en réalité cette maîtrise de la communication depuis sa plus tendre enfance, qu’il tient de son père qui travaillait en tant qu’agent de publicité au service du gouvernement.

En ce début de mois février 2024, Nayib Bukele compte 5,8 M de followers sur le réseau social X (anciennement Twitter) et 6,2 M sur Instagram. Avant même de discourir en qualité de président devant l’Assemblée Nationale, le président fraîchement élu avait ainsi fait sensation dans la presse internationale en prenant un selfie au pupitre de l’ONU. Selon les codes régisseurs de la popularité médiatique, le président n’hésite pas à y exposer très régulièrement sa vie privée, ses opinions personnelles. Il ne manque d’ailleurs pas de les agrémenter de messages louant les dernières décisions gouvernementales prises, où son parti GANA fait légion, depuis les dissolutions et reformations forcées de ses instances depuis 2021. Les sondages réalisés par le média officiel d’État La Página assurent l’élection du président à plus de 89 % des votes. Lorsque les citoyens avaient été interrogés par le journaliste indépendant vénézuélien Oscar Alejandro sur la place San Salvador en mars 2023, ces derniers se montraient tous très satisfaits par le gouvernement du jeune président. Ils évoquaient en particulier la baisse de l’insécurité dans leur pays depuis la mise en place de l’État d’urgence le 27 mars 2022. 

À l’arrivée au pouvoir de Bukele, le pays était considéré comme l’un des plus dangereux du monde avec un taux d’homicide record de 38 pour 1000 000 habitants. Par la réduction de ce taux de plus de 70 %, la restauration et la sécurisation de lieux publics, le Salvador est devenu l’un des pays les plus sûrs d’Amérique Latine en 2023 avec un score de 2,28 au Global Peace Index. Le tourisme et le commerce interne y sont redevenus viables, contribuant à une croissance économique considérable depuis 2019. Le pays connaissait l’année dernière un taux de croissance de son PIB de 3,6 %. En 2022, le président proposait également la transformation d’un système de santé plus qualitatif et moderne cherchant ainsi à augmenter l’espérance de vie de son pays. Tous ces apparents progrès du gouvernement de Bukele ne permettent cependant pas d’ignorer les différentes alertes de la Foundation for Human Rights et d’Amnesty International concernant la violation des droits juridictionnels, droit d’expression et les violations aux lois constitutionnelles que le président s’est permis dans ce même temps. 

Dans la Constitution de la République du Salvador, il est inscrit dans au moins six articles l’interdiction formelle de réélire un président successivement à l’exercice de son premier mandat. Par la recherche de la brèche dans ce système démocratique, Bukele a fait jouer l’article 152 permettant la candidature d’un président ayant pris vacance de son poste au moins 6 mois avant la date des nouvelles élections. En plaçant à la tête du Salvador sa secrétaire personnelle, Claudia Rodríguez de Guevara, le président assure depuis juillet 2023 sa présidence en intérim et n’est plus responsable de l’exécutif depuis le 1er décembre, du moins officiellement.  En mai 2021, lors de l’évocation de cette nouvelle campagne du président, cinq juges de la Cour Suprême n’avaient pas manqué de rappeler les règles constitutionnelles et s’étaient vus par la même occasion démis de leur fonction, conduisant à la seule occupation de la salle par les juges alliés de Bukele. Ce tour stratégique lui a permis l’autorisation par l’Assemblée Constitutionnelle de se présenter à nouveau pour les élections qui se tiendront le 4 février 2024. 

Outre ce contournement constitutionnel, les observateurs du respect des droits de l’Homme mondiaux sont attentifs aux dénonciations d’abus de pouvoir des  manifestants de plus en plus nombreux contre le bafouement des droits de défense judiciaire des incarcérés et cherchant à libérer ceux que la police a arrêté et condamné sans aucune forme de procès depuis la mise en place de l’État d’urgence. Depuis lé début de son premier mandat en 2019, les forces militaires de Bukele ont arrêté plus de 62 000 individus. Après le décret de l’état d’urgence, le président avait entamé une guerre contre les gangs, pandillas, qui faisaient du Salvador l’un des pays les plus dangereux au monde.

Cependant, l’état d’urgence décrété pendant de longs mois a restreint les droits de défense des détenus et a permis la mise en place d’une surveillance d’État insidieuse, d’un espionnage accru de la population et par la même occasion d’une méfiance acerbe entre les citoyens. Amnesty International et la Foundation for Human Rights s’étaient surtout alarmés lorsque le président avait conduit l’armée lors d’une séance décisionnaire à l’Assemblée Législative en 2021, menant les députés à dénoncer un coup d’État du Président Bukele contre le fonctionnement de ses chambres étatiques. 

Les médias indépendants, presque par essence moins diffusés dans la presse internationale, tels que El Independiente et El Gato Encerrado, ne manquent pas depuis ces actes marquants de qualifier la gouvernance du jeune président de “dictature déguisée”. Par cynisme, le chef de l’État n’avait pas manqué de se renommer lui-même sur Instagram : “le dictateur le plus cool du monde entier”. Mais dans cette méprise, le président n’aurait-il pas justement donné des raisons à ses opposants lorsqu’ils s’inquiètent vis-à-vis de leurs droits fondamentaux ? 

Cinq candidats se présentent face au président en intérim. Il s’agit de José Renderos, Manuel Flores, Joel Sánchez, Luis Parada et Marina Murillo. Ils appartiennent respectivement aux partis du Frente Farabundo Martí para la Liberación Nacional (FMLN), de son opposant de droite de la Alianza Republicana Nacionalista (ARENA), ou encore du parti Nuestro Tiempo. Les derniers sondages réalisés par le Centre des Études sur les Citoyens de l’Université Francisco Gavidia attribuent 70,9 % des intentions de vote à Nayib Bukele ne laissant que très peu d’espérances à ses opposants. La majorité des Salvadoriens sont très satisfaits des réformes de sécurité que le président a menées. Les lieux publics sont à nouveau devenus accessibles aux citoyens sans crainte de vol et d’agression, les assassinats ont diminué, le nombre d’homicides ayant encore diminué de 60 % en 2023. Le trafic de drogue et la prostitution également se sont vus bannir des places publiques. De nouvelles prisons hautement sécurisées sont en construction. Certains Salvadoriens interrogés s’expriment même en faveur d’un mandat à vie du président tant qu’il permet une telle progression sécuritaire et économique de leur pays. D’autres, plus vigilants, n’oublient cependant pas de se méfier des allures de dictature que pourrait prendre l’affirmation d’un tel pouvoir et la punition de toute contestation. Peut-on déjà affirmer que Nayib Bukele représentera le Salvador jusqu’en 2029 ? 2034 ? Pour les élections, les Salvadoriens ne doivent pas oublier que l’expression des droits de tous, garantit ceux de chaque citoyen.