La situation chaotique en Équateur captive l’attention mondiale : tour d’horizon de la presse internationale.

L’évasion spectaculaire de Fito en Équateur, a déclenché une crise majeure, plongeant le pays dans un tourbillon de violence et de peur. Cet événement, symptomatique d’une crise sociale et politique plus vaste, a incité le président Daniel Noboa à déclarer l’état d’urgence et à ordonner la « neutralisation » des groupes criminels, exacerbant les tensions déjà palpables à travers le pays.

Photo : La Prensa

L’élément déclencheur : l’évasion de Fito. Le point de départ de la crise est l’évasion d’Adolfo Macias, alias « Fito” de la prison de  Guayaquil dimanche dernier. Considéré comme l’ennemi public numéro 1 en Équateur, il est le chef éminent des Choneros, un gang comptant environ 8000 membres selon les experts. Impliqué dans des activités criminelles, notamment dans le trafic de drogue, Adolfo Macias était déjà parvenu à s’évader en 2013. Sa dernière disparition a été constatée lors d’une perquisition dans cette prison surpeuplée. En tant que chef de gang, il continuait de diriger ses opérations criminelles depuis sa cellule. Il ne s’agit cependant pas d’un cas isolé en Équateur puisque certains spécialistes estiment qu’environ un quart des prisons seraient sous le contrôle de ces organisations. Suite à cette annonce, le président équatorien Daniel Noboa a déclaré l’état d’urgence pour 60 jours dans le pays et a ordonné la « neutralisation » de tous les groupes criminels, fournissant une liste détaillée.

Lorsqu’il a été élu en octobre 2023, Daniel Noboa s’était en effet engagé à faire face au défi majeur du trafic de drogue en Équateur, où des gangs criminels, autrefois simples gangs de rues, sont devenus des acteurs violents du narcotrafic international. Le pays, considéré autrefois comme un havre de paix, est aujourd’hui déchiré par la violence engendrée par ces groupes criminels. Il a insisté sur l’importance pour les forces armées d’agir « dans le respect des droits de l’Homme » et exprimé sa volonté de lutter “pour la paix nationale” tout en prenant des mesures contre les groupes terroristes qui comptent plus de 20 000 membres. Ces mesures ont été mises en œuvre immédiatement après l’approbation unanime du décret exécutif par le Parlement, reconnaissant l’existence d’un conflit armé interne et autorisant l’intervention des forces armées pour neutraliser 22 groupes terroristes.

Comme le signale le Journal de Montréal, “Le président équatorien a attisé la colère des narcos en annonçant la construction de prisons de haute sécurité dans le style de son homologue salvadorien Nayib Bukele dans sa «guerre» contre les gangs”. À ce propos, Daniel Noboa a ajouté : “Ce gouvernement prend les mesures nécessaires que personne ne voulait prendre ces dernières années”.

Depuis lundi, en réaction aux pressions gouvernementales, les gangs associés au narcotrafic ont intensifié leurs actes de violence. Ils ont enchaîné les enlèvements de policiers et de gardiens de prison, saccagé des centres commerciaux, provoqué des explosions et proféré des menaces d’exécution. Selon le dernier bilan officiel, 14 personnes ont perdu la vie, dont deux policiers. Comme le souligne le Journal de Québec, “plus de cent gardiens de prison ont en outre été pris en otage par des détenus, des barons de la drogue se sont évadés et des journalistes ont été intimidés en direct à la télévision”. L’événement qui a été le plus relayé est sans aucun doute l’irruption d’un commando armé dans un studio de télévision de la chaîne TC Televisión de Guayaquil lors d’une émission en direct le mardi 9 janvier. Heureusement, l’attaque a ensuite été déjouée et les 13 criminels coupables ont été arrêtés, les otages libérés. Les images ont été diffusées en direct. Les gangs entendent faire régner la peur par l’intermédiaire de vidéos publiées sur les réseaux sociaux montrant des gardiens de prison ou des policiers sous la contrainte d’une arme, délivrer des messages au président Daniel Noboa : “Vous avez déclaré la guerre, vous allez avoir la guerre. Vous avez déclaré l’état d’urgence, nous déclarons la police, les civils et les militaires, butins de guerre”.

Face à ce climat de forte instabilité, le ministère équatorien de la Santé a restreint les services hospitaliers, se limitant aux urgences, tandis que la population est incitée à rester chez elle pour éviter les violences liées aux attaques de narcotrafiquants ciblant commissariats, universités et centres commerciaux.

