Carthagène des Indes, Colombie, le cinéma à l’heure de la paix ?

Carthagène vient de terminer dans les flons-flons annonciateurs du carnaval et de l’élection de la reine de beauté de Colombie, son festival de cinéma : le 57e FICCI, festival international de cinéma de Carthagène. Le premier chronologiquement des grands festivals de cinéma latino-américains, Carthagène le 28 septembre 2016 avait été le lieu choisi par le président Juan Manuel Santos et les dirigeants des Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie) pour fumer le calumet de la paix.

Photo : Conboca – Datuopinion

Le Grand prix du FICCI ne porte-t-il pas de façon « macondienne » (1) le nom prédestiné d’une autochtone, la India Catalina ? Pourtant rien de nouveau sous le soleil des tropiques. Les films en compétition ont fait salle comble. Tout comme les lieux de projection nocturne en plein air. Au final, 110 000 spectateurs, dans 18 salles de cinéma ont vu 167 films et 336 projections au total. Le cinéma français a été à l’honneur. Année France-Colombie oblige, quatre français venus d’Amiens, Bordeaux et Marseille siégeaient dans les différents jurys chargés d’attribuer les prix. Vincent Cassel, avec La haine, a fait un tabac au théâtre Adolfo Mejia. Denis Lavant a reçu un hommage spécial. Eric Rohmer a été honoré d’une rétrospective, avec quatre longs métrages et plusieurs courts.

Toutes sortes de prix ont été décernés. Documentaires, fictions, séries télévisées, films colombiens, courts métrages, jeunes réalisateurs. Le tout avec force tapis rouges, robes longues, photos de groupe. Dans un Centre de conférences dit Julio César Turbay Ayala, et dans un palace, l’hôtel Las Americas, comme il se doit. Carthagène sait faire. C’est ici que chaque année en effet est élue « Mademoiselle Colombie », couronnée, bien sûr, et immortalisée, sur la place Simon Bolivar, par une photo gravée sous le portique des Señoritas Colombie. Prochain rendez-vous de cet évènement social majeur, le 20 mars 2017.

Cette année n’était pourtant pas tout à fait comme les autres. Le cinéma pouvait-il ignorer le processus de paix engagé avec un succès relatif depuis 2012 ? Carthagène a pratiquement été à l’abri de la guerre interne. Comme la plupart des villes du pays. Les secteurs privilégiés de la société, les urbains, sont loin des zones de conflit et des problèmes dramatiques vécus par leurs concitoyens des périphéries. Le festival aurait pu faire l’impasse de la paix. Comme le 2 octobre 2016, les 60 % d’électeurs qui ne se sont pas déplacés pour voter, en faveur ou contre le processus de paix, mis en scène à Carthagène quelques jours plus tôt sur le parvis du centre de Conventions. Comme les 50,5 % de ceux qui ont mis un bulletin « Non » dans l’urne.

Ville paillette, cité hors du temps et hors sol, Carthagène aurait pu faire le choix de l’illusionnisme, de la science-fiction, de l’esthétisme. Couvrant le tout de salsa et danzones endiablés, arrosés de whisky écossais. N’a-t-elle pas été le décor choisi par divers maîtres en réalisme magique cinématographique : Gillo Pontecorvo (pour Quemada), Franco Rossi (Deux missionnaires), Klaus Kinski (Cobra verde) ? Erreur, les rythmes caribéens ont bien été au rendez-vous. Mais les organisateurs ont fait le pari du courage et de l’engagement en faveur de la réconciliation. Avec, il est vrai, la complicité active des autorités. Le Président Juan Manuel Santos est venu dans sa « capitale d’été », pour ouvrir tout à la fois le festival de cinéma, et le congrès de l’Internationale socialiste. Il a saisi ce double évènement pour rappeler ses concitoyens à la convivialité et à la paix.

D’un côté comme de l’autre un écho s’est fait entendre. Celui de l’exemplarité colombienne, revendiquée par les délégués socialistes de pays du Sahel africain et du Proche-Orient. Celui d’une programmation festivalière mettant en valeur les risques de la guerre et les retombées de la paix. Les librairies locales ont joué le jeu. Patria, parabole du conflit basque espagnol écrite par Fernando Aramburu était en bonne place et en nombre dans les rayons.

