Indignation en Uruguay contre un projet de data center Google, sur fond de crise hydrique 

Depuis plus de trois ans, l’Uruguay subit une sécheresse sévère. Selon les médias locaux, il s’agit de la pire depuis quatre-vingts ans, ou encore de la crise de l’eau potable la plus importante de l’histoire du pays. Alors que de l’eau salée coule désormais du robinet, la population s’indigne contre un nouveau projet très coûteux en eau : un data center de Google. 

Photo : El Diario

L’Uruguay est réputé pour avoir une des eaux les plus pures au monde. Pourtant, depuis quelques mois, c’est une eau au goût de sel et de javel qui s’écoule des robinets de Montevideo. Le pays n’échappe aux épisodes de sécheresse intenses qui touchent l’Amérique latine dans le contexte du changement climatique. Certains réservoirs d’eau sont ainsi presque vides depuis le mois de mai 2023. C’est le cas de celui de Paso Severino, situé à 80 kilomètres environ de la capitale. Abreuvant la moitié des 3,5 millions d’habitants du pays, le réservoir d’eau douce n’offrait plus que 2 % de ses capacités au début du mois de juillet. Les dernières gouttes de Paso Severino sont en outre menacés par un projet de data center de Google. Cette potentielle installation du géant américain, qui se situerait à mi-chemin entre la capitale et le réservoir, consommerait beaucoup d’eau pour rafraîchir ses serveurs.

Les habitants de l’Uruguay passent outre leurs maux de tête causés par l’eau trop salée pour s’indigner devant le manque d’anticipation et les récentes décisions des pouvoirs publics, notamment en lien avec le projet de Google. « De l’eau pour le peuple !« , « L’eau est à nous ! » scandent les manifestants. Ils frappent de mécontentement le sol avec des bouteilles en plastique vides. Ils écrivent « pillage » sur les murs de la capitale pour décrire leur sentiment de dépossession et de détresse. Ce sont plusieurs millions de litres d’eau qui seraient nécessaires au fonctionnement quotidien du data center : l’équivalent de la consommation d’une ville de cinquante-cinq mille habitants. 

Sous pression, le gouvernement fait quelque peu machine arrière, en assurant que le projet initial avait été retiré au profit d’une plus petite installation consommant moins d’eau. Cependant, différents membres du gouvernement ont tenu des propos contradictoires à ce sujet. Et si Google a assuré que le projet n’était qu’en phase de conceptualisation et que des ajustements étaient prévus, les témoignages flous des responsables du projet prouvent qu’il n’est pas prêt d’être abandonné. L’entreprise affirme dans son rapport de développement durable 2023 qu’elle « évalue et prend en compte le stress hydrique local pour décider de l’emplacement des installations« .  Néanmoins, elle ne semble pas disposée à faire de concessions sur ce projet : l’éventualité d’un approvisionnement des systèmes de climatisation en eaux usées, ce qui est le cas de vingt-cinq pour cent de ses data centers, ne semble pas être considérée. 

Google n’est pas la seule entreprise pointée du doigt sur ces sujets en Uruguay ces dernières années. « Seule une infime partie de l’eau en Uruguay est utilisée pour la consommation humaine. La majeure partie est utilisée pour les grandes industries agroalimentaires, telles que le soja, le riz et la pulpe de bois » a expliqué Daniel Pena, chercheur à l’université de Montevideo, au Guardian. La société finlandaise UPM a ainsi lancé la plus grande usine de pâte à papier au monde en Uruguay en 2023, avec une utilisation d’eau estimée à cent vingt-neuf millions de litres par jour.

Aux intérêts des entreprises s’ajoutent l’inertie des pouvoirs publics. Plusieurs projets autour de la gestion des ressources en eau du pays ont été portés par les autorités par le passé. Ce fut le cas de la retenue d’eau de Casupá, ou encore du projet Neptuno, une source d’approvisionnement alternative à la rivière Santa Lucía, qui ont tous deux été abandonnés. Aujourd’hui, elles n’ont désormais plus le choix face à la crise. C’est ainsi que l’état d’urgence sur les ressources hydriques a été annoncé par le président Luis Alberto Lacalle Pou le 19 juillet, permettant de réaliser plus rapidement certains travaux d’infrastructures sans devoir nécessairement remplir toutes les formalités administratives. 

Les pouvoirs publics ont ainsi ordonné au mois de mai de détourner les eaux de l’estuaire partagé avec l’Argentine, le Río de Plata, où l’eau douce des fleuves Paraná et Paraguay rencontrent l’eau salée de l’océan Atlantique. Les taux de concentration de sodium et de chlorure dans l’eau coulant au robinet des Uruguayens sont ainsi depuis plusieurs mois plus de deux fois supérieurs à ceux recommandés par l’OMS, alarmant la population quant à la nocivité d’une telle eau pour les personnes enceintes, celles souffrant d’hypertension ou encore de maladies cardiaques ou rénales. L’État a néanmoins octroyé aux personnes vulnérables la possibilité d’obtenir gratuitement deux litres d’eau minérale par personne et par jour gratuitement sur ordonnance. Il a également annoncé la suppression des taxes sur les bouteilles d’eau minérale pour tous les habitants qui voient leurs factures mensuelles augmenter… « Je n’aurais jamais pensé avoir peur de boire l’eau de Montevideo » a confié la maire de Montevideo, Carolina Cosse, au quotidien El Observador

Le niveau d’eau est remonté à 15 % des capacités du réservoir de Paso Severino grâce aux pluies depuis la mi-juillet. Mais si le président a promis qu’il n’y aurait pas de coupures et que l’approvisionnement serait assuré, il a précisé que la qualité de l’eau pouvait encore se dégrader à l’avenir… Les épisodes de sécheresse risquent de se répéter mais les Uruguayens ne pourront pas trouver d’eau sur Google. 

Julie DUCOS