Discours de Gabriel Boric le 11 septembre 2023

L’événement s’est déroulé sur la Plaza de la Constitución et a réuni plus de 3 000 personnes. Après les événements commémoratifs des 50 ans du Coup d’État, le Président de la République, Gabriel Boric Font, a présidé l’événement central organisé sur la Place de la Constitution, auquel ont participé plus de 3 000 personnes.

Photo : Prensa La Moneda

Bonjour à tous : Tout d’abord, je salue le peuple chilien qui nous accompagne sur cette place et depuis toutes les places. Je salue les groupes et organisations de défense des droits de l’homme ici présentes et tous ceux qui nous accompagnent en personne ou depuis leur domicile et leur lieu de travail. Que soient remerciés aussi nos invités qui sont venus, parfois de très loin, parfois pour quelques heures seulement, mais qui ont fait l’effort de nous accompagner parce qu’ils savaient combien c’était important pour nous et,  combien ce moment  avait été important pour eux .

Aux présidents par intérim Luis Arce de Bolivie, Gustavo Petro de Colombie, Andrés Manuel López Obrador du Mexique, Luis Lacalle Pou d’Uruguay, António Costa, Premier ministre de la République portugaise et Peter Tschentscher, président du Conseil fédéral d’Allemagne. Aux anciens présidents Ernesto Samper et Juan Manuel Santos de Colombie, à Laura Chinchilla du Costa Rica, à Felipe González d’Espagne, à Tarja Halonen de Finlande, à Pepe Mujica d’Uruguay et Massimo D’Alema d’Italie. Aussi, à tous les ministres des délégations officielles et officieuses, ceux qui représentent la culture, l’art, la musique, le rock et, aussi, la rébellion. Aux représentants des organisations internationales, aux militants venus de si loin pour nous rejoindre dans cette commémoration. Je remercie également d’ailleurs les autorités nationales, mes collaborateurs, les pouvoirs de l’État présents et, en particulier, l’ancien président Ricardo Lagos et l’ancienne présidente Michelle Bachelet.

Compatriotes, chers amis : Aujourd’hui, comme l’ont dit celles qui m’ont précédé, mais aussi avec un sourire inoubliable, Estela (de Carlotto), avec une immense émotion, Isabel (Allende), nous commémorons une date douloureuse et qui constitue sans aucun doute un tournant dans notre histoire, dans une histoire qui Il est communément admis qu’elle a apporté la mort, qu’elle a apporté souffrance, persécution et pauvreté à notre pays. Aujourd’hui, nous nous souvenons de ceux qui ont défendu la Constitution et les lois lorsqu’il y a cinquante ans, l’État de droit tombait, écrasé par la force des avions, des chars et des armes et par l’insolence de la trahison et de la sédition. Aujourd’hui aussi, nous portons dans notre cœur ceux qui, dès le premier jour, ont été persécutés pour leurs idées, sont morts ou ont disparu, ont connu la prison, la torture, la relégation et l’exil. C’est pourquoi il est très important de dire clairement que le coup d’État ne peut être séparé de ce qui a suivi, car dès le jour du coup d’État les droits de l’homme des Chiliens ont été violés.

C’est aussi le jour, chers compatriotes, de s’arrêter et de penser à ceux qui sont absents. Souvenez-vous avec amour et gratitude de ceux qui, dès le premier jour, se sont souvent dévoués de manière anonyme à sauver des vies. Reconnaissez également la solidarité internationale qui s’est manifestée dès les premières heures du coup d’État, souvenez-vous de tous ces anonymes qui ont protégé les persécutés et qui ont soutenu les faibles lorsque d’une minute à l’autre, toute la force de l’État s’est retournée contre eux.  C’est aussi, chers citoyens, une journée pour tirer les enseignements de ce que nous avons appris au cours de ces 50 années et pour renforcer ainsi notre coexistence. C’est pourquoi, comme l’a rappelé la sénatrice Isabel Allende, j’apprécie profondément qu’avec les anciens présidents chiliens encore vivants, Eduardo Frei Ruíz-Tagle, Ricardo Lagos Escobar, Michelle Bachelet Jeria et Sebastián Piñera Echenique, nous ayons signé ensemble le Manifeste pour la démocratie.

