« Ce n’est pas l’avortement qui tue, c’est l’abandon et la persécution », dit la réalisatrice du film brésilien « Levante » primé à Cannes

Lillah Halla débute sa carrière avec la réalisation du long-métrage Levante et se rappelle sa période d’études du cinéma à Cuba : « Un lieu où le cinéma est vu comme collectif et politique ». Apparu comme l’une des étoiles de cette semaine dans les cinémas brésiliens, Levante, est l’un des films nationaux les plus primés internationalement ces dernières années. Le film est sortie en France le 6 décembre dernier et nous l’avons présenté dans le news de la même semaine.

Photo : Allociné

Premier long-métrage de la réalisatrice Lillah Halla, la production sort en salles au Brésil après avoir reçu des prix importants comme La Semaine de la Critique du Festival de Cannes (Prix de la Critique International – fédération Internationale de la Presse Cinématographique), du Festival de Rotterdam (Prix de la Jeunesse) et du Festival International Palm Springs (Prix du meilleur film Ibéro-Américain). Et ce, sans parler des prix reçus à « domicile » : les trophées Redentor de la meilleure réalisation, du meilleur montage au Festival de Rio et la victoire dans les catégories meilleur long-métrage et meilleure actrice au Festival Mix Brasil. 

Le film accompagne Sofía (Ayomi Domenica), une jeune de 17 ans qui habite avec son père proche de la frontière avec l’Uruguay. Un jour, elle découvre qu’elle est enceinte, la veille d’un match important pour son équipe de volley. Candidate pour une bourse qui lui permettrait d’envisager son futur dans le sport hors du pays, elle tente d’interrompre sa grossesse clandestinement et se retrouve la cible d’un groupe conservateur. Alors que la violence  à l’encontre des jeunes femmes monte autour d’elle, elle cherche le soutien de ses co-équipières, de son entraineuse (Grace Passô) et de son père (Rômulo Braga). 

« En 2015, je suis allée à la frontière brésilo-uruguayenne avec la scénariste María Elena Morán pour un autre projet. Et nous nous sommes confrontées à cette situation totalement unique. Avec le Mercosur, cette frontière est libre de circulation, c’est plus un lieu de rencontres que de séparations, avec une exception : ‘ l’avortement ‘ » raconte la réalisatrice, se remémorant la légalisation de l’avortement dans le pays voisin, en 2012, sous le gouvernement de José Mujica. « Ce fut très inquiétant pour nous de nous apercevoir que, avec la légalisation, le taux de mortalité, qui était similaire au brésilien, fut presque réduit à zéro. Et on a vu que la dépénalisation était seulement une partie d’un ensemble de justice reproductive.» 

Engagée dans la lutte pour la légalisation de l’IVG, la cinéaste de 42 ans, se rappelle que l’avortement clandestin est la quatrième cause majeure de mortalité maternelle au Brésil.  « Ce n’est pas l’avortement qui tue, mais l’abandon et la persécution » dit la réalisatrice, qui a initié son projet en 2015 et a vu le contexte politique du pays particulièrement influencer le scénario ces huit dernières années. « Le Brésil se transforme beaucoup ces dernières années, donc, de diverses façons, ce film aussi a évolué. »

Originaire de Vargem Grande do Sul, à São Paulo, près de la délimitation avec le Minas Gerais, Lillah a commencé sa relation avec le cinéma en travaillant comme projectionniste. Cette activité lui a ouvert les portes de compagnies de théâtre, dans lesquelles elle assistait la projection d’images, en faisant une sorte de « cinéma étendu aux pièces de théâtre ». Opérant au Brésil et en Allemagne, elle finit par travailler avec des metteurs en scène de renom comme Zé Celso, Felipe Hirsch, Frank Castorf et Christoph Schlingensief.

En 2010, elle décide de chercher de nouveaux horizons et d’investir pour de bon dans le cinéma. Elle intègre alors l’École Internationale de Cinéma et de Télévision de Cuba. « J’avais déjà 29 ans, je travaillais depuis longtemps sur ce « cinéma étendu » et j’ai senti qu’il était nécessaire de systématiser ces connaissances. Je pensais ne faire que ça là-bas, mais ça a été un tournant dans ma vie », raconte la réalisatrice. « J’ai passé quatre années là-bas et j’y ai compris que je ne savais rien. Ce fut un lieu de rencontre pour des gens du monde entier, pour qui le cinéma était vu de manière collective et politique. »

De retour au Brésil, Lillah fonde en 2014, à São Paulo, le collectif Vermelha avec des réalisatrices et scénaristes, pour étudier l’espace que les femmes occupent dans le milieu de l’audiovisuel. « Levante est le fruit de cette formation politique, queer et féministe, qui sait que c’est en formant ces réseaux que nous nous élevons », dit-elle. « C’est un film qui traite d’une pulsion de vie contre une politique de mort ». La vision du cinéma comme art collectif est défendue bec et ongles par la réalisatrice, qui fut consultée pour le scénario de Regra 34, drame de Júlia Murat, victorieuse du Festival de Locarno en 2022. Pour travailler à ses côtés, Lillah convoque d’innombrables professionnels qu’elle rencontre à l’École de Cuba, comme la co-scénariste María Elena Morán, la directrice de photographie Wilssa Esser et la monteuse Eva Randolph

Pour le moment, la réalisatrice se dédie à deux nouveaux longs-métrages, un en Allemagne et l’autre au Brésil. En parallèle, elle commémore l’arrivée de son œuvre au pays, après tant d’itinérance à l’étranger : « Les prix internationaux sont une reconnaissance d’un cinéma d’auteur qui est super, mais ce n’est rien comparé au fait de montrer le film au public, surtout ici, au Brésil ».