Les six pays qui composent les BRICS avec six nouveaux membres dont l’Argentine : un virage politique ?

Le 15e Sommet annuel des chefs d’État composant les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) s’est déroulé du 22 au 24 août 2023 à Johannesburg. L’Argentine, avec cinq pays d’Afrique et du Moyen-Orient, rejoint ce cercle de pays dits du Sud global. Une institution leur est commune depuis 2015 : la Nouvelle Banque de développement (BND) présidée par Dilma Rousseff, ex-présidente du Brésil. Les candidatures du Venezuela et de Cuba n’ont pas été agréées. Que faut-il retenir de ce Sommet pour les pays d’Amérique latine et l’évolution de la scène internationale ?

Photo : Maroc-Days

L’intégration de six pays aux BRICS, à compter de 2024, va conduire à rebaptiser l’ensemble élargi qui ne totalisera pas moins de 46 % de la population de la planète et 36 % du PIB mondial. En intégrant des pays aussi divers que l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Iran, l’Égypte, l’Éthiopie et l’Argentine, on voit que le poids des pays producteurs de pétrole, pour certains très riches, s’est accru. Mais ce n’est ni le potentiel économique ni les ressources en énergie qui font le trait d’union entre ces pays. Si cela était le cas, l’Algérie et le Venezuela auraient été admis. C’est pourtant sur ce potentiel que Nicolás Maduro, le président vénézuélien, insiste dans son message aux BRICS, après le rejet de la candidature de son pays: « Le Venezuela vient ajouter sa demande à celles des autres pays qui cherchent à intégrer les BRICS, en apportant à ce modèle d’intégration mondial, les plus grandes réserves de pétrole certifiées au monde. » L’Argentine entre dans les BRICS bien qu’elle connaisse, comme le Venezuela, une crise économique et sociale aiguë qui la met en difficulté avec le FMI. Le Brésil appuyait cette candidature, ce qui ne devrait pas réjouir le Mexique.

Le message envoyé par ce Sommet serait-il moins économique que politique et géopolitique ? Une chose est certaine : aucun pays occidental n’en fait partie ni même n’a été invité comme le président français le souhaitait pour la France, sans succès. La dimension non- occidentale ressort également des messages tenus par le président brésilien Lula da Silva qui souhaite une « dédollarisation » des échanges commerciaux internationaux et la fin de la prééminence des pays occidentaux dans les instances de direction du Conseil de sécurité de l’ONU, du Fonds monétaire international (FMI)  et de la Banque mondiale (B.M). «Nous espérons prêter de 8 milliards à 10 milliards de dollars », a indiqué Dilma Rousseff, présidente de la BND. Notre but est que 30 % de nos prêts soient libellés en devises locales.»

À titre de comparaison, selon la Banque de France, les ressources totales du FMI sont d’environ de 1310 Milliards USD et celles de la Banque mondiale de plus de 60Mds de dollars. Les moyens en prêts et dons mis à disposition des BRICS et des pays en développement par la BND est loin d’être à l’échelle de leur poids économique et démographique. L’entrée de l’Arabie saoudite en quête d’une influence mondiale pourrait améliorer la donne dans les années à venir.

La création d’une monnaie propre aux BRICS reste un objectif lointain, mis à l’étude pour le Sommet 2024 prévu en Russie. L’internationalisation du yuan, la monnaie chinoise, a plus de chance de s’amplifier aux côtés du dollar et de l’euro,  les grandes banques centrales ayant déjà acté la réalité de la mondialisation éclatée en diversifiant  leurs réserves de devises.

Finalement, la position de la Chine en faveur d’un élargissement a prévalu. Sa domination dans le groupe et son leadership mondial s’en trouvent confortées. L’absence du président Vladimir Poutine, menacé d’arrestation pour crimes de guerre en Ukraine n’est pas bon pour le statut international de la  Russie qui accumule les déconvenues militaires, économiques et diplomatiques sur la scène internationale. La puissance économique de la Chine en fait l’assureur de la BND, installée à Shanghai, unique institution de cet ensemble de pays hétéroclites d’un point de vue économique, diplomatique et politique. Cette hétérogénéité ne semble pas pouvoir assurer « un avenir radieux » aux BRICS, contrairement à ce qu’a déclaré le président chinois.

La rhétorique anti-occidentale semblait être le ciment du Forum à cinq, avivée par Poutine et Lula dans le contexte de la guerre menée contre l’Ukraine. Cette rhétorique a des chances de baisser le ton avec l’entrée des nouveaux pays aux intérêts divers et qui commercent avec tous les pays. Du reste, les États-Unis n’ont manifesté aucune irritation à l’endroit des BRICS élargis. Il est vrai qu’à part l’Iran, les pays qui rejoignent les BRICS ont tous des relations importantes avec les pays occidentaux. De manière concrète, la communication politique des BRICS montre pourtant une certaine efficacité sur la scène mondiale. L’Amérique latine comme ensemble n’y est pas à son avantage si on compare ses profits à ceux qu’en tire le continent africain.

En effet, à l’unisson, les présidents américains et français souhaitent l’intégration permanente de l’Union africaine au G20, forum intergouvernemental des pays aux économies les plus développées . On notera que la communauté des États latino-américains et Caraïbes (CELAC) en tant que telle n’est pas mentionnée, même si le Brésil et le Mexique font partie du G20.

D’autre part,  « le président des États Unis, Joe Biden, va plaider pour muscler les capacités de financement du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale lors du prochain sommet du G20 en Inde », a fait savoir mardi son conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan. Lors de cette rencontre, qui se tiendra les 9 et 10 septembre, le président américain veut « vraiment consacrer beaucoup de son énergie à la modernisation des banques de développement multilatérales, y compris la Banque mondiale et le FMI », a-t-il assuré lors d’un échange avec la presse (Le Figaro, 22 août).

Les BRICS augmentés montrent que de nombreux pays agissent en acteurs « multi cartes », selon les opportunités du moment et leurs intérêts. Ils sont adeptes d’une diplomatie fluide, font en quelque sorte du « en même temps » qui mine l’opposition binaire du temps de la guerre froide, opposition que le Brésil et le Venezuela ont gardé comme référence . Enfin, on verra s’il faut se réjouir de voir la compétition entre la Chine et les États-Unis se jouer sur une augmentation des fonds financiers mis à disposition de projets de développement.

Maurice NAHORY