Une section bien nommée, « Guerre et paix », a été inventée pour la circonstance par les programmateurs du festival. Huit longs métrages et quatre courts ont invité les spectateurs à se plonger dans différents conflits et processus de réconciliation aux quatre coins du monde. Afrique du sud, Guatemala, Irlande du nord, Kossovo, Pays Basque espagnol, Pérou, Syrie ont ainsi décliné leurs images de sang, de larmes et d’espoirs. La Colombie bien sûr n’avait pas été oubliée. Avec plusieurs titres. Nueve disparos (Neuf coups de feu), témoignage documentaire d’un soldat lambda. Parabola del retorno, essai cinématographique sur l’exil et la difficulté d’un retour. Guerra y paz, video très court parodie du conflit jouée par deux perroquets apprivoisés. Et enfin Resistencia en paz, journal d’un survivant, miraculé d’un massacre absurde et aveugle commis par les Farc dans le village de Bojayá.

Hors de ce cycle d’autres films colombiens ont dramatisé les tragiques évènements d’un passé proche. Ruben Mendoza s’est attaché au quotidien d’une paysanne, qui transexuelle, a vécu une double marginalisation sociale, celle de son entourage immédiat, et celle égocentrique des citadins opposés aux accords de paix, pour défendre les valeurs de la famille traditionnelle colombienne, disent-ils. Ruben Mendoza, pour La Señorita Maria, la falda de la montaña (Mademoiselle Maria, jupe des montagnes) a obtenu le prix attribué à la meilleure direction.

Bien qu’oublié par le jury, El silencio de los fusiles, documentaire ayant de façon exceptionnelle ouvert le FICCI, a causé l’impact le plus fort. Dans le public, comme pour Juan Manuel Santos qui a assisté à la projection. Natalia Orozco, la réalisatrice, a écouté, scruté, filmé deux des protagonistes des accords de paix, le négociateur officiel, Humberto de la Calle et celui des Farc, Pastor Alape. Simplement comme elle a déclaré aux journalistes, « pour comprendre, sans porter de jugement ».

« Bienvenue au premier festival de Carthagène, célébré dans la paix », a déclaré le chef de l’État. Le vœu relève-t-il de la méthode Coué ? A quelques mois des élections présidentielles, la paix ne fait pas recette. Du moins en Colombie. Le président est au plus bas dans les sondages. Son dauphin présumé, le vice-président Germán Vargas Lleras, a décidé de faire l’impasse sur le processus en cours. L’ex-président, sécuritaire et droitier en diable, Álvaro Uribe décline sur tous les tons, avec un certain écho, son delenda obsessionnel aux accords de paix. Les petits candidats de gauche sont ou mal à l’aise face à un acquis gagné par un politique de centre droit, soit même critiques. Les électeurs, c’est-à-dire la petite moitié des inscrits qui seuls se déplacent les jours de scrutin minimisent la portée d’une paix, qui pour être consolidée supposerait des augmentations d’impôts dont ils ne veulent pas entendre parler.

La paix serait-elle le reflet éphémère de scénaristes visionnaires et utopistes ? Le 1er mars 2017, en tous les cas, les Farc ont, le jour d’ouverture du FICCI, déposé sans images, mais « pour de vrai », leurs premières armes dans les conteneurs spéciaux mis à disposition par les Nations unies. Sans pour autant oublier la part de magie, nécessaire et incontournable en Colombie. Les fusils et autres pistolets seront fondus et transformés en sculptures. Installées, l’une devant le siège des Nations unies, l’autre à Cuba, lieu des négociations, et la dernière en Colombie.

Jean-Jacques KOURLIANDSKY

(1)  Macondo, village imaginaire inventé par Gabriel Garcia Márquez, Prix Nobel de littérature, originaire de la côte caribéenne de Colombie. G. Garcia Marquez a vécu et travaillé plusieurs années à Carthagène.