Javier Milei, président de la République argentine, était samedi 5 juillet dernier en déplacement spirituel dans le Chaco, province tout au nord de son pays. Accompagné du gouverneur local, radical, parti connu pour son fond historique laïcard, ils ont de concert inauguré l’un des plus grands temples pentecôtistes d’Amérique du sud, « Le Portail du Ciel ».
De l’autre côté de la frontière, celle du Brésil, juin 2025 a été un mois ayant consacré l’union de l’évangélisme aux avatars multiples du bolsonarisme, sous la bannière de Jésus. Les voix du Ciel, et l’appel des urnes, ont miraculeusement convergé, à quelques mois d’élections importantes, législatives d’octobre en Argentine, présidentielles et parlementaires d’ici un peu plus d’un an au Brésil. Leandro Zdero, amphitryon du chef de l’État argentin, dans le Chaco, est de ces radicaux compatibles avec l’esprit de l’école économique de Vienne, rassemblant les adorateurs inconditionnels du marché. Peut-être le gouverneur n’a-t-il pas lu Friedrich von Hayek prophète de cette croyance ultralibérale.
Mais il a bien entendu son porte-voix gaucho inventeur de la « Liberté Avance (LLA) », Javier Milei. Tous deux ont certes des états d’âme préférentiels. On sait l’attraction de Javier Milei pour le judaïsme. On connaît l’addiction confessée par Leandro Zdero, pour « Zorro le justicier ». Leurs affinités cultuelles semblent bien différentes. Mais ils ont en partage l’attente d’un monde, de foi dans les lois du marché. Un pasteur adepte de la théologie de la prospérité, Jorge Ledesma, a permis aux deux homme de communier ensemble leur foi en ces valeurs morales et monétaires.
Jorge Ledesma, armé de ses convictions a réussi un tour de force, construire, dixit la presse de Resistencia, chef-lieu du Chaco, « l’auditorium évangélique le plus grand d’Argentine », voire « l’un des plus grands d’Amérique latine ». Ce méga temple peut en effet selon les mêmes sources accueillir environ 20 000 fidèles. Un vaste parc auto permet le stationnement de leurs véhicules, protégés par une centaine d’arbres plantés par la municipalité. Outre le Président, le pasteur Ledesma, le guide spirituel de cette confession, New Vine, ou Nuevo Vino, d’origine hondurienne, résidant à Miami, Guillermo Maldonado, a été présent et a prêché la bonne parole aux assistants de cet office.
Des fidèles invités à mettre la main au portefeuille, comme cela est d’usage et même fortement recommandé à tout bon évangéliste, pour obtenir l’ouverture des portes du ciel. La palette des tarifs donnant un droit d’écoute allait de 30 000 à 100 000 pesos (soit plus ou moins de 20 à 65 euros). Le pasteur Maldonado non seulement cultive les mêmes appétences pour argent et religion que les deux politiques venus l’écouter, mais il a intégré aux Etats-Unis, dés 2020, le groupe des « Evangelicals for Trump ». Cerise sur le gâteau, Javier Milei a pu s’adresser aux participants d’une convention évangélique internationale, associée à la cérémonie, intitulée, « Congrès mondial de l’invasion de l’Amour de Dieu ». Ce congrès selon le propos tenu avant sa tenue par le pasteur Ledesma, doit permettre de « porter les assistants à un niveau plus profond d’intimité avec Dieu. On espère des miracles ».
Le miracle le plus palpable est l’essor pris par cette église qui en 1994, date de sa fondation par le pasteur Ledesma, comptait à peine douze fidèles. La remarque est tout aussi vraie pour les évangélistes du pays voisin, le Brésil. D’un bout à l’autre du pays, des « marches pour Jésus » ont rassemblé en mai-juin des croyants par centaines de milliers. La publication du dernier recensement brésilien, effectué en 2022, confirme la montée en puissance de l’évangélisme. Il représente en 2022, un quart de la population. Le repli catholique se fait plus lent selon l’IBGE (Institut Brésilien de Géographie et de Statistique) mais la tendance est validée, les chiffres sont là. Les évangélistes qui étaient au nombre 21,6%, en 2010, sont aujourd’hui 26,9 %. Les catholique, au nombre de 65% en 2010, sont actuellement selon le recensement de 2022, 56,7 %.
Le succès populaire des « Marchas para Jesus », ont permis de vérifier les données du recensement. La première de ces cavalcades religieuses festives a été organisée à São Paulo en 1993 par les fondateurs de « l’Église apostolique Renaître dans le Christ », mouvement pentecôtiste représentatif du sionisme chrétien. Le défilé initialement modeste a depuis 2005 pris une dimension massive, religieuse, et musicale autour de groupes Gospel. La presse brésilienne a signalé que la cuvée 2025 de la marche organisée à São Paulo le 19 juin, de 10h à 14h, a rassemblé plus de deux millions de personnes. Après avoir il y a quelques mois déclaré le Gospel musique nationale du Brésil et décrété un jour de célébration nationale des pasteurs et pasteures évangéliques, le président Lula a adressé à l’Église apostolique Renaitre dans le Christ, le 19 juin, « ses cordiales salutations », (..) pour « une célébration qui fait partie du cœur du peuple brésilien et qui d’année en année montre la force transformatrice de la foi chrétienne dans notre pays ».
Mais ceux qui ont défilé et chanté avec la multitude chrétienne évangélique accompagnés de drapeaux israéliens, étaient les adversaires du PT aux prochains rendez-vous électoraux, le gouverneur de São Paulo, ancien ministre de Jair Bolsonaro, Tarcisio de Freitas, et le maire ayant vaincu le candidat de Lula aux municipales de 2024, Ricardo Nunes. D’autres élus de droite et d’extrême-droite ont suivi la Marche, le maire de Sorocaba, Rodrigo Manga, diplômé en marketing, missionnaire de l’Eglise Mondiale du Pouvoir de Dieu, plusieurs députés fédéraux de droite et d’extrême-droite, Tenente-Coronel Zucco, Altair Morales, et « régionaux », Gil Diniz, Eduardo Nobrega, André do Prado.
Les uns et les autres arboraient la chemisette verte estampillée, « Marcha para Jesus 2025 ». Le maire, Ricardo Nunes, s’est félicité « de la pluie de bénédictions » (..) et de la présence de l’Esprit Saint ». Le gouverneur après avoir entonné un hymne à la gloire de Dieu, a annoncé la sanction d’une loi accordant à la Marche pour Jésus le label de patrimoine Culturel Immatériel de l’Etat de São Paulo. Ce label a été étendu au groupe de musique Gospel « Renascer Praise », lié à l’Eglise pentecôtiste, « Renaître dans le Christ ».
L’Argentine et le Brésil, sont-elles en marche pour Jésus ? Ne sont-elles pas, davantage en marche vers un veau d’or dont les pasteurs servants, ont pour les accompagner des noms sonnants et trébuchant, idéologiquement à l’extrême-droite du Seigneur ?
Jean-Jacques KOURLIANDSKY