Le sel de la terre chez les Salgado

Depuis quarante ans, le photographe Sebastião Salgado parcourt les continents sur les traces d’une humanité en pleine mutation. Alors qu’il a témoigné des événements majeurs qui ont marqué notre histoire récente : conflits internationaux, famine, exode…, il se lance à présent à la découverte de territoires vierges aux paysages grandioses, à la rencontre d’une faune et d’une flore sauvages dans un gigantesque projet photographique, hommage à la beauté de la planète. Sa vie et son travail nous sont révélés par les regards croisés de son fils, Juliano, qui l’a accompagné dans ses derniers périples et de Wim Wenders, lui-même photographe. 

« Je connais le travail de Sebastião Salgado depuis presque un quart de siècle, déclare Wim Wenders dans le dossier de presse. J’ai acheté deux de ses tirages, il y a bien longtemps, deux photos qui m’avaient réellement parlé, et ému. Je les avais fait encadrer, et depuis, elles sont accrochées au dessus de mon bureau. (…). Je n’ai jamais cessé depuis d’être un admirateur inconditionnel de son travail. Je n’ai rencontré l’homme qu’il y a cinq ou six ans.

Nous nous sommes rencontrés dans son atelier parisien. Il m’a montré son travail en cours, et j’ai pu ainsi jeter un premier regard sur Genesis. Cela m’est aussitôt apparu comme un nouveau projet formidable et, à l’image de ses précédents engagements, un projet à très long terme ! J’ai tout de suite été fasciné par son implication et sa détermination. Puis nous nous sommes revus, avons découvert notre passion commune pour le football, avons commencé à parler de la photographie en général.

Le choix des photos a été fait en commun. Il était plus ou moins dicté par celui des histoires que Sebastião raconte et que nous avons gardées dans le film. Mais il en avait mille autres… Pendant les interviews initiales, j’étais présent à l’image. Mais plus nous parlions, plus je sentais qu’il fallait que je « disparaisse » et que je laisse le premier plan à Sebastião lui-même et surtout à ses photos. Elles parlent d’elles-mêmes ! J’ai donc imaginé un autre dispositif, une sorte de chambre noire bis, où Sebastião serait assis seul en face d’un écran, regardant ses photos et répondant à mes questions à leur sujet. La caméra était placée derrière l’écran, filmant à travers ses photos, si l’on peut dire, à l’aide d’un miroir à demi transparent. J’ai pensé que c’était la meilleure façon pour un public de l’entendre parler de son travail et en même temps de voir son œuvre. Nous avons ainsi éliminé les interviews traditionnelles, n’en conservant que des fragments. Mais il faut dire que nos séances de « chambre noire » ont demandé beaucoup de préparation !

Sa maîtrise du noir et blanc est évidemment une chose avec laquelle je me sens en phase. Les moments où j’apparais dans Le sel de la terre ont d’ailleurs été principalement réalisés en noir et blanc afin que ses photos s’y intègrent mieux. Le sujet a été aussi au cœur de nos conversations, l’une d’elle y étant entièrement dédiée. Cette dernière a été finalement supprimée : le travail sur le noir et blanc de Salgado s’explique largement par lui-même, c’est ma conviction ! »

Plusieurs films ont déjà été tournés sur Salgado. Mais celui-ci embrasse toute la carrière du photographe en particulier son travail sur les travailleurs (La main de l’homme), sur les paysans et sur les conflits au Rwanda. Le Sel de la Terre a été remarqué par la critique lors de sa présentation au Festival de Cannes (2014). Fixant l’image de la condition humaine à travers vécu quotidien et catastrophes, mais aussi celle des beautés naturelles et animalières de la planète, son regard a évolué d’un engagement politique à un engagement écologique. En effet depuis les années 1990, Salgado et sa femme Lélia s’efforcent de restaurer une partie de la forêt atlantique du Brésil. Ils ont réussi à transformer la propriété familiale, en réserve naturelle et ont fondé l’Instituto Terra, ONG consacrée à la reforestation, à la conservation et à l’éducation. On peut d’ailleurs lire dans Télérama du 8 octobre un reportage sur La Mata Atlântica.

Le film est cosigné avec Juliano Ribeiro Salgado, qui a suivi son père dans ses dernières « expéditions » et les a filmées en couleurs. Ce remarquable film est une bonne introduction à notre festival DOCUMENTAL qui se déroulera à Lyon fin novembre.

Le film documentaire « Hautes Terres »

Un autre film documentaire sur le Nordeste du Brésil sort également le 15 octobre : Hautes terres de Marie-Pierre Brêtas. Dans le Nordeste du Brésil, Vanilda, son mari Antonio et une vingtaine d’autres familles de paysans obtiennent une propriété après avoir passé quatre années à lutter avec le soutien du syndicat des sans-terres. Mais sur ce territoire hanté par la sécheresse, la gestion collective des terres et de leurs maigres ressources s’avère être une aventure plus difficile encore que leur conquête.

Armés de la seule force de leurs bras et de leurs espoirs, vont-ils pouvoir construire dans cette réalité désolée, la société à laquelle ils rêvent ? « Cela faisait plusieurs années déjà raconte la réalisatrice, que je connaissais Vanilda et Antonio lorsqu’ils entreprirent de mener un combat pour obtenir une exploitation agricole. Jusque là ils avaient vécu de patrons en misère, au gré des emplois d’ouvrier agricole d’Antonio. Je suis allée leur rendre visite dans leur petit campement d’occupation perdu dans la montagne et j’ai tout de suite été saisie par la détermination et la force qui couvaient sous la torpeur de l’attente. Ils avaient construit de belles et grandes cabanes, cultivaient un peu de maïs et de haricots, pêchaient des poissons dans les réservoirs environnants. Leurs espoirs ne tendaient maintenant que vers un seul but : obtenir des terres pour y fonder une communauté agricole autogérée.

Portés par leurs capacités forgées par des années de misère et de débrouille, ils avaient abandonné le peu qu’ils avaient pour pouvoir gagner la maîtrise de leurs propres conditions d’existence. Dans cette démarche, d’une modernité politique et individuelle exemplaire, je retrouvais l’audace des pionniers des westerns, ce genre qui m’inspire parce qu’il replace l’homme dans sa solitude face au monde, symbolisé par la nature sauvage. Et ce mouvement prenait vie, non pas juste à travers des mots, mais dans l’intelligence de leurs gestes qui forgeaient la forme même de leur liberté. C’était ce génie là que je voulais filmer. »

Cette introduction au film est importante car Marie-Pierre Brêtas filme seule et colle à son héroïne avec de superbes images. Mais nous voudrions en savoir plus sur l’attribution des terres, et le fonctionnement de la collectivité paysanne.

Alain LIATARD