Toujours, parce que c’est dans la diversité et avec ceux qui pensent différemment avec qui nous pouvons construire une société meilleure. Je remercie également les dirigeants, anciens dirigeants et personnalités étrangères qui, dans le même esprit, ont signé l’Engagement de Santiago qui poursuit les mêmes objectifs dans une perspective globale, conscients que les menaces contre la démocratie ne se limitent pas aux frontières nationales. Cet engagement peut paraître limité, mais il ne l’est pas à notre époque, c’est un engagement important dans la mesure où il est assumé de manière transversale par ceux d’entre nous qui pensent légitimement différemment, car ce n’est qu’ainsi que nous pourrons prendre soin de la démocratie. C’est pourquoi aujourd’hui est aussi l’occasion de parler du présent et de l’avenir. Et comme je l’ai déjà dit, je suis d’un optimisme sans faille quant à l’avenir du Chili, de l’Amérique latine et du monde. Je sais que nous sommes confrontés à de nombreuses difficultés, que ces jours-ci la pluie frappe Chillán et ses effets sur Licantén, que la sécheresse a fortement affecté les républiques sœurs, que la pauvreté et les inégalités continuent de déchirer durement nos peuples dans toute de notre Amérique Latine.

Mais je veux vous dire, avec certitude et toute ma conviction, que si nous nous unissons, nous pouvons avancer, que lorsque nous parvenons à placer le bien-être de nos peuples par delà nos différences, le meilleur de nous triomphe toujours, et que le sourire latino-américain est contagieux et mobilisateur. C’est pourquoi, compatriotes, depuis ce Santiago, qui brille après la pluie, nous proclamons avec une grande conviction que la violence ne remplacera plus jamais le débat démocratique dans notre existence. Et aujourd’hui, nous disons devant le Chili et le monde : la démocratie, aujourd’hui et toujours. Ainsi, dans ce contexte, nous nous réunissons maintenant pour rappeler cette vérité inconfortable mais essentielle à laquelle nous devons faire face, celle qui nous dit que la démocratie n’est pas garantie et que nous devons chaque jour travailler transversalement pour la protéger. Quelles que soient nos différences et les circonstances, aussi grandes soient-elles, il existe un bien plus grand qui doit nous unir. C’est également le jour de rappeler que le défi permanent de la démocratie est de ne manquer jamais d’être attentif aux signes de frustration qui traversent l’ensemble de la société, en référence à la promesse d’un plus grand bien-être, d’égalité, de justice, de retraites décentes pour ceux qui ont travaillé toute leur vie pour reconnaître le travail non rémunéré des femmes, la répartition plus équitable des richesses, le respect de l’environnement, le respect de nos peuples autochtones, l’attention portée autant aux filles qu’aux  garçons de notre pays. Il est temps pour nous de pouvoir regarder au-delà, de relever la tête et de lutter pour prendre soin de notre démocratie. Le meilleur compromis n’est pas toujours la meilleure solution, nous devons utiliser la démocratie pour résoudre les problèmes du peuple et non les petits différends entre ses autorités.

Je veux vous inviter, Chiliens, et d’ici aussi ceux qui nous écoutent dans le reste du monde, à revendiquer la primauté et la validité universelle des droits de l’homme dans leurs dimensions juridiques, politiques et éthiques, et à revendiquer cette constitution qui nous a permis d’avoir pour la première fois des normes basées sur la dignité et la valeur de la personne humaine sans aucune remise en question et sans aucune différence. Et aussi, j’ose, en cette commémoration, renforcer l’apprentissage et la réflexion des forces progressistes et de gauche dans nos propres processus. La démocratie est le seul moyen d’avancer vers une société plus juste et plus humaine ; elle constitue donc une fin en soi, et non seulement un instrument, et la violence politique n’y a pas sa place. Les changements structurels auxquels nous aspirons doivent être soutenus par de larges majorités et il est de notre devoir de convaincre ces larges majorités de participer à ces processus et de ne pas blâmer nos propres échecs. Ni le monde ni un pays ne partent jamais de zéro, nous sommes toujours les héritiers de ce que nos ancêtres ont construit et nous devons pouvoir apprendre de leurs lumières et de leurs ombres.

