Amérique latine en septembre 2025 :  entre alignement et résistance à Donald Trump

Droits de douane en hausse, critiques à l’égard de pays jugés dépendant d’intérêts chinois, expulsion tous azimuts de latino-américains résidant aux États-Unis, exigence de transfert de narco-trafiquants incarcérés au Mexique, ingérences judiciaires et politiques au Brésil, visant à lever la condamnation de l’ex-président Jair Bolsonaro pour tentative de coup d’État,  sanctions prises à l’égard de la Bolivie et de la Colombie accusées de laxisme antidrogue, bombardement de bateaux au large du Venezuela, suspectés de se livrer au narcotrafic, mise à prix de la tête du président vénézuélien, tel est l’agenda imposé ces dernières semaines par Washington à ses voisins du Sud.

Le choc de ces décisions prises sans avertissement a pris de court les Latinoaméricains renvoyés dans une arrière-cour qu’ils pensaient oubliée. La diversité de leurs réactions en témoigne. Leurs réponses, ficelées à la hâte, ont élargi les brèches d’un collectif qui a toujours eu du mal à concrétiser ses rhétoriques unitaires. Des lignes de faille ont émergé, sur les écarts idéologiques des dirigeants. Ils ont, à chaud, pressé par l’urgence trumpienne, adopté des orientations centrifuges et parfois conflictuelles, conformes à leurs penchants partisans.

Le Mexique, pays le plus exposé en raison de sa proximité géographique avec les États-Unis, a fait le dos rond. Pressé par le chantage économique et commercial mis en chantier dès janvier par le président étatsunien, le Mexique a répondu positivement aux injonctions de Washington. Claudia Sheinbaum, cheffe d’État mexicaine, a accepté d’extrader ses nationaux demandés par la justice des États-Unis. Elle a parallèlement réussi à amortir les exigences douanières de son voisin en jouant sur les intérêts des firmes nord-américaines en situation d’interdépendance transfrontalière. Ce qui lui a valu un bon point public de la part du Secrétaire d’État, Marco Rubio.

Les dirigeants d’Argentine, Équateur, Paraguay, Salvador, ont accueilli avec satisfaction la victoire de Donald Trump. Des liens idéologiques via diverses plateformes coopératives d’extrême-droite leur avaient donné l’occasion de croiser, et pour certains de rencontrer Donald Trump et les différents groupes le soutenant au sein du parti républicain. Trois d’entre eux, Javier Milei, (Argentine), Daniel Noboa (Équateur) et Santiago Peña, (Paraguay), étaient à Washington le jour de sa prise de fonction en janvier. Les initiatives agressives de Donald Trump (imposition de tarifs douaniers non négociables, expulsion de nationaux, remontrances sur le combat contre le narcotrafic) ont concerné leurs pays au même titre que les autres. Mais ils ont accepté la nouvelle donne dans l’espoir d’un traitement privilégié sur ces questions et peut-être des compensations sur d’autres sujets. Ils ont même souvent été au-delà de ce que leur demandait « l’Oncle Trump ».

 L’Argentine soutient à 100 % la politique pro-israélienne de Trump. Elle a annoncé le 19 septembre la Co-organisation en 2026 avec les États-Unis d’une conférence promotionnant pour l’Amérique latine la technologie « US » de microréacteurs nucléaires, le programme FIRST (Foundational Infrastructure for Responsible Use of Small Modular Reactor Technology). L’Équateur organise le 30 novembre prochain un référendum autorisant l’installation sur son sol d’une base militaire des États-Unis. Le Salvador a proposé sa prison ultrasécurisée pour interner les sans-papiers vénézuéliens expulsés des États-Unis.

