« Chagrin d’un chant inachevé – Sur la route de Che Guevara » par François Henri Désérable aux éd. Gallimard

« Cet automne-là, les taux d’intérêt étaient en baisse, les prix de l’immobilier en hausse, ma famille, mes amis s’inquiétaient : est-ce qu’il n’était pas temps que j’investisse dans la pierre ? Avec un peu de chance et un banquier indulgent, je pouvais peut-être m’endetter sur trente ans (mon âge à l’époque). Je n’en avais ni les moyens ni l’envie. Signant un acte de vente, j’aurais eu la sensation de signer mon propre registre d’écrou — et de voir ma liberté circonscrite à quelques mètres carrés. Et puis un appartement, ça se meuble ; aux meubles, il faudrait toujours préférer son sac de voyage. »

François-Henri Désérable nous embarque dans une formidable traversée de l’Amérique du Sud. Cinq mois à moto, en stop, en bateau, avec une seule contrainte : emprunter l’itinéraire qui fut celui d’Alberto Granado et d’Ernesto « Che » Guevara, lors du fameux voyage à motocyclette, soixante-cinq ans plus tôt. De Buenos Aires à Caracas, en passant par le Chili, le Pérou et la Colombie. C’est le voyage qu’effectua en 1951 le jeune étudiant en médecine Ernesto Rafael Guevara, futur “Che”, et c’est sur ses traces qu’est parti François Henri-Désérable, cinq mois durant, en stop, en moto et en bateau, pour écrire son sixième roman Chagrin d’un chant inachevé

Après avoir parcouru l’Iran en pleine répression du mouvement Femme, vie, liberté il y a deux ans pour son livre L’usure d’un monde, l’écrivain, révélé par Evariste (2015) et Un certain M. Piekielny (2017) livre un nouveau récit de voyage. L’auteur voudrait tout y dire, tout y écrire et reconnaît lui-même les limites de son entreprise. Il serait même prêt à ne faire que ça, voyager, accompagné des auteurs qui l’ont nourri et qu’il cite dans ces pages.

L’avis de Johan Faerber : « Ce livre prend le voyage comme un projet d’écriture, comme une contrainte oulipienne. Ce voyage est d’abord dépolitisé et le récit est alors celui d’un touriste, avec des passages très vides, où rien n’est dit à part des blagues de khâgneux ou des aphorismes littéraires. Puis le récit décolle et devient très riche en posant une question politique assez passionnante : comment raconter un voyage progressiste avec un style néoclassique ? Le récit fonctionne vraiment mieux quand il s’abandonne à la littérature, avec des pages formidables, d’une rare réussite, lorsque Désérable se livre à la pure joie de raconter, par exemple, la découverte du Machu Picchu, ou l’histoire de l’homme qui a tiré sur Che Guevara. Finalement, ce n’est pas une écriture de voyageur, c’est l’écriture de quelqu’un qui prend plaisir à se remémorer, à reconstruire un récit. Une très belle surprise qui augure du meilleur pour la suite. »

L’avis de Virginie Bloch-Lainé : « J’ai beaucoup aimé ce livre qui, contrairement à ce qui est écrit sur sa couverture, n’est pas un énième livre sur Che Guevara. L’auteur ne se place pas tant que ça dans ses pas et ne le mentionne qu’à petites doses, de façon non chronologique. Il voyage pour ne pas se regarder le nombril et ça fonctionne, il parle de lui avec humour et sans ennuyer le lecteur. Il parle aussi de ses rencontres, de ce qu’il voit, avec un équilibre entre un certain lyrisme et un ton plus quotidien. Il y a de très jolis arrêts sur images, par exemple sur ce Suédois qui photographie les couchers de soleil et veut coucher avec une femme autochtone de chaque pays qu’il traverse. L’enthousiasme de l’auteur est très touchant, avec ce mélange de classicisme et de joie juvénile. Il voudrait voyager tout le temps et ne jamais revoir les lieux qu’il a déjà vus. »