Mexico-Washington : une relance du dialogue autour autour de la surveillance frontalière et d’un important plan d’investissement 

Après un stérile sommet des Amériques à Los Angeles, la récente rencontre entre le président Joe Biden et son homologue mexicain, Andrés Manuel López Obrador (AMLO), ouvre de nouvelles perspectives de coopération pour le développement. Dans le bureau ovale de la Maison Blanche, les deux dirigeants se sont mis d’accord pour adopter un plan d’action principalement contre les menaces liées à la migration galopante qui transite sur l’Amérique centrale en direction des États-Unis.

Photo : Palacio de Gobierno

À l’issue de cette deuxième rencontre à Washington, le 12 juillet dernier, le président mexicain est devenu l’« ami » et « partenaire » de Joe Biden. C’est ainsi que le premier dignitaire étasunien a qualifié celui qui ces derniers temps avait osé le contrarier plus d’une fois. D’abord, Andrés Manuel López Obrador avait sévèrement critiqué l’aide milliardaire destinée à l’Ukraine en armement yankee, sans que l’administration Biden s’inquiète pour autant des besoins urgents en tous genres qui jugulent les économies sud-américaines. Plus tard, début juin, malgré l’invitation de son homologue hôte du sommet des Amériques, Andrés Manuel López Obrador s’est interdit de se rendre à Los Angeles. Une décision par ailleurs très remarquée en réponse à l’annonce d’un Biden réfractaire à la participation de Cuba, du Venezuela et du Nicaragua à cause du manquement aux principes démocratiques de ces régimes.

Aujourd’hui, la réalité socio-économique et le phénomène migratoire obligent López Obrador à desserrer ses mâchoires pour arrondir les angles de ses déclarations tonitruantes. On peut toujours faire taire les grincements de dents grâce à ce qui peut être considéré comme l’huile dans les engrenages des relations diplomatiques : quarante milliards de dollars. C’est le chiffre évoqué par les investisseurs étasuniens dans le cadre de cette réunion de travail désormais incontournable pour les deux pays. Cette considérable somme d’argent peut expliquer le changement de ton dans la coutumière dialectique éristique employée par AMLO à l’égard des États-Unis. Qui ne pleure pas ne tête pas, l’adage reflète bien sa stratégie depuis septembre dernier lorsque le traditionnel « Cri de l’indépendance » lancé par le président (le jour de la fête nationale) s’est transformé en un premier cri d’alarme.

Car l’afflux de migrants circulant sur le territoire mexicain évolue de façon exponentielle. L’exode centre-américain est en effet un phénomène humanitaire majeur depuis le premier semestre de 2019 : plus de 300 000 migrants, notamment originaires d’Amérique centrale, sont des candidats potentiels à l’immigration clandestine aux États-Unis. Rappelons que dans une lettre adressée au locataire de la Maison Blanche, AMLO avait carrément demandé une aide concrète pour apporter une solution urgente au flux migratoire qui ne cesse d’augmenter dans la même proportion que s’effondrent les conditions de vie dans les pays producteurs d’émigrés. Dans cette lettre qu’il a lue à la presse, le 20 septembre 2021,  López Obrador parle d’un phénomène qui « nécessite un traitement totalement nouveau » avec des investissements concrets dans tous les pays de la région. Deux jours plus tard, AMLO n’a pas hésité à faire appel à l’expression latine res non verba pour exprimer sa colère doublée d’impuissance face à une situation inédite dans l’histoire centre-américaine: « Assez parlé, il faut agir » s’est-il exclamé lors de sa conférence quotidienne à la presse matinale, alors que depuis plusieurs semaines des dizaines de milliers de migrants se trouvaient cantonnés dans les villes de Ciudad Acuña (frontière nord avec le Texas) et de Tapachula (au sud avec le Guatemala)(1).

