L’ex-président bolivien Evo Morales interdit d’entrée au Pérou pour « intervention » dans les affaires politiques

Le ministère de l’Intérieur péruvien a annoncé « l’interdiction d’entrée dans le pays par tous les postes de contrôle migratoires pour neuf ressortissants boliviens, dont Monsieur Evo Morales. » Accueilli à bras ouverts par le kirchnerisme en Argentine, l’ancien dirigeant syndical des producteurs de coca se prépare à diriger depuis Buenos Aires un organisme lui permettant d’étendre ses activités en Amérique latine.

Photo : La Paz News

Le climat explosif qui marque la scène politique péruvienne, après la destitution du président de gauche Pedro Castillo, constitue pour Evo Morales une aubaine pour continuer à pêcher en eaux troubles.  Mais pour ses détracteurs, dont certains l’accusent de terrorisme politique, l’Indien Aymara ex-président est allé trop loin en exprimant son soutien aux manifestants contre le gouvernement intérimaire de Dina Boluarte, et notamment ceux de la région aymara de Puno, voisine de la Bolivie.

En outre, le ministère de l’Intérieur péruvien l’accuse d’être l’instigateur d’un mouvement déstabilisateur, composé de citoyens de nationalité bolivienne, qui ont pénétré dans le pays avec l’objectif de « mener des activités de prosélytisme politique ». Et pour preuve, le gouvernement a récemment dévoilé la présence sur son territoire d’une douzaine de dirigeants politiques, proches de l’ex-président bolivien, qui se sont rendus au Pérou, en trente occasions, entre 2021 et 2022.

Selon le rapport de la Superintendencia Nacional de Migraciones, parmi eux se trouvent des députés et des ex-fonctionnaires de son gouvernement mais aussi, ce qui est plus grave encore, des membres de son parti, le Mouvement pour le Socialisme (MAS). Toutefois, cette « intervention » –directe ou indirecte –  évoquée par les autorités péruviennes ne date pas d’hier. En effet, dans un sempiternel mouvement qui tente de rassembler la gauche latino-américaine depuis des décennies, et du même coup les producteurs de coca de différents pays, Evo Morales est resté très actif dans la politique péruvienne depuis l’élection de Pedro Castillo, en juin 2021. 

Or, l’éviction de ce dernier, après sa tentative de dissolution du Parlement, a asséné un coup imaginable au projet expansionniste de l’ancien producteur de coca. L’interdiction d’entrée au Pérou cependant, au lieu de le dissuader, le rend plus fort encore aux yeux de ces acolytes. Ainsi, l’ex-président bolivien (2006-2019), qui s’est rendu au Pérou pour la dernière fois en novembre 2021, contre-attaque et accuse notamment l’élite de droite : « Alors que les groupes oligarchiques de droite au Pérou tentent de nous intimider avec des mensonges et des accusations insoutenables, la répression brutale se poursuit contre les frères et sœurs indigènes qui réclament la justice, la démocratie et la récupération de leurs ressources naturelles, a-t-il écrit sur Twitter avant d’ajouter que « le Pérou profond s’est réveillé ».

C’est dans ce contexte de quasi-guerre civile au Pérou (quarante morts et plusieurs centaines de manifestants blessés depuis l’arrestation de Pedro Castillo) que l’ex-président bolivien prépare sa nouvelle stratégie depuis la capitale argentine. Après l’effervescence provoquée par la victoire à la coupe du monde de football, alors que les Argentins ne se sont pas encore réveillés face à une situation socio-économique pour le moins préoccupante (ce pays incarne bien la célèbre locution de Juvénal panem et circenses), Morales vient d’annoncer la création, à Buenos Aires, d’un organisme coordinateur destiné à défendre ses intérêts dans la région.

Il s’est montré circonspect en ce qui concerne les participants à cette réunion qui aura lieu le lundi 23 janvier. Mais depuis la capitale bolivienne, ces représentants assurent que les principaux mouvements de cocaleros de différentes origines ont été convoqués (Pérou, Équateur, Colombie), sans toutefois donner le nom de certaines organisations basées dans d’autres pays. C’est Morales, lui-même, qui a rendue publique la création de ce front pro-cultivateurs de coca dans une perspective de revendication des droits des peuples autochtones à défendre leur propre culture. Et pour certains analystes, le choix de la date de cette réunion inaugural n’est pas anodine : « c’est un signe de plus que ses relations avec le président Luis Arce sont très affectées, puisqu’il n’a pas été invité aux célébrations de l’arrivée au pouvoir du Mouvement pour le socialisme (MAS), qui auront lieu le 22 janvier », suggère Humberto Vacaflor Ganam.

Dépité par l’attitude de son dauphin et ex-ministre de l’Économie et des Finances publiques, Morales a dit que ce jour-là il sera à Buenos Aires avec ses « amis péronistes » et que le lendemain « il aura le plaisir de créer l’instrument régional qui lui permettra de consolider une plus grande portée pour ses opérations et pour les peules plurinationaux de l’Amérique latine ». Pendant ce temps, Ronald Atencio, l’ancien avocat de l’ex-président Pedro Castillo (qui se trouve actuellement en détention provisoire à Lima), a mené une action en habeas corpus contre le bureau de Migration péruvien afin de faire annuler l’interdiction d’entrée de Morales dans le pays. De son côté, Alberto Otarola, le président du Conseil des ministres (appelé à tort Premier ministre par certains médias), a clairement laissé entendre les sentiments que la figure d’Evo Morales suscite dans son gouvernement : « Nous ne permettrons à aucun président, ni ex-président, ni leader politique, ou n’importe quel personnage, de s’ingérer dans les affaires de l’État […] au détriment de la tranquillité de trente-trois millions de Péruviens. »

Eduardo UGOLINI