Le Brésil a reçu les ministres des Affaires étrangères du G20, les 21 et 22 février 2024. La réunion s’est achevée sans communiqué final. Fin de partie étonnante pour ce genre de rendez-vous. En dépit de désaccords on assure tout de même, dans ce type de réunions, le « minimum syndical ». On acte le fait d’avoir échangé en dépit de points de vue particuliers, on prend date pour la suite.
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Les hasards de l’agenda diplomatique offraient pourtant au Brésil un jeu inattendu en 2023 et 2024. Entré en fonction le 1er janvier 2023, son président, Luiz Inácio Lula da Silva, a, au nom de son pays, exercé la présidence du Mercosur le deuxième semestre de l’année dernière. Le Brésil, membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, a présidé ce directoire en octobre 2023. Et du 1er décembre 2023 au 1er décembre 2024, il est en charge du G20, forum stratégique, puisqu’il regroupe les membres du G7 et ceux des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Le Brésil va ensuite accueillir les 18 et 19 novembre 2024 à Rio de Janeiro le sommet du G20.
Ces confluences ont ouvert une fenêtre d’opportunités à un président qui, au cours de ses premiers mandats, a mobilisé ses diplomates pour faire monter le Brésil en première division internationale. Les choix qui alors avaient été faits, les initiatives prises, valorisaient l’arme du dialogue, la fabrication de compromis à têtes régionales multiples. Le Brésil avait réussi à consolider ses relations, avec les cinq permanents du Conseil de sécurité, comme avec ceux du Groupe des 77. Il avait participé à la création de coopérations latino-américaines, avec l’Unasur et la CELAC, des ententes horizontales entre latino-américains, africains et arabes. Il avait acquis une image de médiateur. Il avait échoué, de peu, dans sa tentative conjointement avec la Turquie, de trouver en 2011 une issue au contentieux nucléaire iranien. Mais il avait convaincu la quasi totalité des sud-américains de reconnaître l’État palestinien, afin de débloquer le dossier proche-oriental.
Cette ligne a été confortée dès le 1er janvier 2023. En Amérique du sud, le Brésil a défendu l’urgence d’une désidéologisation des relations entre ses différentes composantes. Il a félicité les présidents élus qu’ils soient de droite ou de gauche. Il a refusé d’ostraciser la présidente intérimaire du Pérou, comme l’ont fait ses homologues colombien et mexicain. Il a réintroduit le Venezuela dans le concert régional. Cette ligne de conduite a été justifiée auprès de tous ses voisins, invités à Brasilia, le 30 mai 2023. Il a de la sorte, fort du « Consensus de Brasilia », pu désamorcer les dérives militaires potentielles du conflit territorial opposant le Venezuela au Guyana. Parallèlement, il avait dissuadé l’Uruguay de dériver hors du Mercosur et avait relancé la coopération suspendue depuis plusieurs années entre pays amazoniens, en organisant à Belem, le 9 août 2023, une réunion de l’Organisation du Traité de Coopération Amazonien (OTCA).
Au-delà de cela, le Brésil, en dépit de son refus de participer à la politique « occidentale » de sanctions à l’égard de la Russie, avait réussi à construire une coopération sociale innovante avec les États-Unis et en direction des Européens à rétablir, en particulier avec l’Allemagne et l’Espagne, des relations abîmées sous le mandat de son prédécesseur Jair Bolsonaro. Réaffirmant la nécessité d’un accord commercial entre Mercosur et Europe communautaire, il a tout autant défendu celle de consolider les rapports avec la Chine et les BRICS. L’ex-première brésilienne Dilma Rousseff a ainsi en juin 2023, assumé la présidence de la banque des BRICS. Les fronts transversaux, en particulier celui de l’environnement, et en oxymore, celui des énergies fossiles, ont fait l’objet d’initiatives ayant fait mouche. Le Brésil va organiser en 2O25 la COP30. Le Brésil va entrer parallèlement à l’OPEP. Il a enfin décidé d’associer l’UNESCO à sa présidence du G20, ce qui n’avait jamais été fait. Ces avancées ont été saluées. Elles ont valu à Lula une invitation particulière de la part des pays africains. Ils lui ont proposé de s’adresser en Éthiopie au concert de l’Union africaine le 18 février 2024.
Cette offre tribunicienne faite à un orateur né, était peut-être un exercice à haut risque. La médiation de 2011, sur l’Iran, bien que présentée en pleine crise du nucléaire, avait été longuement préparée avec la Turquie. La crise de Gaza, en arrière-fond de la prestation de Lula à la tribune de l’Union africaine, avait fait l’objet de plusieurs commentaires et communiqués brésiliens condamnant le gouvernement israélien. Ces communiqués et déclarations avaient jusqu’au 18 février évité tout dérapage verbal, conformément à la ligne diplomatique privilégiée par Lula et Dilma Rousseff combinant défense des principes sur la recherche de sorties de crise. Ce qui suppose la préservation d’un espace de dialogue. La comparaison faite par le chef d’Etat brésilien entre le génocide planifié par Hitler de la population juive d’Europe et les bavures commises sur la population civile sciemment assumées par le gouvernement de Netanyahou dans le territoire palestinien de Gaza, relève d’une émotion compréhensible. Mais exprimée publiquement, elle a de fait délégitimé toute initiative médiatrice du Brésil sur ce dossier. S’agit-il d’un lapsus de cœur ayant forcé la raison diplomatique ? Ou faut-il voir là, l’annonce d’un nouveau modus operandi d’Itamaraty, le ministère brésilien des Affaires étrangères ?
Le propos, en tous les cas, a polarisé l’opinion brésilienne. Les opposants l’instrumentalisent contre Lula et le Parti des travailleurs (PT). Dimanche 25 février, les partisans de Jair Bolsonaro, mauvais perdant de la présidentielle de 2022, en passe d’être condamné pour tentative de coup d’État, ont défilé sur l’avenue Pauliste, à Saint-Paul, avec des drapeaux israéliens. Côté gauche, les partisans de Lula, les plus déçus par ses premiers mois, ont applaudi le propos présidentiel. Les militants du PT, échaudés par les aléas des marchandages imposés par l’absence de majorité parlementaire, ont eux aussi fait bloc derrière leur chef historique. Était-ce là le but recherché ? En tous les cas depuis le 18 février les responsables gouvernementaux comme ceux du PT ont multiplié les déclarations, témoignant ainsi d’une volonté de retrouver la ligne diplomatique initiale, s’efforçant de démontrer que les propos tenus par Lula ne constituaient en aucune manière une mise à niveau d’Israël avec l’Allemagne nazie. Le G20, déjà divisé entre pro et anti, n’a manifestement pas été encouragé, le 22 février, par cet écart verbal à suivre les appels brésiliens en faveur d’un compromis, humanitaire et politique au Proche –Orient, comme en Ukraine, voire à réformer l’ONU, et à ouvrir la voie à l’accession du Brésil, au statut de membre permanent du Conseil de sécurité. Peut-être y aura-t-il un rattrapage ? Voire des communiqués à l’issue des dizaines de réunions programmées jusqu’au sommet du 19 novembre ?
Jean-Jacques KOURLIANDSKY