Brésil : le silence du président Lula inquiète la communauté juive

Un silence « regrettable » et « frustrant » selon la Confédération israélienne du Brésil. Luiz « Inácio Lula » da Silva est accusé de « prendre le parti » de la théocratie répressive menée par l’Iran. Le gouvernement brésilien a appelé à « un maximum de retenue » aux pays concernés face à l’escalade d’un conflit armé qui semble inéluctable. Un message vidéo patibulaire émis par un imam est devenu viral.

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Il avait été qualifié d’« homme politique le plus populaire de la terre » par l’ex-président des États-unis Barack Obama. Mais aux yeux des défenseurs des valeurs démocratiques, des droits des femmes et de la liberté d’expression, cette popularité positive est sérieusement entamée par la décision de Lula da Silva de se ranger du côté le plus controversé de l’Histoire contemporaine. Ainsi, après la pluie de missiles tombée sur Israël, samedi 13 avril, celui qui accusait ouvertement son prédécesseur Jair Bolsonaro de fasciste(1), n’a cependant pas explicitement condamné l’attaque surprise du gouvernement iranien, contrairement à la réprobation majoritaire de l’Occident et de plusieurs pays du Moyen-Orient.

« Nous sommes déçus, la politique étrangère actuelle du Brésil a choisi de se ranger du côté de la théocratie iranienne », a déclaré Claudio Lottenberg. Avec ce propos, le président de la Confédération israélienne du Brésil a mis l’accent sur la « politique actuelle » car tout au long de son mandat l’ex-président Jair Bolsonaro s’est rapproché d’Israël et il a même proposé la délocalisation de l’ambassade brésilienne à Jérusalem (sans effet à ce jour). Or à présent les relations diplomatiques entre Israël et le Brésil de Lula se trouvent dans une sourde et profonde impasse. Après avoir déclaré le président auriverde persona non grata, le 19 février, Tel Aviv a convoqué l’ambassadeur du Brésil en Israël. Ce jour-là, Lula avait assimilé l’offensive israélienne à Gaza au programme d’extermination des Juifs de l’Allemagne nazie (« un génocide » selon Lula, dont le bilan provisoire est de 33 800 morts). À ce propos, d’après le sens propre du terme « assimilation » (acte de l’esprit qui regarde comme semblable à quelque chose ce qui en est distinct dans la réalité), Lula a-t-il commis une faute d’appréciation ? En tout cas, la réponse d’Israël Katz, ministre israélien des Affaires étrangères, semble vouloir révéler Lula à lui-même : « Les propos tenus par le président brésilien Lula lorsqu’il a comparé la juste guerre de l’État d’Israël contre le Hamas, qui a assassiné et massacré des Juifs, à Hitler et aux nazis sont une honte et une attaque antisémite grave contre le peuple juif et l’État d’Israël »,  

Dans ce cadre, si Lula n’a pas explicitement condamné l’attaque iranienne, samedi dernier, en revanche il s’est exprimé en termes très durs à l’égard d’Israël depuis novembre 2023 (« tuer des innocents sans aucun critère », bombarder des hôpitaux « sous prétexte que des terroristes s’y trouveraient ») et de même après le bombardement sur le consulat iranien à Damas, le 2 avril (16 morts, dont sept membres des Gardiens de la révolution islamique. Comment va désormais évoluer la relation entre les deux pays ? Si l’on considère les engagements avec ses partenaires stratégiques, aux yeux d’Israël Lula semble voué à la géhenne s’il ne veut – ou ne peut – pas revenir à résipiscence. Car un examen plus attentif montre que l’Iran a été proposé pour intégrer cette année le puissant groupe des BRICS, acronyme de la fédération réunissant depuis 2011 le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et la république d’Afrique du Sud. Une association qui a déjà suscité l’indignation des associations des droits humains en Argentine, lorsque l’ex-président Alberto Fernandez avait signé un accord avec les BRICS et que finalement le gouvernement actuel de Javier Milei a rejeté. 

Comme l’a dit très justement Pierre Haski, président de Reporters sans frontières, Lula « joue sur toutes les ambiguïtés du monde actuel ; mais il devra un jour dire de quel monde il rêve en s’associant avec des autocrates » (L’Obs n° 3056, 4 mai 2023). De son côté, Udi Levi, expert en terrorisme mondial, signale que « les pays qui composent les BRICS sont sous la tutelle de la Chine et beaucoup d’argent afflue de l’Iran et de la Russie ». Juan Manuel Lopez, chef du bloc de l’opposition Coalition Civique ajoute : « Malgré les bénéfices potentiels que cet accord laisse miroiter, la vérité c’est que les BRICS adolescent des canons démocratiques et de soucis pour les droits humains. » En fin, Mario Negri, président du bloc du parti radical à la chambre des députés 2013-2023 souligne que « parmi les pays qui intègrent les BRICS, certains militent contre l’Occident » comme l’Iran, responsable des attentats meurtriers commis à Buenos Aires dans les années 1990. Justement, il y a deux semaines, la justice argentine a déclaré l’Iran « État terroriste », responsable d’avoir organisé l’attentat contre l’ambassade d’Israël, en 1992, et désigné le mouvement chiite Hezbollah comme auteur de l’attentat contre la mutuelle israélienne Amia en 1994. 