Cette attitude conciliante, soumise aux injonctions de Washington, a été récompensée. L’Argentine a obtenu en septembre un coup de pouce financier permettant à son président d’affronter les législatives du 26 octobre sans dévaluation du peso. L’Équateur s’est vu gratifier le 4 septembre par Marco Rubio, en visite à Quito, en raison de sa collaboration avec les États-Unis, d’un traitement amical sur le dossier du narcotrafic. Les pays coopératifs, comme l’Équateur, dans la lutte menée par les États-Unis contre les délinquants en stupéfiants ne seront pas traités comme ceux qui refusent de collaborer. Le Salvador a reçu une compensation financière pour chaque Vénézuélien incarcéré dans son centre de concentration, le CECOT (Centre de confinement du Terrorisme).

Brésil, Colombie, Venezuela ont décidé de résister. Brésil et Colombie ont envisagé de répondre aux sanctions commerciales de Washington par des mesures faisant miroirs à celles qui leur ont été imposées. Les retombées hasardeuses de ces éventuelles contre-initiatives ont jusqu’ici retenu toute adoption. Membre du groupe BRIC, et gros partenaire commercial de la Chine, le Brésil explore une autre voie. Il travaille sur des alternatives économiques de long terme. Elles ont été publiquement revendiquées par le conseiller diplomatique du président Lula, Celso Amorim, le 11 août dernier dans un entretien accordé à la chaîne TV Cultura : réorienter vers d’autres horizons les échanges et les grands projets du Brésil.

Des conversations tous azimuts ont été engagées avec la Commission européenne, l’Inde, et de façon bilatérale avec plusieurs pays du « vieux continent ». Le Brésil a provoqué une réunion virtuelle des BRIC le 8 septembre 2025. Le groupe doit pour Brasilia mieux instrumentaliser son poids, ses 40 % du PIB mondial, ses 26 % du commerce international, ses 42 % de la production agricole. Pour le reste le Président Lula a rappelé à la tribune des Nations unies que sa justice, ses affaires intérieures, relevaient de sa seule souveraineté.

La Colombie, faute de pouvoir envisager de réponses commerciales adéquates, a déplacé le contentieux sur le terrain diplomatique. Bogotá a provoqué le 5 septembre une réunion extraordinaire de la CELAC, (Communauté des États Latino-américains et de la Caraïbe), afin d’afficher l’existence d’un front souverainiste hostile aux gesticulations militaires de Washington dans la Caraïbe. Une majorité en ce sens a certes réaffirmé sa préoccupation face à « la présence militaire extrarégionale ». Mais un noyau de réticents, plus important que prévu a tout autant été mis en évidence[1].

Le Venezuela a de son côté ratifié le 18 septembre 2025 un accord de coopération stratégique avec la Russie. Tout en se déclarant ouvert à la poursuite du dialogue pétrolier engagé avec Washington au premier semestre ayant permis la reprise des activités de la major nord-américaine Chevron. Caracas pourra sans doute compter sur l’appui du pétrolier espagnol Repsol qui a signé un important achat de gaz naturel nord-américain, pouvant lui permettre de négocier la reprise de ses activités au Venezuela suspendues en mars sur décision de Donald Trump.

Ces voix souveraines reposent sur un pari assumé, que seul sans doute le Brésil est en condition de jouer. Seul en effet il dispose d’une surface économique et commerciale susceptible de tempérer les menaces de Donald Trump. Encore lui faudra-t-il, mais ce défi concerne aussi le Venezuela et tout pays prétendant défendre sa souveraineté, mesurer les effets de politiques déstabilisatrices nord-américaines, utilisant les technologies de la communication, et les relais idéologiques internes proches du « trumpisme ». Les « nationalistes » qui hier dénonçaient au Brésil, en Colombie, au Venezuela, le « communisme » prochinois ou pro-russe de leurs gouvernants en brandissant des drapeaux nationaux, défilent aujourd’hui, en nombre, avec des bannières étoilées nord-américaines. Bolsonaristes, Uribistes, une partie de l’opposition à Nicolás Maduro, comprennent, voire pour certains souhaitent, une intervention directe de Washington dans la vie intérieure du Brésil, de la Colombie et du Venezuela.