Amérique latine et Caraïbes à Bruxelles : un Sommet pour rien ?

À l’issue du Sommet qui a réuni à Bruxelles soixante pays de l’Union Européenne et d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC), les participants « se sont félicités » que ce Sommet ait eu lieu après huit ans d’interruption. L’autosatisfaction diplomatique est une formule courante mais aucun élément saillant n’apparaît dans le long communiqué final publié le 18 juillet. L’irénisme qui a prévalu ici cache mal des divergences qui s’expriment ailleurs, sur des scènes internationales, dans les médias et dans les actes.

Photo : Presse la CEE

Les grands défis, énergétiques, alimentaires et économiques, auxquels le monde est confronté actuellement, sont engendrés par la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine. Cette guerre impérialiste, porteuse de malheurs et de désordres, laissait espérer que les pays latino-américains rejoindraient l’Europe sur une position « sans équivoque ». La Chine et la Russie ont intérêt à voir l’Europe peiner à fracturer ce « Sud global » auquel les pays latino-américains sont rattachés.

Les Européens souhaitaient, à minima, une condamnation forte de la Russie. Finalement, les pays latino-américains ont obtenu une rédaction neutre, acceptable par les Cubains et les Vénézuéliens pro-Moscou, pour préserver l’unité de façade latino-américaine. Le Nicaragua est demeuré radicalement aligné sur le Kremlin. Quant à Gabriel Boric, le président chilien, il a vu sa position saluée par son homologue français lors de leur rencontre à Paris le 21 juillet. Face aux souffrances du peuple ukrainien et aux violations incontestables du droit international, « l’attachement à la paix » réaffirmé à Bruxelles, ressemble à une formule de politesse mécanique.

Le communiqué final du Sommet UE/CELAC retient finalement une formulation très générale (point 15 du communiqué) sans mise en cause de l’agresseur : « Nous réaffirmons notre attachement à la charte des Nations-Unies et au droit international, y compris la nécessité de respecter la souveraineté, l’indépendance politique et l’intégrité territoriale de toutes les nations. Il est essentiel de veiller au respect du droit international et du système multilatéral qui garantit la paix et la stabilité. » L’initiative de paix brésilienne n’est pas mentionnée dans le communiqué mais elle avait été, de fait, enterrée à Hiroshima au Sommet du G20 où le président ukrainien et le président brésilien étaient présents…sans se rencontrer. 

L’Accord commercial entre Union européenne – Mercosur est un autre dossier sensible, vingt après que sa négociation a été entreprise. À Puerto Iguaçu (Argentine), où le Sommet semestriel du Mercosur se tenait le 5 juillet, les dirigeants latino-américains disaient leur impatience. Le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay souhaitent que le pacte commercial soit enfin conclu avant la fin de l’année 2023 mais pas dans les termes que les Européens souhaitent. La discussion s’est en effet compliquée avec l’apparition de questions environnementales mises en avant par les Européens. La violente et rapide destruction de la forêt amazonienne et sa colonisation agricole sous la présidence de Jair Bolsonaro avait bloqué la mise en œuvre de l’Accord de libre-échange pourtant conclu en 2019.

L’Europe veut modifier l’accord pour imposer des sanctions en cas de non -respect des engagements environnementaux de la part des pays du Mercosur. Les dirigeants du Mercosur les refusent par la voix de Lula. Ils demandent que le partenariat se fasse sous le signe de « la confiance » selon les termes du président brésilien qui a dénoncé « l’arrogance » européenne. Pour preuve de son engagement environnemental, le Brésil organisera une conférence des pays amazoniens au mois d’août 2023. C’est la première fois qu’il y aurait un sommet des pays amazoniens. « La France sera d’ailleurs invitée parce que vous avez la Guyane et qu’il faut une politique coordonnée. Le Brésil a aussi obtenu l’organisation de la COP 30 (2024) qui se tiendra dans la capitale de l’Amazonie, Belém, et dans laquelle nous mettons beaucoup d’espoir. » indique Celso Amorim, Conseiller spécial de Lula (Libération, 24 juin).

La question de l’Accord commercial avec le Mercosur occupait les esprits de tous les participants à Bruxelles. Le communiqué final du Sommet UE/CELAC cache mal les dissensions maintenues et la formule dit brièvement en termes diplomatiques les blocages, sans pointer de calendrier : « Nous prenons note des travaux en cours entre l’UE et le Mercosur. » Deux “dossiers”, deux questions et deux interrogations qui en recèlent beaucoup d’autres et qui laissent une impression de blocage. Les processus visant à restaurer la place de l’Amérique latine et des Caraïbes dans l’ordre international et dans les enjeux climatiques et environnementaux n’ont pas avancé significativement à Bruxelles. Le dialogue UE/CELAC, enfin renoué, portait des promesses et a débouché sur des vœux.

Maurice NAHORY