Argentine : 7 août ou 1er mai 2025 ? Saint Gaétan sermonne le président Milei

Une messe est célébrée dans l’église du saint, inaugurée en 1875, servie par l’archevêque de la capitale. Cette année, ce 7 août 2025, Mgr Jorge Garcia Cuerva, a pris le chemin de croix en raccourci pour dire haut et fort ce qu’il avait dans le cœur, et sans doute aussi l’estomac. Le pain a-t-il dit ne se refuse à personne. Et a-t-il ajouté en allusion directe au chef de l’État, « Beaucoup n’ont pas de thermomètre social, ils ignorent ce qu’endurent les Argentins moyens ». L’homélie n’avait rien d’improvisé. La Commission exécutive de la Conférence épiscopale argentine, deux jours avant la fête de San Cayetano, avait adressé un message « à notre peuple ». « La dévotion à San Cayetano », affirme-t-elle dans cette adresse, « exprime avec profondeur une foi qui ne se résigne pas à la souffrance ». (..) « En ce jour nous sommes invités à écouter la clameur de tant de nos frères et sœurs qui croient en la contribution au bien commun par le travail. (..) L’absence de travail blesse profondément la dignité des personnes (..) En économie, préserver le travail doit être une priorité absolue. Aucune mesure ne peut être vue comme positive au prix de la perte de leur emploi par les travailleurs [1]»

Une marche de plusieurs kilomètres, à l’issue de la messe, a conduit derrière les effigies du saint et de la patronne de l’Argentine, la vierge de Luján, ainsi que derrière les banderole des centrales syndicales, plusieurs milliers de pèlerins du social jusqu’aux portes de la Casa Rosada, la présidence argentine. Cette procession insolite a été parrainée par le Front pour la Souveraineté, le Travail Digne et des Salaires Justes, une intersyndicale composée de l’ATE (Association des Travailleurs de l’État), de la CGT, de la CTA des Travailleurs, de la CTA Autonome, de l’ACTT (Confédération Argentine des Travailleurs des Transports), l’UTEP (Union des Travailleurs et travailleuses de l’Économie Populaire). Le mot d’ordre œcuménique et social croisait les paroles du saint à celles des syndicats, « Terre, Toit, Paix, Pain et Travail ».

C’est l’approfondissement de la crise argentine, et la figure sociale du Pape François, Francisco, ancien archevêque de Buenos Aires, qui a permis en 2016 cette convergence de Saint Cayetano et des centrales syndicales. Cela faisait bien longtemps que Saint Gaétan avait permis de marier la foi populaire envers ce saint à vocation travailliste avec la doctrine sociale de l’Église. En 2016, date de la première Marche religieuse et syndicale, le chef de l’État, Mauricio Macri, défendait les mérites du libéralisme pour sortir l’Argentine de l’ornière. Au terme de son mandat, l’Argentine s’était lourdement endettée auprès du FMI, la pauvreté frisait les 40 % de la population active. La mandature d’Alberto Fernández, son successeur justicialiste, il est vrai plombée par le sinistre financier dont il avait hérité, n’a rien changé. Ce double échec économique, politique et idéologique, a porté au pouvoir un illusionniste du marché, supposé faire ruisseler sur la société les dollars arrachés à la tronçonneuse à un État posé inefficient.

L’ampleur de la manifestation syndicale et religieuse du 7 août 2025, a valeur de constat. Javier Milei, le président, a résolument réduit le périmètre de l’État. Un ministère de la « dérégulation de l’État » a été créé à cet effet.  Les services publics, culturels, d’éducation, de santé, la recherche, les retraites, les aides aux handicapés, ont été réduits à la portion congrue. Le capital étranger a vu s’ouvrir un Eldorado qui, vu des États-Unis, de Bruxelles ou des nouveaux pays Industriels d’Asie, Chine comprise, est qualifié, pudiquement et élégamment, de lieu d’« opportunités » d’affaires. La dernière de ces opportunités, prise le 6 août, concerne les entreprises internationales d’extraction de minerais qui ont été exemptées d’impôts. Parallèlement, pour équilibrer les comptes plombés par ces cadeaux, et rembourser la dette extérieure, Javier Milei oppose son droit de veto constitutionnel à toute remise à niveau des revenus perçus par les universitaires, les chercheurs, les retraités, les handicapés, rognés par l’inflation. L’hôte actuel de la Casa Rosada a cristallisé une Argentine en partie double. L’une, minoritaire, branchée sur les entreprises étrangères, et un peso surévalué, est une Argentine satisfaite. L’autre, celle qui a battu le 7 août le pavé de la longue avenue Rivadavia pour crier sa frustration sous les fenêtres de la présidence, est majoritaire.

Elle manifeste selon le propos d’un syndicaliste, Alejandro Gramajo, secrétaire général de l’UTEP, « pour mettre un frein à une politique de misère planifiée [2]». Il restera au parti péroniste et aux formations d’opposition, non ralliées à La Liberté Avance de Javier Milei, à comprendre comment ils ont laissé le champ libre à un personnage qui, selon le propos tenu par l’archevêque de Buenos Aires le 7 août à 11 h pendant la messe dédiée au saint, « refuse le pain à ceux qui en ont besoin », et « faute de thermomètre social ne connait pas le quotidien de l’Argentin moyen ».

Voyantes extralucides, magiciens en tous genres, pour attendre des temps meilleurs, font feu de tout bois, et moyennant finance proposent leurs services. Jimena La Torre, astrologue réputée, par exemple, recommande de capter l’énergie positive du saint, au moyen d’une bougie de couleur, d’un ruban de couleur identique, de la carte 7 tirée d’un jeu de poker, et de sept épis de maïs. Le tout doit être placé sur un petit autel devant une image de Saint Gaétan. Après avoir allumé la chandelle, le rituel est censé être infaillible.

Les syndicalistes, tout en se plaçant sous la bannière du saint homme, préfèrent la communion des 1er mai et du 7 août. Ils en appellent à la mémoire du Pape François, en « ce premier 7 août sans lui. Son empreinte et ses convictions nous encouragent à poursuivre la lutte pour une patrie sans exclus ni mis à l’écart [3]». Si « la stratégie du gouvernement », conclut le secrétaire général de la CTA Autonome, Hugo « Cachorro » Godoy, « est de nous fragmenter, nous, en commémorant San Cayetano, nous construisons l’union de tous les travailleurs ».

[1] Conferencia Episcopal Argentina, Mensaje de la CEA, Fiesta de San Cayetano, CEA N° 121/2025, 5 août 2025

[2] Dans Resumen Latinoamericano, 6 août 2025 ;

[3] Ramiro Berdesegar, dans infobae, 30 juillet 2025