Le nouveau long métrage de Kleber Mendonça Filho, L’agent secret, est de ces œuvres qui ne cessent de surprendre au fur et à mesure qu’on les découvre. Il s’agit d’une méditation sur le passé dictatorial du Brésil et sa corruption endémique d’alors autant que d’un vrai thriller.
En 1977, un certain Armando arrive dans la ville de Recife, au Brésil, en affichant cet air préoccupé propre à ceux qui ont des choses à cacher. C’est que cet homme voyageant sous un nom d’emprunt est membre d’un réseau clandestin d’opposants au régime militaire en place. Venu récupérer son jeune fils confié à des grands-parents, Armando est à son insu la cible de tueurs à gages. Méditation sur le passé dictatorial du Brésil, dénonciation de la corruption endémique d’alors et thriller politique haletant, L’agent secret fut le film le plus primé à Cannes cette année.
Le moins on en sait sur les circonvolutions non linéaires de ce film lauréat du Prix de la mise en scène, du Prix d’interprétation masculine, du Prix de la critique internationale et du Prix des cinémas art et essai, le mieux. Pas de divulgâcheur, donc. « J’étais très attiré par l’idée de retourner dans le passé », raconte Kleber Mendonça Filho, rencontré au festival international du film de Toronto. « Dans le cadre de mon précédent film, Pictures of Ghosts [Retratos fantasmas], qui porte sur ma ville natale de Recife et auquel j’ai consacré de nombreuses années de recherche, j’ai réuni énormément d’informations, mais j’ai surtout vécu plein d’émotions. J’ai ainsi constitué une sorte “d’album de famille” de la ville. C’est sur cette base que j’ai construit L’agent secret. »
La séquence d’ouverture est éloquente. Au terme d’un superbe mouvement de grue, on arrive à la hauteur d’un automobiliste venant de faire halte dans une station-service perdue. Sur le sol, non loin de là, gît un cadavre recouvert d’un carton. Et le garagiste de banaliser la chose en actionnant la pompe. Lorsqu’un policier arrive, le garagiste se réjouit qu’on vienne enfin ramasser la dépouille. Or, le policier n’est là que pour soutirer un « droit de passage » à l’automobiliste.
Le mort, aussi apparent qu’un gros tas de poussière balayé sous un tapis, attendra. Bref, d’emblée, tout est là, du côté macabre aux accents satiriques, en passant par l’air mystérieux dudit automobiliste. Il s’appelle tantôt Armando, tantôt Marcello. Homme au passé énigmatique, le voici qui débarque à Recife, la capitale brésilienne de Pernambuco. L’y accueille une logeuse semblant être membre de quelque réseau clandestin d’opposition au régime militaire. Des éclaircissements viendront, mais par l’entremise de situations et d’allusions, et non d’explications : un atout. Veuf, Marcello est là pour récupérer son fils, dont s’occupent depuis un moment les grands-parents maternels. Mais Marcello est un homme traqué. De fait, deux tueurs à gages, dont un ex-capitaine de l’armée, sont à ses trousses. Dans L’agent secret, hormis la corruption constante qu’il filme, Kleber Mendonça Filho aborde les iniquités socio-économiques dans son pays, enjeu déjà au cœur de ses précédents films Aquarius et Bacurau (celui-là coréalisé avec Juliano Dornelles).
Le cinéaste revisite en outre plusieurs lieux et thèmes de Pictures of Ghosts (Retratos Fantasmas), film expérimental dans lequel il fusionnait archives, fiction, souvenirs et extraits de films, en un hommage à la ville de Recife et à sa salle de cinéma, où le cinéaste découvrit le 7e art, enfant. L’établissement en question occupe d’ailleurs un rôle central dans L’agent secret, qui multiplie les clins d’œil. D’ailleurs, dans le volet thriller du film, Kleber Mendonça Filho, un ancien critique de cinéma, rend plusieurs hommages (parfaitement intégrés) à Brian De Palma, à Martin Scorsese (Goodfellas /Les affranchis), et surtout, à Steven Spielberget à son Jaws (Les dents de la mer), une jambe retrouvée dans le ventre d’un requin devenant un élément narratif récurrent (et à un moment, délirant).
Les cinéphiles qui suivent Kleber Mendonça Filho craindront peut-être une « déradicalisation » de son cinéma au vu de ce qui est de loin sa mise en scène la plus spectaculaire. Ce serait mal connaître le cinéaste, qui conclut avec un épilogue aussi honnête… qu’anti-spectaculaire. Pour mesurer l’ampleur du brio technique et narratif déployé, voir L’agent secret une fois, ce n’est pas assez.
D’après la presse cinéma
L’agent sécret (On Agente Secreto) par Klber Mendoza Filho avec Wagner Mourra, Gabriel Leone, Maria Fernanda Cândido – 2 h 40min | Drame – Policier


