À Lyon la 9e édition du festival de théâtre internationale Sens Interdit du 10 au 31 octobre

Cette année, Sens Interdits clôt un cycle, porté par un souffle nouveau. Celui d’un théâtre qui n’oublie pas et qui avance. Il s’ancre dans l’héritage pour mieux s’en affranchir. Il puise dans les récits de ruptures, de filiations, d’arrachements, mais aussi de réinventions, de luttes et de réappropriations. Avancer sur un fil, toujours en déséquilibre. Se réinventer. Se faire confiance. Telle est la teneur de cette 9ᵉ édition. À l’heure où le monde semble atteindre les limites de l’effroi et de la violence, où les repères vacillent, une nouvelle barbarie surgit pourtant chaque jour, nous rappelant que l’indicible peut toujours être dépassé. Les murs que les organisateurs ont tenté d’abattre — ceux qui séparent les peuples, les histoires et les mémoires — laissent aujourd’hui place à d’autres murs. Ceux de l’indifférence, du déni et de la déshumanisation. À Gaza, en Ukraine, au Congo, au Chili, au Liban et dans tant d’autres endroits, les cris des populations sont noyés dans le vacarme des armes. Les regards d’enfants se perdent dans l’ombre de l’exil. Et les voix des opprimés sont ensevelies sous les décombres du silence.

Parce qu’il est temps, plus que jamais, de faire du théâtre un lieu de résistance où la douleur se dit à voix haute. Les frontières politiques s’effacent. Les histoires intimes se partagent. Sens Interdits a l’espoir que l’art peut encore réveiller, rassembler, nommer ce qui dérange, faire la part belle à celles et ceux qu’on voudrait faire taire, et faire vibrer ce qui en nous refuse de se résigner. C’est un festival de voix. Singulières et différentes. Palestiniennes, ukrainiennes, congolaises, chiliennes, argentines, rwandaises, libanaises, taïwanaises, russes, chinoises, brésiliennes… Des voix parfois fragiles, mais toujours tenaces. Des voix qui portent la vie à bout de souffle. Pleines de souffle.  

Pendant trois semaines, les scènes de théâtre deviennent des tribunes. Des lieux de partage, de débat et d’émotion. Des espaces vivants où l’on pense, où l’on s’émeut, où l’on s’indigne. Ensemble. Venez écouter ce que le monde a à dire. Venez changer de regard. Venez rêver avec nous. Venez résister.

Après une longue absence, Tiziano Cruz retourne à ses terres et sa communauté, le peuple quechua et aimara. À la recherche de Wayqeycuna (“mes frères à moi”), l’artiste mêle histoire familiale et rituels ancestraux pour interroger l’ordre néolibéral et colonial qui l’a éloigné de ses racines. Face au deuil, la poésie, les images et la musique dessinent un chemin vers la réconciliation avec une mémoire et un corps à soi.

Wayqeycuna est une ode dédiée aux frères de sang et aux ancêtres de Tiziano Cruz, ainsi qu’à sa soeur décédée. C’est ce deuil qui le pousse à entamer ce grand voyage documentaire, autobiographique et poétique au plus profond de soi mais aussi du collectif. Seul sur scène, entouré d’objets quechua, Tiziano Cruz s’envole vers les hauts plateaux du Jujuy dans le nord de l’Argentine tandis que les paysages et les visages de personnes qu’il y a rencontrées défilent derrière lui. Habité par son peuple depuis des siècles, ce territoire se fait la chambre d’écho de la résistance culturelle dans un contexte d’effacement des cultures indigènes. Wayqeycuna est l’acte conclusif de la trilogie Tres Maneras de cantarle a una montaña, qui interroge la place du corps indigène dans la société argentine.

Confiné dans son appartement à Santiago, Malicho Vaca Valenzuela a récolté les histoires d’autres habitants de la ville. En a résulté un collage, une carte hybride du Chili, de son Histoire, de sa mémoire collective et de ses traumatismes. Reminiscencia reproduit cette enquête : les souvenirs des autres défilent, tandis que Malicho Vaca Valenzuela tente de les relier par la poésie, l’Histoire et les vues aériennes de la ville.

Reminiscencia est un spectacle malgré lui, né d’un appel à témoignages sur les réseaux. Le numérique est au centre : le metteur en scène est assis devant son ordinateur, l’écran est projeté sur le mur de la scène. Les images se superposent et se mêlent à la voix de Malicho Vaca Valenzuela qui raconte doucement les histoires qui lui ont été confiées, qu’il relie à la mémoire de sa grand-mère en train de s’effacer.
Chacune entre en résonance avec de grandes questions qui traversent la société chilienne : mémoire de la dictature, combat pour les droits humains, révolutions réprimées… Mais il y a aussi le quotidien, les amours, les histoires de famille, les paysages. Tout en sobriété, Malicho Vaca Valenzuela “questionne notre passé par le détail” et dessine les contours de la mémoire collective chilienne.