Le quotidien québécois La Presse s’est donc attaché à décrire la situation apocalyptique qui plane sur le pays ces derniers jours. L’article met en lumière la situation critique de la ville portuaire de Guayaquil, au sud-ouest, qui a été le théâtre de violences entre gangs en raison de son rôle en tant que point d’exportation de cocaïne vers l’Europe et les États-Unis.  La plupart des établissements tels que les hôtels, bureaux et commerces étaient fermés mercredi, et les rares passants évitaient les journalistes. Seuls quelques commerces sont ouverts, et dans certaines rues, la présence policière dépasse largement celle des passants. Daniel Lituma, propriétaire d’une boulangerie dans le centre historique, partage son inquiétude : “Ce qui nous pousse à sortir, c’est la nécessité d’aller travailler. Il y a beaucoup de peur, on ne sait pas ce qui va se passer”. Le siège du gouvernement est également fortement surveillé par des dizaines de soldats lourdement armés.

Mercredi, quelques bus circulaient, mais avec une fréquence bien inférieure à la normale. Les universités et les écoles ont également fermé leurs portes, optant pour des cours en ligne. Les entreprises qui le pouvaient ont encouragé le télétravail ou mis en place des horaires partiels, comme en témoigne Manuel Muñoz, un vendeur de matériel médical de 34 ans qui a préféré rentrer chez lui dans le sud de Quito. Il échange régulièrement des nouvelles par téléphone avec ses parents âgés.

Le président peut compter sur le soutien de la communauté latinoaméricaine et sur ses traditionnels opposants politiques.  Le porte-parole de la présidence argentine, Manuel Adorni, a exprimé la solidarité du gouvernement de Javier Milei avec l’Équateur et a rappelé que ces événements ne sont pas étrangers à la réalité de l’Argentine. De son côté, le président du Mexique, Andrés Manuel López Obrador, a déclaré qu’il espérait que la situation en Équateur soit “transitoire et que la paix soit rétablie dans ce pays frère”.

Dans le média argentin Ambito, on peut lire que l’ancien président de l’Équateur, Rafael Correa, a partagé une vidéo dans laquelle il adresse son soutien total et sans réserve au président Daniel Noboa, le priant de ne pas céder et mettant de côté ses divergences politiques avec le président actuel. Il a cependant déclaré que le pays vivait un véritable cauchemar, et a attribué la crise à l’éclatement de la notion d’État de droit, aux erreurs et à la haine accumulée depuis qu’il a quitté la présidence en 2017. 

Le média costaricain El Pais.cr a consacré un article, publié ce mercredi 10 janvier, aux défis que la situation équatorienne pose pour le journalisme. Plus de 300 journalistes d’Amérique latine ont condamné l’intrusion d’hommes armés dans les locaux du canal d’État équatorien TC Televisión sous la forme d’une pétition. Ils ont appelé à des mesures immédiates pour protéger leurs collègues. « Cette attaque est une nouvelle démonstration de la manière dont le crime organisé cible la presse », ont déclaré les journalistes dans un communiqué conjoint diffusé ce mercredi dans les médias équatoriens, soulignant que “cette situation mérite des actions urgentes”. Les journalistes affirment que “ce qui s’est passé à TC Televisión est l’image la plus douloureuse de ce que vit actuellement la presse équatorienne”.

Quelles perspectives d’avenir ? 

Actuellement, l’évolution de la situation reste incertaine. Cependant, il est évident que les récents affrontements constituent le paroxysme d’une nouvelle crise sociale, politique, et économique interne qui affecte le pays depuis plusieurs années. L’analyse que livre l’Agence Fides à ce propos est particulièrement éclairante et en voici un extrait ci-dessous :  Le cas de l’Équateur est paradigmatique du pouvoir de déstabilisation des groupes criminels, en particulier dans les pays à faible structure sociale et économique. “Les événements en Équateur montrent que les trafics illégaux, surtout dans le cadre de la criminalité organisée, ont un fort pouvoir déstabilisateur et hybride”, explique à l’Agence Fides Alessandro Politi, directeur de la Fondation du Collège de Défense de l’OTAN. “L’Équateur, qui avait prévu il y a un an de publier une stratégie nationale contre le crime organisé, ne l’a toujours pas fait. Maintenant, après la disparition d’un gros bonnet du crime organisé (José Adolfo Macías Salazar), avant son transfert dans une prison de haute sécurité, le président Noboa a choisi la voie de la militarisation”; poursuit Politi.

Selon le directeur de la Fondation du Collège de défense de l’OTAN, il est nécessaire d’examiner l’expérience d’autres pays dans une situation similaire, et en particulier celle du Mexique, pour comprendre comment la situation en Équateur pourrait évoluer.  “L’Équateur a certainement l’occasion de tirer de nombreux enseignements des 18 longues années de guerre contre la drogue au Mexique. Premièrement, sans une lutte crédible contre la corruption, des armes de plus en plus puissantes trouveront le chemin de la criminalité et même des unités spéciales peuvent être achetées par des acteurs malveillants. Deuxièmement, le redressement économique et social des zones infestées par la mafia est essentiel pour mettre progressivement fin au conflit”, conclut M. Politi.