Notre unité des forces progressistes est plus importante que la tentation d’une division identitaire permanente et peu importe la couleur du régime qui viole les droits de l’homme, qu’il soit rouge, bleu ou noir, ceux-ci doivent toujours être respectés et leur violation condamnée sans aucune nuance.  Comme l’a dit Estela, ce qui s’est passé en Argentine, ce qui s’est passé en Uruguay, ce qui s’est passé au Chili doit blesser ceux qui en ont été victimes, car en fin de compte, nous sommes une communauté. Pour cela, de plus, la souffrance des autres pays nous fait souffrir.Le coup d’État et la dictature chilienne, le bombardement de La Moneda et la mort du président Salvador Allende ont ébranlé des millions d’hommes et de femmes à travers le monde. Ceux qui avaient vu au Chili un espoir de changements profonds dans la démocratie et le pluralisme en faveur de la justice sociale, où avec cette célèbre phrase selon laquelle notre chemin, notre voie chilienne était « avec des empanadas et du vin rouge », et cela signifiait avec la démocratie, le pluralisme et la liberté,  une voie de changement en faveur de la justice sociale, toujours dans le respect des droits des minorités.

Après la tragédie, des pays du monde entier ont accueilli des milliers de nos compatriotes qui, du jour au lendemain, ont tout perdu et ont dû recommencer une nouvelle vie dans des lieux aussi éloignés et jusqu’alors étrangers tels que Malmö, Paris, Moscou, Maputo, Mexico, Caracas, La Havane, Sydney et bien d’autres lieux qui ont accueilli des réfugiés chiliens. Il s’agissait de compatriotes de Lota, Calama, La Granja ou Valparaíso qui sont arrivés dans ces lieux lointains grâce à la générosité, à la bravoure et au courage inestimable de nombreux  anonymes, des personnes qui, sans aucune obligation, ont décidé de sauver des vies. Aujourd’hui, comme nous l’avons fait hier à l’ambassade du Mexique, il y a quelque temps à Paris, comme nous l’avons fait avec la Suède ou encore au Venezuela, nous avons rendu hommage aux diplomates étrangers qui ont fait de leur mieux dans les moments très difficiles de notre histoire, qui  ont été confrontés à la peur et à la terreur, qui défiaient la dictature pour mettre un peu d’humanité dans les yeux des persécutés, de leurs conjoints et de leurs enfants.

Comme vous le savez, non seulement moi, mais une bonne partie de mon gouvernement, appartenons à une génération qui n’a pas connu le coup d’État et qui, dans certains cas, se souvient vaguement des fins de la dictature, car elle a été une dictature jusqu’à la fin et le 4 septembre 1989, Jécar Neghme est assassiné sur l’avenue Bulnes. Une génération qui se souvient des dernières années de la dictature ou des difficultés des premières années de transition, mais qui a bénéficié des avantages de la vie en démocratie. Tout comme moi, la majorité des Chiliens qui habitent aujourd’hui notre pays sont nés après le 11 septembre 1973. Quel sens cela a-t-il alors de se souvenir de quelque chose qui s’est produit il y a cinquante ans ? C’est pourquoi, depuis cette tribune, je veux m’adresser aux nouvelles générations, à ceux qui ont grandi ou sont nés dans la démocratie et qui, par conséquent, la considèrent comme allant de soi.

Je veux que nous sachions, que nous comprenions et que nous chérissions le sacrifice de ceux qui nous ont précédés dans la longue histoire de notre pays nous oblige à en prendre soin jour après jour. Et j’ invite  chacun de vous, à penser  non seulement sous forme de discours, mais réellement à chacun d’entre vous, à vos pères, à vos mères, à vos grands-pères ou à vos grands-mères ou encore à vos ancêtres les plus lointains. Pensez à ceux qui sont venus de la campagne à la ville, à la femme Pampina arrivée à Iquique au début du siècle dernier à la recherche d’une vie meilleure après les mines de nitrate. Aux ouvriers syndiqués, à qui  on a retiré leur droit au repos par une grève dans les années 1920. Aux  ouvriers, aux artisans qui ont appris à lire avec l’essor de l’enseignement public dans les années 1930. Aux  femmes, qui se sont courageusement organisées et ils ont revendiqué leur droit d’être des citoyennes à part entière dans les années 1940. Pensons, compatriotes, et chacun de vous a une histoire dans sa famille, un passé à retenir : aux familles paysannes, que ce n’est que dans les années 60 que le joug du fermage a été levé, après des siècles de ce nouveau type d’esclavage. Aux enfants malnutris qui, dans les années 70, ont reçu pour la première fois son demi-litre de lait et, aussi, aux jeunes des années 80 qui nous rejoignent aujourd’hui au gouvernement, qui ont lutté pour récupérer la liberté perdue. Pensons à la femme homosexuelle ou lesbienne qui, dans les années 90, exigeait que soit respectée son identité réduite au silence et longtemps bafouée.

