Samanta Schweblin : « Depuis que j’ai quitté l’’Argentine mes livres sont plus argentins que jamais » interview à San Sebastián en Espagne

« Borges, Carver, Cheever sont tous des écrivains mineurs alors qu’ils ont été charnières dans l’histoire universelle de la littérature? », c’est généralement sa réponse dans ces occasions, explique-t-elle dans un entretien accordé à l’agence EFE en espaggnol, à l’occasion de sa participation au festival Literaktum de Saint-Sebastien. Schweblin explique que souvent les gens sont surpris quand elle explique qu’une nouvelle peut prendre un an et demi d’écriture là ou un livre de conte peut en prendre cinq. « Intellectuellement cela demande beaucoup plus, même si ça ne signifie pas qu’un livre de conte soit meilleur en soi » , ajoute l’autrice. 

Elle continue de promouvoir El buen mal (son dernier en espagnol publie par les éd. Seix barral). Six récits dans lesquels la mort se montre comme faisant partie d’un quotidien étrange, une normalité qui peut devenir perturbante, sombre ou inquiétante, mais aussi lumineuse. Par exemple deux petites filles parlent du suicide très naturellement « typique des fillettes de cet âge . Quand nous sommes très petits, nous ne comprenons pas toujours les conséquences, les limites les raisons de certaines choses et nous les prenons comme ce qu’elles sont, parfois parce que nous n’avons pas finit de les comprendre et d’autres fois parce que nous les comprenons bien mieux qu’un adulte. Ce double jeu me plait parce qu’il relativise énormément d’idées que nous, les adultes, fabriquons sur ce que nous pensons être normal. » Les enfants et les personnes majeures sont les personnages qui l’intéressent le plus. « Ces deux extrêmes savent beaucoup plus. Ils portent parfois en eux des informations dont ils n’ont pas toujours conscience, mais qui sont bel et bien là. », explique l’autrice de Siete casas vacíaslivre de conte avec lequel elle a gagné plusieurs prix, parmi lesquels le National Book Award pour une oeuvre traduite aux Etats Unis. 

De plus elle est également attirée par l’attention que la littérature porte à la mort. « Qu’est ce qui nous arrive avec la mort dans la littérature, qui occupe la place la plus centrale, celle de la fin des histoires ? » se demande-t-elle. C’est pourquoi le défi d’écrire un conte qui commencerait avec la mort, mais sans tomber dans la fantaisie se plante. Peut-on commencer depuis un lieu de suicide et suivre le personnage dans son quotidien sans sortir du plan réaliste? ». La question a trouvé sa réponse dans le premier récit de El Buen Mal, dans le début impactant de « Bienvenida a la comunidad »

Samanta Schweblin apprécie les rencontres « en tête à tête » avec ses lecteurs. « J’adore quand il y a une opportunité de lire un texte à voix haute et, soudain, tu te rends compte que tout le monde rit au même endroit. C’est comme une partition qui se déroule bien, une sensation que nous vibrons tous de la même émotion ». Les réseaux sociaux sont pour elle quelque chose de « très different », même si elle sait qu’il y a aussi des lecteurs qui font des analyses  « très profondes » de ses textes. « C’est sympa, mais c’est quelque chose de plus abstrait, de plus loin. Personnellement j’ai une relation très distante avec les réseaux sociaux. J’ai une règle : je les regarde seulement les dimanches. »

Bien qu’elle ait fait toute sa carrière « en pensant à la littérature », l’autrice a étudié l’image et le son, et s’est spécialisée dans les scénarios cinématographique. Le cinéma lui a donné la réponse à la question : Comment raconter une histoire qu’elle n’avait pas rencontrée au cours de ses études de lettres ? En 2021, Distancia de rescate, le film de Claudia Llosa basée sur sa nouvelle homonyme saluée par la critique, a été nominé pour la Concha de Oro au Festival de Saint Sebastien en Espagne. Elle y a participé comme co-scénariste bien qu’elle ai considéré ce travail comme une exception. « Je suis toujours ouverte, mais moi j’aime la littérature et c’est l’espace où j’irai toujours en première instance ».

Samanta Schweblin vit depuis treize ans à Berlin. Bien qu’elle y pense beaucoup, elle a du mal à répondre si, à distance, on voit son pays autrement, si on l’aime davantage ou si on lui pardonne certaines choses. « Pardonner, avec la situation argentine actuelle, je ne sais pas si c’est un mot que je pourrais utiliser en ce moment. Je ne sais pas ce que je penserais maintenant si j’étais restée. Oui je suis parti et cela a été très brutal, parce que ce n’était pas planifié. Depuis que je suis parti de l’Argentine mes livres sont plus argentins que jamais. C’est incroyable qu’après ces année, quand je mets mes mains sur le clavier, je suis de nouveau transporté dans mon pays »