Lyon CHRD le mercredi 25 septembre « Chili 40 ans après »…

L’intense journée d’étude programmé par le Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon et la revue Espaces Latinos a été un succès total avec une salle pleine durant toute la journée du mercredi 25 septembre dernier. Le prestigieux plateau d’intervenants a permis de retrouver un public très satisfait pour la journée de mémoire et de réflexion. Rappel de la programmation.

 Quarante ans se sont écoulés depuis le coup d’état perpétré au Chili par la junte militaire. Durant près de dix-sept ans, un régime de terreur contrôlé d’une main de fer par le général Augusto Pinochet et ses sbires a dirigé ce pays. Au cours de cette période, plus de 3 200 personnes ont été assassinées par le régime, des dizaines de milliers d’autres ont été torturées et quelques centaines de milliers contraintes à l’exil à travers le monde, et notamment en France. À l’occasion de cette commémoration, Espaces Latinos et le CHRD ont organisé une journée d’étude. Réunissant des spécialistes du Chili, cette journée a été l’occasion de revenir sur des événements qui demeurent largement ignorés en France alors même que notre pays, et la région Rhône-Alpes en particulier, fut une terre de refuge pour les exilés chiliens. Au-delà de l’approche historique et en écho à l’évolution politique du pays depuis la dictature, cette journée s’est intéressé aux enjeux actuels, notamment la mémoire et la justice de cet événement traumatique.

Modérateur, Bruno Patiño, directeur des programmes de France Télévisions, ancien correspondant du Monde au Chili et auteur du livre Pinochet s’en va.

Histoire : De la remise en cause de l’ordre établi à la recherche du consensus : Regard sur un demi-siècle d’histoire au Chili (1950-2000) par Stéphane Boisard, maître de conférences à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3, spécialiste de l’histoire politique, économique et culturelle de l’Amérique latine des XIXe et XXe siècles et directeur de la revue en ligne L’Ordinaire des Amériques de l’Université Toulouse 2 – Le Mirail. Comme le montrent les débats historiographiques actuels autour de l’Unité Populaire et de la dictature du général Pinochet, l’histoire chilienne de la seconde moitié du XXe siècle reste une période douloureuse et polémique. Résumer un demi-siècle d’une histoire si riche relève de la gageure, mais si l’on veut s’y essayer, il convient de prendre en compte deux éléments essentiels : la crise politique et économique qui frappe le pays à partir des années 1950 et l’entrée, la décennie suivante, de l’Amérique latine dans la Guerre Froide. Toutefois, cette période s’inscrit elle aussi dans un cycle plus long qui est marqué depuis les premières décennies du XXe siècle par un « imaginaire politique de transformation », selon le chercheur chilien Bernardo Subercaseaux. Nous cherchons donc à partir de cette hypothèse historiographique à penser les profondes mutations qu’a connues la société chilienne depuis un demi-siècle et nous nous interrogerons sur une exemplarité et/ou une singularité chilienne par rapport au reste du continent sud-américain.

La presse écrite française aux sources de la mythologie politique du Chili contemporain : 1970 – 2000 par Pierre Vayssiere, historien spécialiste de l’Amérique latine et professeur émérite à l’université de Toulouse II. Il s’agit de comprendre pourquoi un petit pays du Pacifique Sud a pu attirer autant l’attention de l’opinion hexagonale, en devenant le symbole d’une démocratie bafouée par une dictature aveugle et brutale. Il faudra aussi expliquer la part de l’aveuglement, d’ordre idéologique, de l’opinion dominante, incapable de voir et de comprendre les dures réalités auxquelles cette fragile démocratie populaire était confrontée.

L’exil chilien en France : par Nicolas Prognon, enseignant en Histoire-Géographie, spécialiste de l’histoire de l’Amérique latine et membre du Groupe de recherche en Histoire immédiate de l’Université Toulouse 2 – Le Mirail. Une migration politique et économique de grande ampleur, inhérente au coup d’État, se dirige vers la France à compter du mois de septembre 1973 jusqu’en 1994. Arrivés dans ce pays d’accueil, ces Chiliens et Chiliennes bénéficient d’un accueil et d’une solidarité hors normes du fait de la résonance de l’Unité populaire et de son martyre dans l’hexagone. Ils entament alors un lent processus d’acculturation pendant que leurs enfants découvrent une nouvelle patrie. En exil, ils deviennent la mémoire vivante de l’Unité populaire, ils  s’engagent dans la résistance au régime militaire et ils sont à l’origine d’une production culturelle qui donne à cette diaspora une dimension particulière.

