Au Pérou, Destitution d’une présidente, … Au suivant … ?

« Ce motif » de destitution selon le constitutionnaliste péruvien Omar Cairo« n’existe qu’au Pérou, il a un contenu très gazeux », utilisé par les congressistes de façon discrétionnaire[1]. L’intérimaire entré en fonction, jusqu’aux présidentielles de 2026, José Jeri, a hérité du poste en tant que président du parlement. C’est ce que prévoit la Constitution.  Déjà les mauvaises langues et des rumeurs ayant fuité dans la presse signalent qu’il a un curriculum tout aussi chargé, côté moralité, que celui de Dina Boluarte.

Le parlement préparerait-il la destitution de l’intérimaire ? Ou s’agit-il d’un avertissement caché au cas où il ne ferait pas l’affaire, dans tous les sens du mot répertoriés par le dictionnaire ? Le Pérou, en effet vit depuis la fuite du président Alberto Fujimori, en 2000, en instabilité institutionnelle structurelle. Rien ne l’impose, aucune loi, aucun texte fondamental. Pourtant être chef de l’État au Pérou, c’est accepter un risque politique et personnel.

Alberto Fujimori (1938-2024) a passé les années 2007 à 2023 en prison. Alejandro Toledo, élu en 2002, est actuellement dans un centre pénitentiaire. Alan García qui lui a succédé en 2006, s’est suicidé. Ollanta Humala, élu en 2011, a été mis sous les verrous en 2025. Son successeur en 2016, Pablo Kuczynski, a été contraint de démissionner à mi-mandat en 2018. Il vit en résidence surveillée depuis 2019. Manuel Vizcarra qui alors a pris le relai, de façon intérimaire, n’a pas terminé son CDD. Le Congrès l’a en effet destitué en 2020 « pour incapacité morale ». Emprisonné pendant quelques jours, ses droits civiques lui ont été retirés pour une durée de dix ans. Pedro Castillo, élu en 2021, est interné depuis décembre 2022. Dina Boluarte, vice-présidente, exerce la magistrature suprême depuis le 8 décembre 2022. Un commentateur attentif aux choses péruviennes, avait alors signalé noir sur blanc, un doute matérialisé trois ans plus tard : « Le Pérou a une nouvelle présidente : pour combien de temps ? »[2].

Hormis quelques intermèdes, très courts, la quasi-totalité des chefs d’État péruviens depuis vingt-cinq ans a donc soit été soit destituée, soit emprisonnée voire pour l’un d’entre eux poussée à se donner la mort. Les partisans des uns et des autres contestent ces mises à l’écart. Certaines sont motivées par de graves violations de l’ordre constitutionnel. Alberto Fujimori en 1992 et Pedro Castillo en 2022 ont effectivement décrété la dissolution du parlement sans en avoir les compétences. Alberto Fujimori et Dina Boluarte ont été accusés de graves violations des droits humains. D’autres accusations ont été fondées sur des actes de corruption, des « affaires » auxquelles auraient trempé Alejandro Toledo, Alan Garcia, Ollanta Humala, Pedro Kuczinski, Manuel Vizcarra et Dina Boluarte.

Il n’en reste pas moins que ce jeu de massacre interpelle. Les observateurs, nationaux comme étrangers, ont tenté de résoudre l’énigme, sans apporter de réponse autre qu’un gros point d’interrogation : « La crise politique au Pérou révèle un pays ingouvernable » pouvait-on lire dans le quotidien Le Monde, le 8 décembre 2022. « Le Pérou est en crise » a écrit le professeur de sociologie de l’université San Marcos, Nicolas Lynch, en 2023, « il cherche difficilement son destin »« Le Pérou s’enfonce dans l’instabilité après la destitution express de Dina Boluarte », titrait le journal espagnol El Pais, le 11 octobre 2025.

Il est malgré tout possible de proposer quelques pistes permettant d’ouvrir une réflexion porteuse de réponses possibles. Le Pérou paye aujourd’hui encore la table rase institutionnelle des années Fujimori. De 1990 à 2000 le pays a été pris en pince par un président illibéral et militariste, Alberto Fujimori, et un mouvement terroriste dévastateur, Sentier Lumineux. Les partis de gauche ont alors été suspectés de connivence avec la guérilla et poursuivis. Les formations traditionnelles, jugées trop complaisantes, ont été critiquées et écartées. La vie démocratique a repris en 2001 sur un désert partisan, de façon artificielle et formelle. Les revendications pour plus de liberté et de justice, sociale en particulier, n’ont pas trouvé de relai parlementaire.

Cette lacune a été d’autant plus déstabilisatrice que le pays est historiquement clivé racialement comme socialement entre « élites » de la capitale, Lima, et populations rurales indiennes de la montagne, et afro-péruviennes de la côte pacifique. La maîtrise des moyens de communication, de la richesse et de la formation par « l’élite » lui a permis de fausser les règles du jeu. En position de force, sociale comme institutionnelle, seule elle a été capable d’une élection à l’autre de fabriquer de fausses alternatives. Tout président essayant de « sortir des clous » fixés par l’ordre en vigueur, s’est immédiatement heurté au parlement composé de bric et de broc, sur ces bases. Jesús Casamalón et Juan Francisco Durand, sociologues péruviens, ont argumenté à ce sujet, dans un livre dévoilant « La main invisible dans l’État »[3].

Le Pérou concluent-ils, « est une république entrepreneuriale ». L’État étant empêché, l’économie suit son cours, sur une partition favorable aux intérêts particuliers et internationaux, indifférente aux soubresauts politiques. La Constitution de 1993 a blindé le statu quo économique. Ses articles 62 et 79 interdisent toute modification législative d’un contrat signé et toute décision augmentant la dépense publique. La loi fondamentale garantit par ailleurs l’indépendance de la Banque centrale. 

Toutes choses justifiant les commentaires positifs des investisseurs étrangers. « Le Pérou » est-il écrit dans une note du Trésor public français, par exemple, « conserve des fondamentaux macroéconomiques solides, fruits de la prudence budgétaire et monétaire de ces 3 dernières décennies et d’une économie ouverte aux IDE (investissements directs étrangers) et au commerce international »[4]. Les groupes économiques péruviens passent des accords tantôt avec la Chine, qui vient d’inaugurer à Chancay, au nord de Lima, une imposante infrastructure portuaire, et les grandes corporations minières mondiales, australienne, canadienne, chinoise, étatsunienne. 2024, a signalé la lettre America Economia, la valeur des exportations péruviennes a augmenté de 15,6 %, par rapport à 2023, tirées par les secteurs miniers (or, cuivre) et agricole [5]