Alberto Fernández, un nouveau président qui fait du bruit en Argentine

Ce dimanche 27 octobre, le candidat de Frente de Todos Alberto Fernández a obtenu 48,04 % des votes dès le premier tour des élections présidentielles, contre 40,44 % pour le président sortant Mauricio Macri qui a reconnu sa défaite. Il prendra ses fonctions dès le 10 décembre prochain. Celui qui est connu sur les réseaux sociaux pour les aventures de son border collie nommé Dylan -plus de 90 000 personnes le suivent sur instagram !- , ainsi que pour son goût pour le football et la guitare, sera secondé par Cristina Kirchner en tant que vice-présidente. 

Photo : El Universal

Alberto Fernández n’est pas une figure nouvelle dans le panorama politique argentin. Péroniste de centre-gauche, il est connu pour sa discrétion et son caractère presque mystérieux. Il est plutôt effacé de la vie publique et préserve sa vie privée. Le nouveau chef de l’État argentin de 60 ans est à la fois avocat et professeur de droit depuis 30 ans à l’université de Buenos Aires. C’est donc un président expérimenté qui succède à Mauricio Macri

En ce qui concerne sa carrière politique, il ne s’est mesuré aux urnes qu’en 2000 lors des élections législatives de Buenos Aires mais a toutefois été nommé plusieurs fois à des hauts postes de la fonction publique. Il s’est engagé en politique dans les années 1990, majoritairement dans le parti péroniste. En 1985, il fut le sous-directeur général des Affaires Juridiques du Ministère de l’Economie sous le gouvernement du radical Raúl Alfonsín, puis le titulaire de l’organisme régulateur du marché des assurances argentin sous le gouvernement péroniste de Carlos Menem entre 1989 et 1995. Il travailla ensuite en tant que vice-président du groupe d’entreprises de la Banque Nationale de la Province de Buenos Aires entre 1997 et 2000. Finalement, très ami de feu Néstor Kirchner, l’ex-président d’Argentine, il fut son chef de campagne en 2003 et le chef de cabinet des ministres. Cristina Kirchner, présidente en 2007, décide de le maintenir à son poste jusqu’à ce qu’il en démissionne en 2008. 

Sa campagne politique était principalement axée sur la lutte contre la corruption et la crise économique actuelle en Argentine. La fluctuation du dollar et l’inquiétude des investisseurs est un gros problème que le nouveau chef d’État a promis de régler promptement. Il a déclaré : « Je crois aux libertés individuelles et je crois à l’Etat qui doit être présent lorsque le marché l’exige. Je suis un péroniste. Je fais pousser la branche du libéralisme progressiste péroniste ». Celui-ci se définit comme « libéral progressiste » ou « libéral de gauche ». 

La relation entre Alberto Fernández et Cristina Kirchner est un sujet brûlant dans le cadre des récentes élections présidentielles. Tandis que le nouveau président argentin est connu pour son calme et sa discrétion, l’ex-présidente a beaucoup suscité les passions. 

La sénatrice de centre-gauche, en poste depuis 2017, qui a aussi été présidente deux fois entre 2007 et 2015, a été le principal appui politique d’Alberto Fernández durant sa campagne pour les élections présidentielles. C’est elle qui, en mai, proposa son nom pour la présidence alors que tous pensaient qu’elle se présenterait pour un nouveau mandat. Peu de temps après avoir été élu, le nouveau président a déclaré au sujet de l’accusation de sa vice-présidente pour corruption que « la justice ne fonctionnait pas bien », révélant une relation d’appui réciproque entre les deux personnalités politiques. 

Pourtant, ça n’a pas toujours été le cas. Alors qu’il était chef de cabinet durant le premier mandat de Cristina Kirchner, un conflit entre l’Executif et le secteur agricole éclate et mène Alberto Fernández à démissionner. Ses déclarations publiques de l’époque, toutes dirigées contre la présidente, étaient très critiques et révélaient une forte inimitié. Par la suite, il se convertit en un opposant politique majeur et n’ayant de cesse de critiquer la gestion du pays de la présidente. « J’avais conscience que nous avions des visions différentes [la présidente et moi] », avait-il écrit plus tard dans son livre Politiquement incorrect. Raisons et passions de Nestor Kirchner

Ce passé en commun pose la question de l’intérêt de Cristina Kirchner à proposer le nom de son ancien rival pour les élections présidentielles. Certains y voient un désir de manipuler une marionnette, d’autres au contraire une marque de faiblesse face à un président capable de faire preuve d’indépendance. Le politologue Raul Aragon a déclaré à quelques jours du scrutin que « Fernandez a tenu bon face à Cristina Kirchner en 2008 (…) Elle n’a pas pu le contrôler, elle pourra encore moins à présent». 

Quoi qu’il en soit, il est certain que la relation entre les deux personnes et le rôle de chacun sera un des thèmes du mandat du nouveau chef de l’État. 

L’élection d’Alberto Fernández comme président a fait couler beaucoup d’encre. Dès les premiers moments de sa campagne électorale, il a multiplié les déclarations problématiques et a suscité de nombreuses réactions. 

Tout d’abord, il a affirmé au sujet du gouvernement vénézuélien de Nicolás Maduro qu’il ne s’agissait pas d’une dictature mais d’un « gouvernement autoritaire ». De plus, il a remis en question la validité des enquêtes de la justice contre sa vice-présidente, actuellement concernée par un procès pour corruption, puis dénonce l’emprisonnement qu’il juge « injuste » de l’ex-président brésilien Lula

Mais c’est la personnalité du nouveau président qui a été au centre des débats. Le député Daniel Filmus, aussi ministre de l’Education durant le mandat de Nestor Kirchner, a décrit Alberto Fernández comme quelqu’un avec qui on peut « discuter, échanger sur de nombreux sujets » et qui « en différentes circonstances a prouvé qu’il pouvait travailler en osmose avec des acteurs aux profils variés, aux idées très différentes pour donner lieu à des politiques à moyen et long termes ». Au contraire, ses détracteurs le qualifient de caméléon, aussi bien associé aux ultra-libéraux qu’aux populistes de gauche. Le politologue Ignacio Labaqui déclare : « C’est un péroniste pragmatique qui a été aussi bien avec Nestor et Cristina Kirchner qu’avec Carlos Menem [président néo-libéral, NDLR] ». En plus des fluctuations évoquées plus tôt, Alberto Fernández a même milité à l’extrême droite au moment du retour de la démocratie en 1983. « Les péronistes ne sont ni bons ni mauvais, ils sont incorrigibles », a déclaré l’écrivain Jorge Luis Borges. Les controverses ne cessent ainsi d’entourer un président encore mystérieux. 

A l’aube d’un nouveau gouvernement en Argentine, de nombreuses questions restent encore sans réponses. Comment le nouveau président fera-t-il face à la lourde crise économique qui touche son pays ? Quelle position adoptera-t-il vis-à-vis des pays voisins et de leurs politiques ? Sera-t-il un président fort et indépendant ou, au contraire, un énième président fantoche comme l’Amérique latine en a tant connu ? 

La promesse plutôt mystérieuse du président laisse planer le doute sur l’avenir de l’Argentine : « Nous allons modeler l’Argentine que nous méritons (…) Le Gouvernement est revenu entre les mains du peuple » a-t-il déclaré. 

Inès JACQUES