La mémoire vive du Chili  par Patricio Guzmán, cinéaste documentaliste chilien. En 1973, neuf mois avant le coup d’État militaire, le jeune cinéaste Patricio Guzmán entreprend le tournage de La bataille du Chili. « À l’époque, je voulais montrer les visages anonymes, les milliers de sympathisants et militants engagés dans la tourmente politique », explique-t-il. Sa caméra se mêle à l’effervescence chilienne de cette année fatidique, saisit sur le vif les témoignages, les réactions et peint au final, à grand renfort de plans séquences, la lutte des classes comme une longue fuite en avant. Au cinéma direct succède le cinéma-mémoire à travers lequel le documentaliste chilien interroge inlassablement la mémoire amputée du Chili, participant ainsi à la construction de l’histoire mouvementée de ce pays.

Les archives de Louis Costechareire, militant du CSLRPC par Chantal Jorro, documentaliste au CHRD Les archives de Louis Costechareire (1927-2010), acteur majeur du Comité de soutien à la lutte révolutionnaire du peuple chilien [CSLRPC]-Lyon, ont été remises par ses enfants au CHRD en 2013. Une poignée de militants du PSU, dont il est alors, constitue le comité en septembre 1973, immédiatement après le coup d’état militaire d’Augusto Pinochet, rejoints par des trotskistes de la LCR et autres sympathisants. Installé dans le quartier de Montchat, le Comité, tout en cultivant son autonomie, adhère au principe d’une coordination des différents comités de soutien au peuple chilien nés dans le même temps à Lyon, puis plus tard au collectif Chili-Amérique latine. Louis Costechareire nous livre un fonds de plusieurs mètres linéaires, dont le plus gros couvre la période 1973-1998. Cet ensemble s’avère d’une infinie richesse, tant par la diversité des documents rassemblés que par le panorama politique de l’époque qu’il offre, autour du Chili et plus largement de l’Amérique latine, source de débats passionnés voire de tensions, à la mesure de l’hétérogénéité des composantes du collectif. On découvre à travers lui une mobilisation sans précédent au plan local, emblématique par sa durée et le déploiement d’actions très diverses, qu’elles soient unitaires ou non, au service des droits de l’homme et d’une société construite avec et pour les plus humbles, conforme aux thèses de la gauche radicale chilienne.

Justice –L’affaire Pinochet par Joan Garcés, ancien conseiller personnel du président Salvador Allende et attaché de recherche de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, juriste. À partir de septembre 1973, les institutions républicaines et démocratiques du Chili, assaillies et détruites par des insurgés armés, ont été remplacées par un État se servant du terrorisme et des crimes de « lèse Humanité » pour la répression économique, sociale et politique dans la plus absolue impunité. Celle-ci a été brisée avec les moyens du droit international mis en application en Europe à partir de 1996 contre le général Pinochet.

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Le dernier discours d’Allende par par Sylvain Bolle-Reddat, acteur (Théâtre du Grabuge). Lecture en français du fameux dernier discours de Salvador Allende, prononcé le 11 septembre 1973, depuis le palais de la Moneda assiégé et retransmis par radio Magallanes.

Enfine en conclusion L’expérience chilienne par Joan Garcés, ancien conseiller personnel du président Salvador Allende et attaché de recherche de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, juriste. Les principes des Nations Unies, si durement conquis en 1945, ont été sciemment refusés au peuple chilien par les puissances qui, depuis 1973, soutiennent un État qui sacrifie les droits fondamentaux de l’Homme, la dignité et la valeur de la personne  humaine, l’égalité de droits des hommes et des femmes, rejetant le progrès social et de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande. Sous des formes diverses, certains peuples d’Europe connaissent aujourd’hui ces mêmes sacrifices.

 

Photo 1: Bruno Patiño et Patricio Guzmán (de gauche à droite), crédits CHRD.
Photo 2: Bruno Patiño et Joan Garcès (de gauche à droite), crédits CHRD.