L’article ci-dessous est signé par Marie-Françoise Bechtel, ancienne directrice de l’ENA, et André Bellon, ancien Président de la Commission de affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Il a été publié sur le site du journal Marianne et reproduit ici par son auteur.
Le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez est le seul des trente-deux membres de l’OTAN à refuser de s’engager à consacrer 5 % du PIB à la sécurité, suscitant critiques ou silence en Europe. Marie-Françoise Bechtel, ancienne vice-présidente de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, et André Bellon, ancien président de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, estiment que sa position est courageuse.
Le tollé américain devant les positions prises au sommet de l’Otan du 25 juin à La Haye par le chef du gouvernement espagnol, M. Pedro Sánchez, rejetant l’inféodation aux exigences des États-Unis en matière de dépenses militaires n’a certes pas de quoi surprendre. Mais que penser de la gamme des réactions européennes allant de la réprobation explicite jusqu’au silence plus ou moins gêné des autres membres du sommet ?
On reste quelque peu interdit devant une cécité qui serait dérisoire si elle ne mettait en jeu l’avenir même de notre continent. Avenir déjà oblitéré, bien avant que l’inexcusable agressivité de Vladimir Poutine lui offre un alibi, par toute absence d’une pensée longue fondée sur les réalités géopolitiques qui caractérisent l’Europe « de l’Atlantique à l’Oural ».
Une souveraineté européenne dérisoire
En lieu et place de l’impérieuse nécessité de cette pensée longue sur notre avenir que trouvons-nous ? Un pas supplémentaire dans l’inféodation à l’Otan dont la doctrine évolutive – celle-là même qui avait motivé la décision de Général de Gaulle de prendre les distances nécessitées par l’intérêt national – franchit aujourd’hui un pas supplémentaire et peut-être décisif. Quelles que soient en effet les proclamations affichées, ce sera bel et bien l’industrie américaine de l’armement qui sera la première et même la principale bénéficiaire de l’effort budgétaire considérable exigé des pays membres de l’Union Européenne.
Quant à la tutelle politique exercée sur l’Otan depuis les centres de décision d’Outre-Atlantique elle fait encore moins de doute. On mesure par là le caractère dérisoire de l’invocation à une souveraineté européenne, notamment par le Président français, dans un avenir où les intérêts fondamentaux de l’Europe, sont sacrifiés au court termisme de décisions budgétaires annuelles lourdes et de la durée du mandat de M. Trump. Or voici justement qu’un pays membre de l’UE permet de mettre sur la table aujourd’hui, par la voix d’un chef de gouvernement courageux, quelques évidences qui donnent en creux la mesure de ce que devrait ou pourrait être une vraie réactivité européenne. Quelles évidences ?
Outre le fait que la course aux armements ne dégagera pas les pays qui s’y lancent de la tutelle transatlantique et alourdira même celle-ci, la plus frappante est le défaut d’une analyse géopolitique, remplacée par les clameurs bien pensantes sur une menace russe qui demande pourtant à être pesée sur le moyen et le long terme. La question n’est pas facile et la réponse ne relève pas de l’évidence : c’est une raison supplémentaire pour la poser. D’autant que l’histoire ne repasse pas les plats. De la conférence de Berlin à la guerre de 14-18, trente années à peine s’étaient écoulées soit la distance qui nous sépare aujourd’hui de la dernière la guerre des Balkans.
Au centre de ce débat qui n‘a pas eu lieu ni entre les chefs d’État ou de gouvernement, ni dans le cas général devant les Parlements nationaux, se trouve la question qui est aujourd’hui traitée comme une évidence de savoir si et à quel terme la Russie représente une menace pour l’intégrité des États européens – et lesquels ? Quelle place réserver à l’intérêt national dans l’évaluation des risques ? Nous ne disons pas que la réponse va de soi. Mais s’il est un devoir pour nous Européens, c’est bien celui d’approfondir cette question qui engagera l’avenir des générations futures.
L’avenir de notre continent
Le tollé américain et la gêne européenne qui ont accueilli les déclarations de Pedro Sánchez auraient-ils été identiques si le même membre du Conseil européen n’avait aussi dénoncé la situation à Gaza ? Rejoint sur cette question par l’Irlande et la Slovénie – et alors même que la responsable de la politique étrangère de l’UE a dénoncé l’accord d’association avec Israël –, Pedro Sánchez est à ce jour le seul représentant d’un grand État européen ayant pris clairement position sur cette question. Elles ont en vérité un point commun avec la précédente qui est d’engager là aussi l’avenir de notre continent. Car le moment viendra où les profonds désordres créés dans un espace dont seule la Méditerranée nous sépare engendreront des règlements de compte au détriment des générations futures de jeunes européens. À ce jour Pedro Sánchez mérite le soutien de ceux qui ne croient pas que l‘histoire est écrite d’avance. Le soutien aussi de tous ceux qui veulent une Europe regardant son avenir les yeux ouverts.
Marie-Françoise BECHTELl
André BELLON