Rencontre (par le net) avec le réalisateur chilien Sebastián Sepúlveda

Le film chilien de Sebastián Sepúlveda Les sœurs Quispe, qui sort le 4 juin est basé sur un épisode curieux de l’histoire du Chili. En 1974, trois sœurs Justa, Lucía et Luciana vivent de l’élevage sur l’Altiplano à près de 4 000 mètres d’altitude. La vie est rude dans ce monde isolé bien loin de la dictature du général Pinochet arrivée au pouvoir en septembre 1973. Mais quand elles apprennent par un colporteur que l’armée va venir confisquer leur troupeau, elles décident de ne pas accepter…

Le réalisateur suit le mode de vie ancestral et ascétique de ces trois femmes qui se protègent du froid  dans des grottes noircies par le feu,  loin de ce que vivaient d’autres Chiliens au cœur du coup d’État. Même si la réalisation est proche du style documentaire, une grande attention est portée à la réalisation, à la beauté de la photographie – le film a obtenu le prix de la meilleure image au dernier festival de Venise, et à la qualité de l’interprétation. Francisca Gavilán jouait Violeta, Catalina Saavedra était La Nana. Digna Quispe,  nièce des sœurs qu’elle a connues interprète Justa. Nous avons interviewé Sebastián Sepúlveda par Internet. Nous rappelons que le film est en salle depuis le 4 juin dernier.

Comment se fait-il que pour un premier film, vous soyez parti si loin dans les montagnes ?

Les Soeurs Quispe est mon premier film de fiction. Auparavant, j’ ai réalisé un documentaire O Areal  (L’Étendue de Sable), sur une communauté amazonienne qui raconte la manière dont les esprits et les fantômes de la forêt disparaissent avec la construction d’ un pont et l’arrivée de la modernisation. L’exercice de partir dans un milieu différent du mien est, en général, une démarche qui m’intéresse.

Comment connaissiez-vous cette histoire et qu’est ce qui vous a poussé à la raconter ?

L’histoire des Soeurs Quispe fait partie de l’imaginaire et de la culture chilienne. Dès le début, je trouvais cette histoire intéressante, mais c’est vraiment au moment des repérages préliminaires, au moment où j’ ai connu l’endroit où vivaient les trois sœurs à 4000 mètres d’altitude, perdues au milieu de l’Altiplano, que j’ai senti la force de ce récit dans ce décor surnaturel.

Est-ce qu’il est important aujourd’hui de parler de cette époque du début de la dictature ?

L’histoire des Soeurs Quispe se déroule au début de la dictature, et, sans jamais la nommer, apporte un regard périphérique sur cette époque et nous décrit les conséquences dramatiques de cette politique autoritaire, même dans les zones les plus reculées et les plus isolées du pays. Ce film propose une manière différente de traiter la dictature et je pense qu’il est indispensable d’intégrer les populations indigènes dans la mémoire collective. Cette approche participe à la construction d’une démocratie inclusive.

Avez-vous pensé à certains films pour filmer aussi magnifiquement la nature ?

Mes références pour ce tournage ont été « L’Evangile selon Saint Mathieu » de Pier Paolo Pasolini, ainsi que certains films de Ermanno Olmi. Mon défi pour ce film, était que ce décor époustouflant ne prenne pas le dessus sur l’histoire, ni sur le visage des Soeurs Quispe.

Comment avez-vous choisi vos interprètes ?

Au départ, mon idée était de travailler exclusivement avec des actrices non professionnelles. Je cherchais des femmes vivant dans ce milieu afin de rester fidèle au langage et à la culture des bergères locales. Cependant, je me suis assez vite rendu compte que la désertification, dont parle l’histoire, avait eu raison du maintien des familles dans l’Altiplano. Il ne reste que deux familles de bergers sur 26 000 hectares et, à part Digna Quispe, la nièce des Soeurs Quispe, il n’y avait pas de femmes correspondant aux rôles. Il a fallu plusieurs mois et quelques voyages à sa poursuite dans l’Altiplano pour la convaincre, mais cela me semblait impossible de faire le film sans elle, par la force et la fierté authentiques qu’elle dégage. J’ai ensuite opté pour travailler avec deux excellentes comédiennes chiliennes : Catalina Saavedra « La Bonne », et Francisca Gavilan « Violeta », qui ont fait une préparation de symbiose avec Digna Quispe qui leur a enseigné le travail avec les animaux et le mode de vie nomade des bergers.

Alain LIATARD

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