Après un premier tour mouvementé, c’est finalement l’ancien banquier Guillermo Lasso qui a été élu ce dimanche avec 52,36 % des voix contre 47,64 % pour son rival Andrés Arauz, le dauphin de Rafael Correa. Il succédera au très impopulaire Lenín Moreno le 24 mai prochain.
Photo : Clarin
C’est un changement de cap idéologique qui semble avoir été amorcé ce dimanche en Équateur avec la victoire de Guillermo Lasso, un homme d’affaires conservateur membre de l’Opus Dei. Pour la première fois depuis 14 ans, le candidat associé au ‘’corréisme’’ s’est vu obligé de concéder la victoire à la présidence du pays. En effet, après les dix années au pouvoir de Rafael Correa (2007-2017) c’est son ancien vice-président Lenín Moreno qui lui avait succédé grâce à un programme s’inscrivant dans la même ligne politique. Celui-ci avait cependant rapidement fait volte-face en instaurant des politiques d’austérité drastiques et un rapprochement avec le FMI qui avaient provoqué un soulèvement populaire fortement réprimé en octobre 2019.
Le jeune économiste Andrés Arauz, bien que peu connu, semblait destiné à ramener le ‘’corréisme’’ au pouvoir grâce au soutien de l’ancien président, privé d’élections depuis sa condamnation par contumace dans une affaire de corruption. Son fervent opposant, le candidat de la droite conservatrice Guillermo Lasso, briguait quant à lui la présidence du pays pour la troisième fois consécutive. En faisant campagne sous le slogan « ¡Lasso Es Cambio! » (Le changement c’est Lasso !) il avait choisi de se présenter comme le candidat de la rupture face au mandat très contesté de Lenín Moreno, bien que son parti CREO ait été l’un des plus gros soutiens du président sortant à l’Assemblée ces dernières années.
La victoire ne semblait pourtant pas gagnée d’avance pour l’homme d’affaires originaire de Guayaquil. Après le premier tour, Andrés Arauz restait le grand favori avec 32,7 % des voix tandis que Lasso s’était péniblement imposé avec 19,74 %, soit seulement 0,35 de plus que le troisième candidat, le leader Kañari-Kichwa et militant écologiste Yaku Pérez (parti Pachakutik). Celui-ci, après un recomptage partiel des bulletins qui a duré plusieurs semaines, avait contesté le résultat, dénonçant une manipulation visant à l’empêcher d’accéder au second tour. Une plainte qui n’avait finalement pas été prise en compte par le CNE (Conseil National Électoral) faute de preuves. Mais si sa colistière Virna Cedeño avait déclaré son soutien à Lasso au second tour et Jaime Vargas (président de la Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur, CONAIE) à Arauz1, Pérez lui, avait appelé ses électeurs à voter blanc. Une décision importante dans ce pays où les communautés autochtones représentent 7 % de la population et sont historiquement très mobilisées politiquement autour de la CONAIE et de sa branche politique, le parti Pachakutik.
Difficile donc d’estimer la trajectoire adoptée par les 13,1 millions d’électeurs de Pérez au second tour bien que le pourcentage de bulletins blancs ait atteint les 16 %, un score sans précédent dans ce pays où le vote est obligatoire. Critiqué par les électeurs de Pérez pour ses positions en faveur de l’extractivisme et son conservatisme sur les questions de genre et d’égalité, Lasso semble plutôt devoir sa remontée fulgurante à un brusque changement de stratégie de communication, plus tourné vers la jeunesse, et au soutien des électeurs de Xavier Hervas, arrivé quatrième au premier tour avec 15 % des voix.
Celui qui s’est déclaré « prêt à faire de l’Équateur une terre d’opportunités » prendra donc la suite de Lenín Moreno le 24 mai prochain et devra notamment composer avec les conséquences sociales et économiques de la pandémie de Covid-19 qui a très durement touché le pays. Avec près de 12 000 décès depuis début 2020 et l’arrivée des variants, notamment brésilien, qui pourrait aboutir à une situation aussi critique que lors de la première vague, l’obtention de vaccins restait l’une des principales préoccupations des électeurs. Lasso a d’ailleurs promis une campagne massive pour les 100 premiers jours de son mandat avec pour objectif la vaccination d’au moins 9 millions de personnes.
Côté économie, le pays a également enregistré des résultats catastrophiques en 2020 où le PIB a chuté à – 7,5 % et le taux de chômage est passé de 5,3 à 3,8 %, tandis que le pourcentage de personnes vivant sous le seuil de pauvreté continue d’augmenter. Pour améliorer la situation, Lasso avait présenté pendant la campagne un programme ambitieux, promettant de créer 2 millions d’emplois dans le pays, principalement en doublant la production de pétrole, la première source de revenus du pays, au détriment des revendications écologiques poussées par une partie de la population. Décidé à maintenir le très controversé prêt de 6,5 milliards de dollars accordé par le FMI en 2019, Lasso a également pour objectif d’éliminer le déficit budgétaire du pays et de signer de nouveaux accords commerciaux avec les États-Unis et la Chine.
Mais ces mesures risquent d’être difficiles à mettre en place pour le futur président qui n’a pu obtenir que 12 sièges à l’Assemblée nationale (31 en cas d’alliance avec le Parti social-chrétien) et se trouvera donc en minorité face aux 48 élus de l’UNES d’Andrés Arauz et aux 26 représentants du Parti Pachakutik mené par Yaku Pérez. S’il veut réellement tourner la page du gouvernement Moreno et de sa gestion catastrophique de la pandémie, Lasso devra donc trouver le moyen d’arriver rapidement à un consensus national dans un paysage politique divisé.
Elise PIA
1 Leurs déclarations de soutien ont d’ailleurs provoqué l’exclusion de Cedeño et Vargas du Parti Pachakutik qui avait proclamé le vote blanc comme ligne de conduite en soutien à Pérez et la fraude dont il s’estime victime.