José « Pépé » Mujica à annoncé en début d’année 2025 avoir contracté un cancer de l’œsophage. Âgé de 89 ans, il a indiqué qu’il ne prendra pas de traitement, estimant que son heure était venue.
Photo : EFE
José Alberto Mujica Cordano, surnommé « Pépé » Mujica, est un homme politique uruguayen né en 1935 de parents d’origine basque et italienne. Sa famille, des modestes fermiers, s’est très tôt réduite à lui et sa mère quand son père mourut, alors qu’il n’avait que 6 ans. Après avoir reçu un enseignement primaire et secondaire dans son quartier d’origine, Il entame des études de droits, qu’il ne termine pas. Plutôt, de ses 13 à 17 ans, il se passionne pour le cyclisme, qu’il pratique dans plusieurs clubs.
Il ne commence vraiment à s’engager en politique durant la décennie 1960, lorsqu’il se rapproche d’activistes anarchistes. Avec le temps, il devint l’un des dirigeants de la guérilla Tupamaros, qui furent actifs entre 1967 et 1972. Leur but premier était d’organiser une défense contre les milices d’extrême droite, mais aussi de soutenir les syndicats représentant les travailleurs agricoles.
Sous la dictature militaire de Juan María Bordaberry (1973-1985), le jeune José Mujica se fit arrêter aux côtés d’autres opposants politiques. Lors de sa détention, il subit la torture (en étant notamment enfermé deux ans au fond d’un puits), la privation, tout ceci mêlait à des menaces d’exécution par ses gardiens, si la guérilla tentait de le sauver. Malgré tout, lui et ses camarades prisonniers otages tinrent bon. On raconte qu’ils frappaient contre les parois de leur cellules pour communiquer.
À sa libération en 1985, à la fin de la dictature, il démarra sa carrière politique en cofondant le Mouvement de participation populaire (MPP), qu’il dirigeait, tout en restant membre du Mouvement de libération nationale – Tupamaros (MLN-T). Ces deux groupes devinrent rapidement majoritaires dans le Frente Amplio, le partie représentant traditionnellement la gauche uruguayenne. En 1994, il devint député, puis sénateur l’année suivante. À la fin de la décennie, il fut ensuite élu président du congrès uruguayen, puis devint ministre de l’agriculture de 2005 à 2008. Il remporta enfin la présidence en 2010, à 75 ans, face à Luis Alberto Lacalle du Partido Nacional. De la geôle à la présidence, José Mujica est cependant resté fidèle à lui-même. Il refusa par exemple d’habiter dans le palais présidentiel, préférant la ferme qu’il a toujours connue. Lors de la grande vague de froid au début de son mandat, il inscrit même ce logement de fonction sur la liste des établissements ouverts aux sans-abris.
Sans surprise, sous son mandat la part des dépenses sociales dans les dépenses publiques augmenta. Selon le sociologue Denis Merklen, professeur à l’université Sorbonne Nouvelle spécialisé dans l’étude des classes populaires, lorsque José Mujica rendit le pouvoir à son successeur en 2015, l’Uruguay était à nouveau « champion de l’Amérique latine en matière sociale. En décembre 2013, le chômage représentait 6,3% de la population active. L’emploi non déclaré concernait seulement 16% des salariés. La pauvreté passa de 40% en 2005 à 11,5% de la population, en étant inférieure à 3% dans les zones rurales. L’indigence touchait alors 0,5% des personnes. Sur la totalité de ces indicateurs, l’Uruguay était alors le pays le mieux placé d’Amérique latine [1]. » Le salaire minimum connu lui aussi une net amélioration avec un rehaussement de 250 %.
De plus, selon la Confédération Syndicale Internationale, l’Uruguay pendant cette période était alors devenu un pays exemplaire en matière de respect « des droits fondamentaux du travail, en particulier la liberté syndicale, le droit à la négociation collective et le droit de grève » [2.]. Il s’engage aussi, à la fin de son mandat, à lutter contre l’évasion fiscale en limitant le secret bancaire.
Sous son influence, l’Uruguay légalise par la suite l’avortement, le mariage homosexuel, de même que l’usage du cannabis et sa production sous contrôle de l’Etat en 2014. Suite à cette dernière mesure, qui fit polémique, le magazine Time se demanda si ce n’était pas un exemple à suivre pour le reste du monde [3].
Au-delà de sa politique progressiste, José Mujica est surtout connu pour sa simplicité et sa générosité. Marié depuis 2005 avec Lucía Topolansky, membre historique du MPP, puis vice-présidente de l’Uruguay, ils ont habité dans sa petite ferme dans la banlieue de Montevideo. L’ex-guérillero y cultivait des fleurs avec son épouse à des fins commerciales, tout en faisant don d’une grande partie de son salaire à un programme de logement social, conservant pour lui l’équivalent du salaire moyen en Uruguay (environ 900 € par mois). La ferme qu’il habite étant à sa femme, il n’a comme seul bien materiel une voiture Coccinelle estimée à une vingtaine de milliers d’euros. Après son mandat, il a su rester présent sur la scène politique en étant régulièrement consulté sur les sujets de société. Au travers de ses interviews, il critiquait surtout la société de consommation et le système capitaliste.
Il a toutefois annoncé le 9 janvier, être atteint d’un cancer de l’œsophage et qu’il ne souhaitait pas prendre de traitements en vu du déplacement rapide de la tumeur.
« Le cancer de l’œsophage est en train de coloniser mon foie. Je ne peux l’arrêter. Pourquoi ? Parce que je suis un vieil homme et que j’ai deux maladies chroniques. Aucun traitement ni aucune chirurgie ne me conviennent car mon corps ne peut les supporter » a-t-il déclaré à l’hebdomadaire Búsqueda.
Il laisse derrière lui une image de sobriété et générosité, reconnue au-delà des frontières de l’Amérique latine. Dans une interview avec le New York Times du 23 août 2023, [4] il expose ses réflexions philosophiques au sujet de la liberté : « Tu es libre lorsque tu échappes à la loi de la nécessité, lorsque tu occupes le temps de ta vie à faire ce que tu veux. Si tes nécessités se multiplient, tu passes ta vie à couvrir ces besoins ». C’est donc une étoile de l’Amérique latine qui va s’éteindre. Pour rappeler au monde qui il a été, on peut aussi retenir ce passage, lorsqu’il répond avec humour à la question de Jack Nicas « Comment aimeriez vous être reconnu ? », ce à quoi il répondit « Mais, comme celui que je suis : un vieux fou. »
Lucas Lemoine
[1.] Denis Merklen, « José Mujica. Un homme politique au pouvoir », Cahiers des Amériques latines n° 77, 2014, p. 27-48 (ISSN 1141-7161).[2.] « Au pays des conquêtes syndicales », Le Monde diplomatique, 1er octobre 2015.[3.] « What Legalizing Pot In Uruguay Means For the World » de Ethan Nadelmann le 2 aout 2013 / TIME.com.[4.] « How to Be Truly Free: Lessons From a Philosopher President » de Jack Nicas le 23 août 2023 / nytimes.com.