C’est un sujet qui concerne directement le gouvernement Lula, et qui peut passer inaperçu au milieu du caractère agonal de l’actualité politique. Car se ranger du côté de l’Iran implique l’acceptation de l’existence de l’Hezbollah. En effet, Lula ne devrait pas négliger les potentielles dérives de son associé et coordonner ses efforts avec l’Argentine et le Paraguay pour contrôler l’expansion du bras armé de Téhéran en Amérique latine. Cela au même titre que la lutte contre l’invasion de drogue qui est en train de gangrener le Cône Sud(2), car selon les services de renseignement l’Hezbollah est étroitement lié au narcotrafic. Ainsi deux de ses membres ont été arrêtés à Sao Paulo la semaine dernière, et les autorités argentines signalent une forte concentration du groupe terroriste dans la zone des Trois frontières. Ces informations ont été publiées par la ministre de la Sécurité Patricia Bullrich.

En ce qui concerne le refus de Lula de condamner explicitement l’Iran, pour Claudio Lottenberg la position du chef de l’État brésilien est « une fois de plus frustrante » Pourquoi « une fois de plus » ? C’est que l’ancien ouvrier métallurgiste de gauche a montré trop de sympathie pour le régime iranien depuis 2010, notamment avec le virulent président Mahmud Ahmadinejad (2005-2013), célèbre pour ces discours émaillés d’injures à l’égard d’Israël dont il prônait l’élimination de la surface de la terre. Les photos des deux dirigeants main dans la main ont fait le tour du monde à l’époque, et les médias titraient les unes des journaux, par exemple le 3 mars 2010, « Lula refuse de sanctionner l’Iran à l’Onu » au sujet de son programme nucléaire, ou encore « Lula se trompe-t-il sur l’Iran ? », publié le 16 juillet 2010. Voici ce que disait d’une manière péremptoire Breno Altman, l’auteur de ce dernier article, « on ne peut pas affirmer que le régime des ayatollahs corresponde aux paradigmes démocratiques, humanistes et laïques qui font partie des valeurs de la gauche ». 

C’est pourquoi les dirigeants du monde libre arguent que le conflit actuel qui menace la paix au Moyen-Orient n’est pas une guerre contre Israël, mais contre la démocratie et la civilisation judéo-chrétienne. Ainsi l’a fait comprendre une vidéo diffusée le week-end dernier, juste après l’attaque avec des drones et des missiles lancés sur Israël. Il s’agit d’un message prophétique d’un imam, dont on ignore l’identité, qui confirme ce que l’attaque aux Twin Towers, le 11 septembre 2001, laissait présager : « Nous déclarons que la Palestine, depuis le fleuve Jordan jusqu’à la mer Méditerranée, est terre islamique et que l’Espagne, l’Andalousie, est aussi la terre de l’Islam. Les terres islamiques qui ont été occupées par l’ennemi reviendront islamiques. Nous irons au-delà de ces pays que nous avons perdus. Nous proclamons que nous allons conquérir Rome, comme jadis Constantinople a été conquise et elle sera conquise à nouveau si Allah le veut. On gouvernera le monde, comme l’a dit le prophète Mahomet. Nous aurons un front de bataille plus large et plus fort. Nous avons commencé par la Palestine, puis l’Irak, l’Afghanistan et la Tchétchénie, cela continuera et personne ne l’arrêtera. »(3) 

