Au Honduras, un taux d’homicides exceptionnellement bas et la radicalisation de la lutte antigang

En ce début d’année, le Honduras annonce fièrement que son taux d’homicides est au plus bas depuis 16 ans : 35,79 pour 100 000 habitants. La présence de maras ou pandillas, gangs dont la violence fait rage en Amérique centrale, fait de la criminalité un véritable enjeu dans ce pays, l’un des plus dangereux du monde. Au Honduras et chez ses voisins, différentes politiques sont mises en place pour lutter contre ce fléau, parfois en dépit des droits de l’Homme.

Photo : Vistazo

En janvier 2022, l’arrivée au pouvoir de la présidente élue Xiomara Castro a marqué un premier tournant. [1]Première femme à la tête du pays, son arrivée au pouvoir a rebattu les cartes d’un système politique corrompu. Elle a fait de la violence généralisée, de la corruption et de l’impunité ses chevaux de bataille, affichant une volonté de réformer, ou bien plutôt de rétablir, la justice.

Les chiffres de criminalité ont commencé à baisser dès les premiers mois, et des actions fortes ont été menées. L’ancien président Juan Orlando Hernández a, par exemple, été extradé aux États-Unis pour des faits de corruption et de narcotrafic. Des réformes structurelles pour redonner confiance dans les institutions et dans la police ont été mises en place, imitant le Nicaragua et son système de police de proximité qui, avant le tournant répressif de 2018, était le pays avec le taux de criminalité le plus bas d’Amérique centrale. Suivant l’exemple de son voisin, le gouvernement hondurien impulse donc une ambitieuse refonte de la police, annonçant la démilitarisation d’une partie de celle-ci et la création de brigades de proximité.

Mais, le véritable tournant a été pris en décembre dernier. Alors que le voisin salvadorien adopte depuis quelques mois une politique radicale contre les gangs, qui a mené à l’arrestation de près de 2 % de sa population adulte[2], le gouvernement hondurien est sous pression politique, taxé d’inaction par une partie de sa population notamment en ce qui concerne l’extorsion. Début décembre, le Honduras, suivant les pas du président du Salvador Nayib Bukele, déclare alors « l’état d’exception », pour trente jours, dans 162 quartiers. Dans ces zones-là, des garanties constitutionnelles ont été suspendues. Cet état d’exception met entre parenthèses des libertés individuelles, la liberté d’association et de réunion, la libre circulation des personnes, l’interdiction des arrestations sans mandat et le droit « de ne pas être arrêté pour des motifs ne résultant pas d’un crime ». Une vague d’arrestation sans précédent a eu lieu : 570 membres de Mareros ont été détenus, et le taux d’homicides a baissé significativement, avec notamment 105 morts violentes de moins qu’en décembre 2021.

Si cette mesure semble être efficace statistiquement et à court terme, de nombreuses ONG alertent sur les atteintes aux droits de l’Homme qu’implique cette politique, que le gouvernement hondurien a annoncé avant-hier vouloir prolonger de quarante-cinq jours supplémentaires. C’est le cas par exemple de l’association Human Right Watch. Juanita Goebertus Estrada, directrice de la division Amériques de cette ONG, a déclaré que la décision de la présidente Xiomara Castro de suspendre partiellement les droits fondamentaux était inquiétante. Les associations honduriennes qui s’occupent de la jeunesse sont particulièrement soucieuses. Le réseau COIPRODEN, qui se dédie aux droits de l’enfance et de la jeunesse au Honduras, se déclare contre cette mesure et affirme que « la violence n’est pas seulement un problème de sécurité publique, mais qu’elle est associée à de multiples facteurs d’inégalité sociale, économique, politique, culturelle et environnementale. » Santiago Avila, directeur de l’Association des jeunes contre la violence au Honduras, exprime lui aussi ses craintes : « Nous sommes très préoccupés par le fait qu’ils pourraient capturer des jeunes qui sont des leaders communautaires, des jeunes qui développent des processus de trêve et de considération. »

Le vrai succès de cette mesure est en fait politique. Au Salvador, la popularité du président atteint les 88 %, et ce malgré le bafouement des droits de l’Homme. Au Honduras, l’effet semble similaire. Certaines arrestations ont été mises en scène et diffusées comme un véritable show. Une mesure radicale comme celle-ci est populaire, mais elle ne règle évidemment pas tous les problèmes. Le taux d’homicides au Honduras reste malgré tout un des plus hauts de la planète, quatre fois supérieur à la moyenne mondiale et les féminicides ont continué d’augmenter. Comme l’explique Mary Malone, spécialiste des politiques centraméricaines à l’université de New Hampshire, pour The Guardian, une déclaration forte comme celle de l’état d’exception plaît à court terme puisque cela semble efficace, mais une mesure comme la réforme de la police qui a été mise de côté depuis ce tournant radical, couplé avec des politiques visant à réduire la pauvreté et les inégalités, les racines de la violence, serait sans doute plus bénéfique à long terme.

Marie BESSENAY


[1] https://www.espaces-latinos.org/archives/103531

[2] https://cnnespanol.cnn.com/2022/12/15/el-salvador-poblacion-adulta-guerra-pandillas-trax/