Ce dimanche 29 juin, la candidate communiste Jeannette Jara a remporté haut la main la primaire de la coalition de gauche au Chili. Avec 60% des suffrages remportés, elle représentera alors la gauche lors des présidentielles le 16 novembre prochain pour tenter de succéder au président sortant Gabriel Boric.
Cette victoire est un tournant historique pour le parti car Jara est la première candidate communiste à être soutenue pour la présidence depuis le retour de la démocratie dans le pays. En effet, le parti avait été proscrit pendant la dictature, de 1973 à 1990. Interdit durant la dictature militaire (1973–1990), le Parti communiste chilien s’était jusqu’alors cantonné à un rôle d’opposition, sans accéder à la direction effective de l’État. Cette victoire est donc un grand triomphe pour le parti. Jeannette Jara a obtenu 60% des voix, s’imposant devant Carolina Toha (27 %), candidate sociale-démocrate, ex-ministre de l’intérieur (2022-2025) et fille de José Toha, ministre de l’intérieur sous Allende. Cependant, ce score élevé est marqué par une faible participation : seuls 1.4 millions d’électeurs sont allés voter, sur 15 millions attendu, soit seulement 9% de la base électorale. Malgré cela, Jara portera bien les couleurs de la gauche, pour succéder à Gabriel Boric. Le président de 39 ans ne pourra pas se représenter et se retirera le 26 mars 2026, la constitution l’empêchant de se représenter pour deux mandats consécutifs.
Jeannette Jara est née en 1974, dans la commune de Conchalí, une zone défavorisée de la ville de Santiago au Chili. Elle est l’aînée d’une fratrie de cinq enfants et la première de sa famille à poursuivre des études. En effet, après avoir fait des études d’administration publique à l’université de Santiago, elle poursuit des études de droit et devient avocate. En parallèle, elle commence à militer dès l’âge de 14 ans, en intégrant les jeunesses communistes. Sa carrière politique débute sous la présidence de Michelle Bachelet, en tant que Secrétaire adjointe à la Prévoyance sociale. Puis, en mars 2022, elle devient ministre du Travail dans le gouvernement de Gabriel Boric, poste qu’elle occupe jusqu’en avril 2025. C’est une mission qui a joué en sa faveur lors des primaires car son mandat comme ministre du travail a été salué de quelques succès : baisse de la semaine de travail à 40 heures, augmentation du salaire minimum ou encore réforme des retraites.
De plus, son origine modeste a renforcé son image de candidate proche du peuple, renforçant son authenticité et sa capacité de conviction. Durant la campagne, elle a su se montrer charismatique, populaire et capable de rassembler. Certains l’ont même comparée à l’ancienne présidente Michelle Bachelet. Il faut aussi noter que Jeannette Jara a su se démarquer grâce à une campagne à contre-courant de son parti. Elle n’a pas hésité à afficher ses divergences et différences d’opinion avec le président du Parti communiste, Lautaro Carmona. Par exemple, elle a admis que des prisonniers politiques étaient détenus à Cuba, ce que Carmona a publiquement nié. De plus, tandis que le Parti communiste se montre en faveur d’un nouveau référendum pour changer la constitution, malgré deux rejets, Jara affirme que n’est pas la priorité des chiliens. Sa réussite à se montrer autonome de son parti a largement contribué à sa victoire.
Une victoire qui reste compromise
Malgré sa victoire écrasante aux primaires, Jara doit faire face à de nombreux défis, en lien notamment avec les fractures qui caractérisent la gauche, où de nombreux candidats ne semblent pas enthousiastes face à sa candidature ni à l’idée d’un Chili gouverné par le communisme. La sociale-démocrate Carolina Toha a par exemple déclaré que “là où [le Parti communiste] a gouverné dans le monde, les pays se sont retrouvés dans une impasse sociale et la pauvreté s’est répandue”. De nombreux spécialistes, tel que Mireya Davila, professeure en science politique à l’Université du Chili mettent en avant leur scepticisme en affirmant que «Tohá était une meilleure candidate pour affronter la droite». La tension est donc palpable au sein de la coalition de gauche, où les partisans ont des idées convergentes concernant l’État et l’économie.
Jeannette devra également faire des efforts afin de mobiliser une base électorale plus large, car, comme le montrent les chiffres de participation aux primaires, elle semble fragile. Par ailleurs, les débats politiques au Chili évoluent : on parle de plus en plus de thèmes comme l’insécurité ou la crise économique, des sujets souvent mis en avant par les partis de droite ou d’extrême droite. Ainsi, la victoire de Jara rassure la droite car cela facilite leur probabilité de conquérir l’électorat de centre et centre-gauche,encore réticents face à sa candidature. Parmi ses principaux adversaires figurent désormais deux candidats de droite : Evelyn Matthei, représentante de la droite traditionnelle, et José Antonio Kast, figure de la droite radicale. Par ailleurs, d’après une enquête de Plaza Pública Cadem, José Antonio Kast a 24 % des intentions de votes contre 16 % pour Jara.
Malgré cela, le président Gabriel Boric l’a félicitée sur X et l’a accueillie chez lui, en ajoutant que ce ne serait pas une campagne facile pour Jeannette Jara puisqu’il faut que la gauche travaille sur son unité avant le 16 novembre 2025, date des élections présidentielles. Si aucun des candidats n’obtient plus de 50% des votes,un second tour aura lieu le 14 décembre.
Dounia BOUDJORF FELLAH
Maryana BOUGRAS