« Le nouveau président chilien s’apprête à amnistier mon tortionnaire ». Prisonnier politique de 1974 à 1977 à Santiago, Téo Saavedra rappelle que le nouveau chef d’État chilien est, outre le fils d’un ex-nazi et admirateur de Pinochet, un grand ami de l’homme qui l’avait torturé.
« Comme beaucoup de Chiliens, j’ai vécu douloureusement les résultats des élections du dimanche 14 décembre. Je le dirais simplement. Voici ce que la démocratie chilienne apporte au monde : un nouveau président, José Antonio Kast, fils d’un soldat nazi arrivé au Chili après la Seconde Guerre mondiale muni de faux papiers et d’argent pour investir dans la fabrication de saucissons.
Les réseaux nazis en Amérique latine d’après-guerre sont aujourd’hui bien connus et bien identifiés. Il suffit de lire l’excellent livre, paru en février, de l’avocat et écrivain franco-britannique Philippe Sand, 38, rue de Londres. De l’impunité, Pinochet et le nazi de Patagonie (Albin Michel, 2025) pour comprendre comment les nazis se sont incrustés dans tous les secteurs de la société chilienne et comment ils ont participé activement à la politique de répression et d’extermination du général Augusto Pinochet à partir de septembre 1973.
Le nouveau président chilien n’est pas seulement le fils d’un ancien nazi et le frère d’un ministre de Pinochet, mais il est lui-même, comme beaucoup de leaders d’extrême droite, un suprémaciste blanc, pinochetiste de cœur et d’âme, farouche opposant aux lois sur l’avortement, anti-LGBTOI, climatosceptique et bien sur antiféministe. Il compte démolir les acquis sociaux obtenus après la fin de la dictature. L’ultralibéralisme revient en force.
Services secrets
Par-dessus le marché, José Antonio Kast est un ami de longue date du pire criminel et tortionnaire que le Chili ait connu : Miguel Krassnoff, condamné à mille ans de prison pour des crimes contre l’humanité, a dirigé des commandos des services secrets de Pinochet qui ont torturé, qui ont violé et qui ont fait disparaître des centaines de Chiliens. Dans mon cas, et comme le reconnaît la justice chilienne dans sa résolution du 9 avril 2025 (Dossier C13086-2024), l’État chilien reconnaît que les crimes commis contre moi constituent des crimes contre l’humanité.
En novembre 1974, le capitaine Miguel Krassnoff, après avoir participé à de longues sessions de torture, m’a mis un pistolet dans la bouche en me traitant de menteur, il a appuyé sur la détente pour un simulacre d’exécution en raison de mon manque de collaboration… José Antonio Kast a déclaré le 9 novembre 2017 : « Je connais Miguel Krassnoff et, quand je le regarde, je ne crois pas toutes les choses qu’on dit de lui.» Avant d’ajouter : « Si Pinochet était vivant, il voterait pour moi.» José Antonio Kast a déclaré à plusieurs reprises qu’il souhaitait amnistier Miguel Krassnoff et d’autres militaires pour des raisons humanitaires. C’est le monde à l’envers.
José Antonio Kast a gagné l’élection présidentielle, c’est indiscutable, en dépit de l’excellente campagne menée par Jeannette Jara, candidate de la gauche. Il les a gagnées avec la complicité des grands patrons, des grands médias et d’une armée de blogueurs qui ont tissé une toile de mensonges grotesques sur les réseaux sociaux : que le Chili tombait en morceaux (alors qu’il est dans le groupe de tête des économies d’Amérique latine), ou qu’il y avait eu 1 200 000 assassinats par an après l’arrivée au pouvoir de Gabriel Boric.
Même si plus tard, cela a été démenti, le mal était fait. José Antonio Kast a convaincu des Chiliens, tout au moins ignorants, qu’il allait débarrasser le Chili des migrants clandestins au nombre de 350 000 dans le mois qui suivait l’élection et que les migrants eux-mêmes payeraient leur retour en terre inconnue. Le gouvernement du président Gabriel Boric a fait des réformes très importantes, comme la gratuité des soins dans le public, la réforme des retraites, la baisse du temps de travail, la revalorisation du salaire minimum, et j’en passe, tout cela dans un contexte institutionnel et législatif extrêmement compliqué.
Diffamation et injures
Une partie de la gauche lui a reproché de ne pas aller assez loin et la droite d’aller trop loin. La droite et l’extrême droite ont mené une campagne de diffamation et d’injures à l’encontre du jeune président Gabriel Boric, inimaginable dans un État dit démocratique, rappelant tristement la campagne menée contre Salvador Allende qui mènera au coup d’État du 11 septembre 1973. Beaucoup ont reproché à Boric son manque de fermeté sur la question de la sécurité… imaginons une seconde qu’il ait fait appel aux militaires pour réprimer les narcotrafiquants et autres délinquants, tout le monde aurait crié au scandale !
L’extrême droite gagne du terrain partout dans le monde, à cause de beaucoup de mensonges, mais surtout en créant la peur de l’autre, en créant la peur tout court et en déshumanisant les rapports sociaux. Rien ne sert de s’affliger de cet état de choses. Les humanistes doivent continuer à se battre, c’est la seule vérité qui compte.
Téo SAAVEDRA
Journal Libération du 22 décembre 2025