La démocratie, chers compatriotes, est une construction continue, c’est une histoire sans fin et les bénéfices dont nous jouissons aujourd’hui, les libertés qui aujourd’hui peuvent paraître insuffisantes et si naturelles ont été obtenues et consolidées grâce aux efforts de ceux qui nous ont précédés et, à plusieurs reprises, et leurs souffrances. Pour cette raison, et particulièrement aux nouvelles générations, je vous invite à quitter les écrans, à lever les yeux et à vous demander : que faisons-nous aujourd’hui pour ceux qui viendront ? Depuis cinquante ans, cette avancée historique continue, parfois lente, parfois insuffisante, mais continue, des réalisations pour la dignité du peuple, était menacée et tronquée. Mais même dans la nuit la plus sombre, il y a eu ceux qui se sont battus courageusement et anonymement pour que nous ne perdions pas ce que nous avions avancé au prix de tant d’efforts, ceux qui ont gardé un petit morceau d’histoire à raconter, ceux qui ont enregistré une cassette et l’ont passée de main en main, ceux qui ont enterré leurs livres. Cela avait un coût qui, dans de nombreux cas, était trop élevé. Et tout comme nos propres blessures physiques, quand elles ne guérissent pas, la douleur demeure, mais en plus, les blessures du cœur, les blessures de l’âme, les blessures se transmettent de génération en génération.

C’est pourquoi nous avons aujourd’hui la responsabilité d’affronter ce qui s’est passé au cours de ces années avec vérité, justice et réparation, en assumant seulement les dettes du passé et en pansant véritablement ces blessures, ce qui ne peut être décrété par une lettre au journal ou par une interpellation. Pour les victimes, il sera possible de coexister en harmonie et de construire une société qui se projette humainement vers l’avenir. Nous savons que le coup d’État,  disons  le coup d’État, a profondément bouleversé la vie de tous les Chiliens, pas seulement de ceux qui étaient actifs dans les partis politiques de l’Unité populaire ou qui croyaient à l’Unité populaire. Un projet qui représentait cette alliance politique. Et c’est qu’un projet dirigé par un homme au parcours démocratique irréprochable, qui a été l’interprète de grands désirs de justice, qui a promis de respecter la Constitution et les lois et qui l’a fait, cet homme, Salvador Allende, pour son engagement, cinquante ans plus tard, le monde continue de lui rendre hommage et de le respecter.

Il y a parfois ceux qui nous poussent à cacher leur nom. Cependant, comme l’a dit Isabel, lorsque vous visitez pratiquement n’importe quel pays démocratique du monde, vous entendez le nom de Salvador Allende. Mais ce n’est pas tout, dans notre pays, et je raconte cela comme une expérience personnelle car, comme d’autres hommes et femmes de son temps, j’ai beaucoup voyagé à travers le pays, du sud au nord, et je me suis souvent retrouvé dans de petites villes, en des villages oubliés avec des gens qui me serrent la main et me disent avec émotion : « J’ai serré la main de deux présidents, Salvador Allende et aujourd’hui vous. » Et dans ces regards usés, dans ces  regards où l’on peut voir les larmes des souvenirs vécus et dans ces mains rugueuses qui serrent les miennes avec espoir, je ressens, Chiliens, le poids de la longue histoire de notre pays.

