Cartes postales depuis le Venezuela 2024, première partie…

Le Venezuela est un pays qui intéresse peu la presse française aujourd’hui. Le panorama politique du pays a changé depuis le temps où le commandant Hugo Chávez, quatre fois élu président de la République de 1999 à 2013, suscitait l’enthousiasme des nationalistes-révolutionnaires à l’échelle internationale. Porté par un tribun hors pair, le « socialisme du XXIe siècle » séduisait au-delà des gauches latino-américaines. Nicolás Maduro  succédait à Hugo Chávez en 2013, à l’ombre de son mentor terrassé par un cancer avant l’âge de 60 ans. Jusqu’en France, d’aucuns prétendaient que « Ce qu’il est ne meurt jamais. » En 2024, l’héritage est englouti par une crise économique et sociale aiguë et  interminable.  Dans les rues de Caracas, de Maracaibo ou de Valencia, on a peine à donner sens à ce que l’on voit et à ce que l’on entend. Les préjugés se défont, les paradoxes se multiplient et donnent à voir un pays décomposé.

Photo : Aeropuerto de Caracas

Les documents à fournir aux douaniers sont soucieux de détails. Il s’agit de lister chaque article contenu dans la valise et d’en fixer la valeur marchande. Tâche impossible. Quelle est la valeur d’un pantalon ou d’une chemise achetés et portés durant dix ans ? En quelle monnaie en fixer le prix corrigé de l’inflation à deux ou trois chiffres ? Bolivar ou dollar ? Les agents de la douane ne soumettent pas le voyageur à un examen minutieux : le document-inventaire est rendu sans le moindre procès. Il n’en va pas toujours de même lors de contrôles routiers. L’absence de factures et de documents originaux du véhicule peuvent valoir une amende dont le montant est fixé arbitrairement. Il faut bien que les policiers (dont certains paient leur tenue de travail) remboursent leurs frais professionnels et survivent. Les salaires sont bas, les prix élevés. Dans la vie quotidienne, chacun connaît le  jeu :  il est sans règle. En tous lieux, des dangers réels ou imaginaires vous sont signalés. S’arrêter à un feu rouge, c’est s’exposer à un assaut. Héler un taxi dans la rue peut être suicidaire. Laisser sa voiture sans surveillance, c’est risquer le vol.  Les coûts de la sécurité et de la bureaucratie sont faramineux, les coûts psychologiques de la méfiance et de la peur incalculables. Des parents nous disent la difficulté d’éduquer leurs enfants dans un maquis de valeurs chamboulées : la police ne protège pas, le respect de la loi peut être  périlleux, la corruption mineure ou majeure permet de se sortir de situations inextricables… Dans le chaos, subsistent des îlots de relations de type féodal où le pouvoir détenu par l’argent, la force et la violence prévalent. Un réseau d’influences occultes, d’allégeances, de menaces, de dévouement et de soumission prend le pas sur les règles, les droits et les devoirs. Dans une telle situation, chacun vit sous la menace d’une mise en examen pour corruption, arme de diffamation, de dissuasion ou de destruction.

En montant vers Caracas, l’air se fait plus léger ; la lumière éblouissante et la végétation luxuriante s’imposent à la vue. Au fil des années, sur les collines surplombant les routes vers Caracas, la colonisation humaine se poursuit par des constructions sauvages, certaines en briques, d’autres plus précaires, toutes difficiles d’accès par des chemins  poussiéreux ou boueux lorsque s’abattent les pluies tropicales. La crise économique et sociale qui s’éternise a donné lieu à des fermetures d’usines et d’haciendas. Des milliers de ruraux et de provinciaux ont afflué vers la capitale. Contrairement à ce que l’on pourrait croire au vu des huit millions de Vénézuéliens ayant émigré, Caracas n’est pas vide et n’est pas livrée aux chiens errants. La baisse de la production pétrolière, le vieillissement des infrastructures et le chômage ont entraîné un exode massif des maracuchos vers Caracas. D’aucuns avancent le chiffre de 300 000 exilés pour la seule ville de Maracaibo, certains ont pris la route de l’étranger, d’autres ont afflué vers la capitale…