Au Brésil, l’hommage d’une anthropologue à son “père“ wari 

En mars prochain, l’anthropologue brésilienne Aparecida Vilaça sera à Paris dans le cadre du Festival de littérature “Effractions“ pour parler de son livre Paletó et moi, le récit de son amitié indéfectible avec un Indien wari, publié en français par les Éditions Marchialy.

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“Certains (…) me demandaient si je serais là à sa mort lorsqu’ils me voyaient à ses côtés, remarquant peut-être la tendresse du regard que je posais sur cet homme dont j’étais devenue la fille.“  Dès la première page de Paletó et moi, le ton est donné : l’anthropologue brésilienne Aparecida Vilaça n’y rapporte pas le récit académique de son observation du peuple Wari’, mais bien plutôt la tendresse qui la relie à Paletó, son père adoptif Wari’, en un hommage très tendre à ce personnage d’exception dont elle n’a pu accompagner les derniers instants, en 2017. 

C’est ce qui fait toute la saveur de ce livre écrit à la première personne qui se lit comme une émouvante histoire humaine née au coeur d’une lointaine Amazonie brésilienne, dans la région isolée du Rio Negro, État du Rondônia, frontalière avec la Bolivie, et au sein d’un peuple indien farouche et longtemps martyrisé par les seringueiros, les Blancs collecteurs du latex des hévéas de l’Amazonie. 

Aparecida Vilaça fait ses premiers pas d’anthropologue chez les Wari’ dans les années 1980, à une époque où ces derniers sont “pacifiés“ depuis deux décennies par les diverses instances gouvernementales brésiliennes, et évangélisés par des missionnaires nord-américains. Cette conversion au christianisme cohabite néanmoins avec la culture ancestrale des Wari’ et en particulier avec leur incarnation dans un animal qui devient leur double tout au long de leur vie. Certains rituels en revanche ont disparu, comme le cannibalisme funéraire : “Encourager les personnes extérieures à la famille à faire totalement disparaître ce corps dont la simple vision s’accompagnait de peine et de regrets, c’était ce qui motivait en premier lieu les parents“, rapporte Aparecida Vilaça recueillant le témoignage de Paletó qui dans sa jeunesse avait connu ces pratiques. 

À mesure que progresse la confiance des villageois à l’égard de l’anthropologue installée pour plusieurs mois, le père de famille Paletó rencontre la jeune femme et finit par l’adopter comme sa fille. Trente années de liens filiaux nourrissent alors une affection inébranlable, qui amènera notamment le père wari accompagné d’une partie de sa famille à découvrir Rio de Janeiro où vit l’anthropologue. Cette relation particulière permet aussi à Aparecida Vilaça de documenter les mythes Wari’ et leur mode de vie, leurs rituels et leurs règles de parenté, leurs liens avec la nature et le monde, en somme tout le savoir ethnographique sur ce peuple jusqu’alors peu étudié. Mais c’est ici un texte personnel et non un cumul de connaissances scientifiques que nous livre l’auteure, par ailleurs spécialiste reconnue du département d’anthropologie de l’Université de Rio de Janeiro. 

Retraçant grâce à son père Paletó, qui en fut le témoin, la confrontation meurtrière des Wari avec des Blancs, l’auteure rapporte les massacres, dans les années 1950, d’une grande partie de l’ethnie par des milices employées par les propriétaires terriens désireux de récupérer des terres. Un autre témoin de la communauté rapporte à Aparecida Vilaça que, vers 1960, lors d’un nouvel affrontement, “les Blancs jetaient les cadavres d’enfants wari’ en l’air afin qu’ils retombent sur leurs machettes qui les tranchait en deux.“ Aujourd’hui, rapporte l’auteure, les relations entre Blancs et Waris sont relativement pacifiées, bien que les tensions liées aux appétits des défricheurs illégaux explosent périodiquement. Avec ce livre si personnel qui  retrace un profond attachement au représentant d’une culture si différente, Aparecida Vilaça rend particulièrement vivante la culture de ces peuples et impérieuse la nécessité de les respecter.

Pour en savoir plus : Paletó et moi, Aparecida Vilaça, Editions Marchialy, traduit du portugais par Diniz Galhos. Le 7 mars au Festival Effractions. Rencontre croisée – Aparecida Vilaça et Ted Conover au Centre Pompidou à Paris à 18 h.