Ce message, le journaliste Jonatan Viale le résume ainsi : première étape, l’élimination d’Israël ; deuxième, faire de l’Espagne un État islamique ; troisième, conquérir la capitale de l’Italie puis l’ensemble de l’Europe et enfin occuper l’Amérique. De fait, l’Hezbollah est déjà bien implanté de l’autre côté de l’Atlantique depuis les années 1970-80, époque charnière où s’est effondré le mur entre le politique et le religieux avec l’instauration de la théocratie islamique. La zone la plus sensible de la région est la déjà mentionnée Triple frontière qui partagent le Brésil, le Paraguay et l’Argentine. Les contrôles dans les lieux de passage y ont été renforcés, de la part du gouvernement argentin, après l’alignement du président Javier Milei avec les États-Unis et Israël. Trois importantes villes composent ce triangle du crime organisé, où on peut trouver tout type de contrebande et de documentation falsifiée : Foç do Iguaçu, au Brésil, Puerto Iguazú, en Argentine (les deux villes proches des fameuses chutes d’Iguaçu), et Ciudad del Este au Paraguay. Selon les services de renseignement, dans cette dernière siège une active cellule de l’Hezbollah depuis la fin des années 1970, puis dans le courant de la décennie suivante avec l’arrivée d’une nouvelle vague d’immigrants syro-libanaises. Au Brésil, Foç do Iguaçu est la quatrième plus grande ville de l’État du Paraná (sud-est du Brésil), où se trouve la magnifique mosquée Omar ibn Al-Khatab, dans un quartier qui abrite une des plus grandes concentrations d’immigrés de la communauté arabe au monde. C’est la plus grande mosquée de l’Amérique latine et la plus grande en dehors des pays musulmans (elle peut recevoir jusqu’à 600 fidèles). Le « pont international de l’Amitié » relie Foç d’Iguaçu à sa voisine paraguayenne Ciudad del Este (deuxième plus grande ville du Paraguay), tandis que le « pont international de la Fraternité » permet d’atteindre la ville argentine de Puerto Iguazú. Ce sont des ponts qui, au regard de ce qui se passe aujourd’hui, portent des noms à connotation ironique dans cette région à haut risque, d’après les informations données par les autorités argentines qui y sont particulièrement impliquées à l’heure actuelle, car le risque d’attentat est monté d’un cran ces dernières semaines. 

A présent, Lula semble concentrer son gouvernement sur les bénéfices commerciaux que ces associés du groupe BRICS pourraient lui apporter. Ceci est d’autant plus nécessaire pour la macroéconomie si l’on considère que, même si le secteur externe reste favorable après une année positive du troisième mandat de Lula, la criminalité et le trafic de drogue progressent, l’économie interne a renforcé les inquiétudes quant au Réal – dévalué de 5% -, et le déficit fiscal est en nette augmentation à tel point que certains analystes parlent déjà d’un lourd héritage pour le prochain gouvernement. Dans ce contexte géopolitique, Lula se trouve face un dilemme de lourdes conséquences. Car à la suite de l’attaque des drones, Israël a écrit à plus de 30 pays pour leur demander d’adopter des sanctions contre le programme de missiles de l’Iran et de désigner ses « Gardiens de la révolution » comme une organisation terroriste. Le ministre des Affaires étrangères a déclaré que « l’Iran doit être arrêté maintenant, avant qu’il ne soit trop tard ». Le 17 avril, le président iranien Ebrahim Raïsi a assuré qu’avec une « attaque à grande échelle, il ne restera plus rien du régime sioniste ». 

Voilà pourquoi c’est un choix cornélien pour Lula, puisqu’il est de plus en plus contraint à choisir son camp, surtout après avoir donné son accord au gouvernement iranien, mi-janvier, d’accoster deux navires de guerre dans un port de l’État de Rio de Janeiro. Les deux navires sont arrivés au Brésil le 26 février, « ce qui est très grave de la part de Lula qui donnait des leçons de démocratie aux Brésiliens […], il accepte qu’un État terroriste, allié de la Russie et criminel avec son propre peuple, envoie des navires militaires dans son pays »(4).

Cette situation critique rappelle un autre moment de l’ histoire qu’il est opportun de citer, puisqu’on a beaucoup parlé d’« assimilation » d’événements qui ont marqué le dernier siècle avec la tragédie qui se déroule actuellement à Gaza et qui peut dégénérer en un conflit mondial. Ainsi, lors de son discours du 2 août 1944 devant la Chambre des communes, alors que l’Argentine, favorable aux régimes totalitaires européens, restait neutre dans sa position, Winston Churchill a dit : « Nous ressentons une profonde tristesse et une grande angoisse, en tant qu’amis de l’Argentine, car, en ces temps d’épreuve pour les nations, elle n’a pas jugé approprié de prendre sa place sans réserve du coté de la liberté et a choisi de s’allier avec le mal, et pas seulement avec le mal, mais avec le camp des perdants. » 

Ce propos de l’ancien Premier ministre britannique est un miroir de l’ordre mondial qui secoue actuellement la planète. La question qui se pose maintenant est de savoir si, à l’heure du dernier bilan, malgré ces deux premiers mandats (2003-2011)  qui ont projeté positivement son image sur la scène internationale, en mettant le Brésil sur la voie du développement et de la préservation de l’écologie, après l’implémentation d’une politique sociale qui a amélioré la qualité de vie de millions de brésiliens avec un net recul de la pauvreté au point de retirer son pays de la Carte de la faim de l’ONU, Luis Inacio Lula da Silva restera-t-il dans les annales des grands hommes d’État du mauvais côté de l’Histoire ?