C’est pourquoi, en un jour comme aujourd’hui, il convient de rappeler tous ceux qui ont traversé cette histoire et il y a ceux qui ont accompagné et enduré la douleur du moment où elle a été interrompue, car nous savons qu’au milieu de la terreur, les organisations se sont levés, difficilement, avec des menaces, à qui nous rendons aujourd’hui hommage, comme par exemple le Comité Pro Paix, le Vicariat de Solidarité, la Fondation d’Assistance Sociale des Églises Chrétiennes, les groupes de proches de détenus disparus qui ont frappé à la porte, à toutes les portes disponibles  pour voir , les proches des prisonniers politiques, des exécutés politique, des relégués et des exilés, le Mouvement contre la torture Sebastián Acevedo, la Fondation pour la protection des enfants touchés  par les états d’urgence, l’Association chilienne des droits de l’homme Commission, le Comité pour la Défense des Droits du Peuple (Codepu), le Service Paix et Justice du Chili, la Commission Nationale pour les Droits de la Jeunesse, entre autres, non seulement à Santiago, mais dans tout notre pays. 

Cette responsabilité aurait cependant dû être assumée à tout moment par l’État. Et c’est pour cette raison que nous avons pris la détermination de faire un nouveau pas en avant et, comme nous l’avons dit il y a quelques jours sur cette même place, à ce jour nous ne savons toujours pas où se trouvent 1 162 compatriotes, femmes, hommes, adolescents, garçons et filles. Il est temps de corriger ces absences, de corriger les défauts, de réparer les dégâts pour nous projeter au-delà de notre douleur car, malgré l’effort que nous reconnaissons et valorisons qui a été fait à travers différentes instances extrêmement importants de l’époque, comme le Rapport Rettig  d’abord, ou la Commission Valech, plus tard, deux efforts louables, avec beaucoup de résistance à l’époque, ne l’oublions pas, mais qui ont été poussés par les présidents Patricio Aylwin et Ricardo Lagos à avancer dans la connaissance de la vérité historique et à contribuer, à partir de là, à la justice et combattre, petit à petit, l’impunité et ainsi faire avancer des enquêtes judiciaires qui ont trop duré, mais qui se poursuivent encore aujourd’hui.

Cependant, la vérité est que l’État doit faire davantage pour obtenir les réponses que le pays mérite et dont il a besoin pour guérir, car, chers compatriotes, quand nous manquons un détenu porté disparu, ce n’est pas seulement le fils ou la fille, ce n’est pas juste une sœur ou un père ou un ami ou un compagnon, mais c’est une absence qui nous affecte et nous déchire tous. La recherche de justice ne peut donc pas dépendre exclusivement des efforts des familles et de leurs proches ; elle est un devoir incontournable de l’État. L’État les a fait disparaître et l’État doit se charger de savoir où ils se trouvent. Et c’est précisément l’objet du Plan National de Recherche, Vérité et Justice, qui est le jalon institutionnel que nous avons voulu donner à cette commémoration. Et comme hier nous avons avancé en demandant pardon au Président Aylwin dans la lecture du Rapport Rettig ; de la même manière que le Président Frei a tenté d’avancer, à l’époque, en générant des cas de rencontres entre les proches des victimes et les forces armées ; tout comme le président Lagos a créé la Commission Valech ; ou bien la présidente Bachelet a ouvert de nouvelles portes auparavant fermées ; Ou, tout comme le président Piñera a parlé de complices passifs, cela vaut la peine que, dans nos différences, nous soyons capables de reconnaître ceux qui, pensant différemment, ont également apporté leur contribution. Aujourd’hui, notre Gouvernement entend laisser en héritage ce Plan National de Recherche, Vérité et Justice, qui est l’étape institutionnelle que nous avons voulu donner à cette commémoration, une politique publique permanente qui transcendera ce Gouvernement, qui a été construit avec les groupes des proches des détenus disparus et qui espère contribuer à réparer, dans une certaine mesure, les dégâts causés il y a si longtemps, mais qui sont toujours en vigueur. Chiliennes et Chiliens : l’expérience douloureuse du coup d’État et de la dictature a profondément marqué des générations de Chiliens.