Dans un monde où la vitesse et la profusion d’informations ne permettent pas toujours de suivre l’enchaînement des événements au fil des mois, ce rappel des faits s’impose. Car « cultiver le sens de l’actualité sans oublier le rôle de la mémoire »(2) devient primordial pour comprendre les enjeux des relations diplomatiques. En ce sens, si les discours émaillés de promesses des dirigeants politiques tombent souvent dans l’oubli, l’accord signé il y a deux semaines à Washington est certainement le corollaire de ce cri d’alarme lancé l’année dernière par le président mexicain. Voilà la fonction constructive de la diplomatie entre les deux pays voisins réconciliés après le calamiteux mandat de l’imprévisible Donald Trump. En matière d’immigration, outre les opérations contre l’infiltration clandestine le long de la frontière commune, les mesures proposées par l’administration Biden concernent la poursuite de la modernisation des infrastructures frontalières. 

« Un bureau de douane et une nouvelle station militaire sont en cours de construction avec un investissement de plus de 1,5 milliard de dollars à Nuevo Laredo », a déclaré AMLO à la suite de la réunion. Le président mexicain a souligné, lors de la conférence du 14 juillet, que cet investissement « bénéficiera à l’expansion du commerce et à la rationalisation des chaînes d’approvisionnement. » Pour tenter d’endiguer le flux migratoire, actuellement le Mexique expérimente deux ambitieux programmes d’insertion sociale. « Semer la vie et la jeunesse, construire l’avenir » suscitent également l’intérêt d’autres pays d’Amérique centrale. L’objectif, selon AMLO, est de « donner du travail aux habitants de leurs villes d’origine grâce à un financement mexicain ». 

Un point particulièrement sensible évoqué par AMLO lors de la réunion à Washington est l’augmentation de la part des États-Unis du nombre de visas de travail temporaire pour le Mexique et l’Amérique centrale. C’est un sujet d’une incidence directe sur l’économie mexicaine, comme l’a souligné le président lui-même une semaine après de son voyage : « aucune activité commerciale – pas même l’industrie automobile – ne représente autant d’argent que les fonds envoyés par les Mexicains résidents aux États-Unis ». 

D’après un rapport de la Banque mondiale, l’Amérique latine et les Caraïbes se situent en troisième position dans le monde (derrière l’Asie de l’Est-Pacifique et l’Asie du Sud) des régions bénéficiaires de transferts financiers effectués par des migrants à leurs proches restés au pays (60 milliards de dollars). Ces devises, qui entretiennent le tissu des entreprises familiales et des petits métiers, constituent la dernière soupape de contention contre l’explosion sociale. Par exemple au Mexique, l’argent envoyé par les émigrés à leurs proches bénéficie à 10 millions de familles en situation d’« extrême pauvreté ». Ce chiffre représente 8 % de la population, par conséquent, selon AMLO, soutenir et reconnaître le travail de ces compatriotes exilés est l’un des objectifs principaux de son gouvernement.

Pour ce qui relève du plan Marshall pour le Mexique, l’investissement de la part des entrepreneurs étasuniens concerne plusieurs domaines. Ce sont « les investissement directs étrangers les plus élevé de l’histoire du Mexique », a déclaré Roberto Velasco, chef d’unité pour l’Amérique du Nord du ministère des Affaires étrangères (SRE). Les quarante milliards de dollars seront destinés principalement au secteur de l’énergie, comme l’extraction pétrolière en haute mer, l’ouverture d’un terminal de gaz naturel à Salina Cruz (Oaxaca), et le développement de plusieurs usines dont celle de Topolobampo (Sinaloa). Trois des accords signés concernent le secteur des services, la production manufacturière et l’industrie de l’automobile.

Eduardo UGOLINI

___________________

1. Voire sur ce sujet « Mexique, à la recherche des migrants disparus », 

    documentaire de Alex Gohari et Leo Mattei (2018).

2. Valérie Lion, rédactrice en chef du magazine Le Pèlerin (n° 7280, 9 juin     

    2022).