Après quatre mandats consécutifs, depuis janvier 2007, les représentants des forces du ciel se trouvent de plus en plus enserrés dans la poigne de fer de Daniel Ortega. Plusieurs membres de l’Église ont été emprisonnés ou poussés à l’exil ces dernières années. La fenêtre de la Chine en Amérique centrale reste fermée aux vents contraires qui font souffler sur Managua le Vatican et les pays respectueux des valeurs démocratiques.
Photo : DR et La Croix
Président de la république de 1985 à 1990, en fonction depuis dix-sept ans, José Daniel Ortega Saavedra, né paradoxalement dans la commune La Libertad, est aujourd’hui le « plus agressif des dictateurs envers l’Église ». L’évêque hondurien José Antonio Canales évoque ainsi les dictatures qui ont bafoué les droits civiques en Amérique latine. Cela dans le passé, mais aussi dans l’actualité avec ces deux autres régimes dictatoriaux, à Cuba et au Venezuela, qui constituent avec le Nicaragua le trident du diable implanté depuis trop longtemps dans la région.
Dans ce contexte, à mesure que la tyrannie nicaraguayenne intensifie les vagues de répression, notamment depuis les célébrations du 43e anniversaire de la fondation de la police, en septembre 2022, les forces du ciel envoyées par Rome semblent rester sans voix pour prêcher la Bonne Nouvelle (litt. « Évangile »). L’évêque Canales n’a cessé de dénoncer harcèlements, arrestations et exils forcés dont ont été victimes les séminaristes, prêtres et d’autres membres du clergé sous le crépusculaire régime Ortega-Murillo (Rosario Murillo Zambrana, sa « sorcière » femme vice-présidente). « Nous ne sommes pas habitués à ce genre de choses, c’est nouveau pour nous. Il y a eu beaucoup de dictateurs en Amérique latine, mais aucun ne s’était montré aussi agressif avec l’Église que ces gens qui sont illégalement à la tête du Nicaragua », a-t-il déclaré depuis le pays voisin, le Honduras.
Selon un prélat qui a tenu à garder l’anonymat, l’Église du Nicaragua est « vulnérable et en danger » : « Jusqu’à présent, nous n’avons constaté aucune volonté de ralentir les persécutions, bien au contraire. On a l’impression qu’ils veulent éradiquer le catholicisme. » Ce témoignage date de novembre 2022 où, après des exils imposés et l’arrestation de quatre prêtres et deux séminaristes à El Chipote (la prison des opposants politiques), de nombreuses églises et une cathédrale ont été privées de la Parole divine. Ces derniers mois, les griffes de la répression se sont resserrées davantage autour des activités religieuses, qui ont été interdites avant la suspension des relations diplomatiques avec le Vatican.
Le 19 août dernier, le régime a ainsi annulé le statut juridique de 1500 associations à but non lucratif parmi lesquelles plusieurs organisations catholiques. Depuis la sanglante crise sociopolitique qui a secoué le pays en avril 2018 (350 manifestants tués), environ 250 membres de l’Église ont été contraints à l’exil ou carrément expulsés du Nicaragua, selon le rapport « Nicaragua ; une Église persécutée ? » de Martha Patricia Molina. Ce chiffre fourni par cet avocate en exil, qui se consacre à la surveillance de la persécution de l’Église catholique au Nicaragua, représente 25 % des prêtres du pays qui étaient officiellement reconnus par la Conférence Épiscopale du Nicaragua (CEN). L’étude menée par Molina rapporte « 870 attaques de la dictature de Daniel Ortega et Rosario Murillo » contre l’Église.
La Chine et le « bizness » des ressources minières
Dans ce contexte délétère pour les délégués de Rome, l’ancien guérillero sandiniste vient de signer une nouvelle concession minière aux entreprises du géant asiatique. Au cours de ces derniers huit mois, trois sociétés ont bénéficié de treize concessions dans le cadre d’obscures et sommaires procédures (dont certaines ont été approuvées deux mois après avoir été demandées). Ce système de concessions expéditive « n’est pas normale » pour le biologiste Amaru Ruiz, exilé depuis 2021 après avoir été accusé de crime de diffusion de fausses nouvelles : « Nous ignorons s’il existe des études d’impact environnemental avec l’attribution de ces concessions. Nous considérons qu’elles n’existent pas en raison du délai dans lequel ils délivrent la concession, qui est vraiment très court par rapport aux autres processus d’autres entreprises », dit le président de la Fundación del Río, qui figure parmi celles supprimées par le régime.
Le 12 août, Daniel Ortega a signé une nouvelle fois avec la Chine une concession à ciel ouvert (3 628 hectares) dans la municipalité de San Juan de Limay, département d’Esteli, au nord du pays. La dictature sandiniste a ainsi déjà octroyé autour de 300 concessions minières, lesquelles couvrent l’équivalent d’un cinquième de son territoire. En 2023, avec un total de 1 158,6 millions de dollars, les exportations ont augmenté de 22,4 % par rapport à l’année précédente. À la tête du commerce mondiale, la Chine convoite ainsi ardemment les richesses naturelles du continent latino-américain, cette région de la planète de tous les superlatifs capable de lui fournir les matières premières indispensables pour maintenir sa croissance. En une seule année, les entreprises chinoises ont réalisé des investissements de plus de 23,5 milliards de dollars, selon le china Global Investment Tracker. Un autre réfèrent en la matière (China OFDI Monitor en Latin America) rapporte que, depuis 2000, la Chine a investi le chiffre faramineux de 172 milliards de dollars en Amérique latine.
Première économie mondiale depuis 2016, un ancien président français l’avait déjà annoncé le 26 octobre 2006. Dans un discours à l’université de Pékin, Jacques Chirac considérait la Chine comme une candidate sérieuse à la direction des affaires du monde. Or, en Amérique latine cette progression de la présence chinoise, couplée aux investissements de ses associés totalitaires russes et iraniens, se révèle pour le moins inquiétante. C’est le sentiment partagé aussi bien par les spécialistes que par l’opinion publique, en ce qui concerne le respect, à terme, des principes démocratiques dans la région dont le Nicaragua et son régime totalitaire semble être la parfaite illustration.
Aussi, ce flux continu d’argent rend dangereusement dépendants les pays – et les dirigeants politiques –qui en bénéficient. Par exemple, certains analystes affirment que la Bolivie, toujours en proie à de féroces luttes intestines, est déjà une province de la Chine, et Jair Bolsonaro, lors de sa campagne présidentielle, déclarait que « la Chine achète le Brésil ». Rappelons que la pénétration de Pékin en Afrique, depuis les années 1990, a donné naissance au terme « Chinafrique », et que le malheureux candidat à la présidence argentine Sergio Massa (2023) a outrageusement parlé d’« Argenchine » après un accord signé avec l’empire du Milieu. Dans ce jeu d’échecs qu’est la stratégie globale impérialiste, l’expansion exponentielle du terrain de chasse du grand dragon asiatique, en apparence à des fins commerciaux, ressemble à une avancé de ses pions géopolitiques dans l’historiquement perçue comme la chasse gardée des États-unis. Par conséquent, en suivant cette logique peut-on s’attendre à voir l’ère de la doctrine Monroe devancée par celle de la doctrine Xi Jinping ? Dans le courant des prochaines décennies, l’Amérique latine ne risque-t-elle d’être rebaptisée « Amérique lachine » ?
Eduardo UGOLINI