Et c’est pour cette raison que nous  répétons avec insistance, « Plus jamais ». Et c’est pour cette raison que cela nous a indigné lorsqu’il y a seulement quelques années, également dans notre pays, les droits de l’homme ont été bafoués dans le cadre de l’épidémie sociale. Par conséquent, sans essayer de donner des recettes ou de donner des leçons à qui que ce soit, nous voulons transmettre au monde notre histoire, ce qui nous est arrivé et ce que nous pensons pouvoir être des leçons. La première chose que nous avons apprise est que le passé compte effectivement lorsque l’on regarde l’avenir, que la façon dont nous prenons en charge et guérissons les blessures nous permet de nous reconnaître comme faisant partie de la même communauté et que, comme nous l’avons vu au Chili, cela n’a pas été le cas, pas encore pleinement concrétisé et nous devons redoubler d’efforts dans ce sens, même si cela nous coûte, même si cela nous fait du mal.

Nous pouvons être une société meilleure si là où régnaient le silence et la dissimulation, il y a maintenant la vérité, si là où il y avait des crimes et des tortures il y a la justice, si là où existait la cruauté il y a maintenant la compassion, l’affection, la justice et la réparation, et si là où il y avait hier il y avait déni, il y a aujourd’hui une reconnaissance des crimes commis dans le passé. Nous avons, dans l’ensemble, appris à valoriser la démocratie en termes absolus car, en dehors d’elle, il n’y a ni liberté ni dignité possibles et nous continuerons d’insister inlassablement sur le fait que les problèmes de la démocratie peuvent toujours être résolus et résolus avec plus de démocratie et qu’un coup d’État ou une violation des droits humains de ceux qui pensent différemment ne sont jamais justifiables. Et c’est pour cela que nous nous révoltons lorsqu’on nous dit qu’il n’y avait pas d’autre alternative, bien sûr qu’il y en avait une autre et demain, lorsque nous connaîtrons une autre crise, il y aura toujours une autre alternative qui implique plus de démocratie et pas moins.

Pour conclure, chers compatriotes, l’engagement qui nous anime aujourd’hui doit aller au-delà de la situation du moment, nous devons être capables de penser l’avenir que nous construisons. Par conséquent, l’engagement inébranlable en faveur de la démocratie et du respect des droits de l’homme est important et transcendant, car les générations plus âgées ne seront pas là éternellement pour défendre la mémoire de leurs morts ou de ce qui leur est arrivé et les histoires qu’on ne raconte plus  s’oublient. C’est donc  un long moment dans l’histoire et c’est à nous de transmettre également aux nouvelles générations ce qu’ont vécu nos ancêtres. La démocratie et les droits de l’homme doivent être appropriés et valorisés par chaque nouvelle génération.

Acceptons-le ensemble, reconnaissons les défis qu’il nous présente, prenons en charge ses complexités et témoignons lui un peu plus d’affection, moins de méfiance, regardons un peu plus dans les yeux et voyons que, même si nous pensons différemment, nous avons plus de points d’accord que ceux que nous semblons croire. Parce qu’une démocratie, son bienfait, est qu’elle permet aux différences légitimes de s’exprimer et de se résoudre dans la paix et sans violence, une démocratie efficace pour écouter, respecter et, bien sûr, répondre aux préoccupations et désirs de ses citoyens pour le plus grand nombre. L’inclusion, la sécurité, la justice sociale et une répartition plus équitable des richesses, que tout cela soit considéré comme une construction permanente.

J’invite, d’ici, les Chiliens de toutes générations et ceux qui nous accompagnent de l’étranger, à continuer de rêver d’un Chili et d’un monde plus démocratique, plus juste, plus inclusif, plus égalitaire, plus durable et plus aimable. Un monde où, comme le chantait Violeta Parra, nous pouvons supposer que la chanson de chacun est notre propre chanson. Avec les rêves d’hier toujours valables, avec l’énergie brûlante d’aujourd’hui, avec la certitude d’un lendemain fort, disons, encore une fois, avec amour, pour ceux qui ne sont pas là, avec reconnaissance à ceux qui sont ici avec nous aujourd’hui et avec douceur pour ceux qui feront ce rêve.  Le passé ne se reproduira pas : la démocratie, aujourd’hui et toujours. Merci beaucoup. 

Traduit par Françoise COUEDEL