Après La file indienne et Méjico parus en 2018, les Éditions Christian Bourgois continuent la série noire du romancier mexicain Antonio Ortuño avec Olinka, traduit par Margot Nguyen-Béraud. Olinka creuse encore le thème de la violence à Guadalajara, ville natale d’Antonio Ortuño où croissent la corruption, le blanchiment d’argent et une bulle immobilière gigantesque. Antonio Ortuño est invité à la prochaine édition des Belles Latinas en octobre.
Photo : Christian Bourgois
Olinka est un roman noir : il commence avec Aurelio Blanco, son personnage principal, qui sort de prison. Néanmoins, le sujet est ailleurs : c’est Guadalajara, immense ville-capitale de l’État de Jalisco, qui prend toute la place, autour de l’affaire Olinka. Il s’agit d’un projet immobilier conçu par Carlos Flores, beau-père d’Aurelio Blanco, qui charge ce dernier d’assumer les conséquences d’une fraude fiscale qui va lui coûter quinze ans derrière les barreaux. De l’aveu même de l’auteur, Blanco est la pièce sacrifiée du roman, il se perd dans des « fantasmes » et des « rêveries » de prisonnier sans but précis. Pourtant, il finit par être libéré de façon anticipée juste avant Noël. Commencent alors les retrouvailles avec le monde extérieur, bien que les Flores le poursuivent. Si la femme et la fille d’Aurelio se sont éloignées de lui pendant ses années de prisonnier, il va les retrouver et elles vont l’aider à comprendre l’affaire Olinka et les vraies motivations de Carlos Flores.
Plus qu’une histoire, Olinka est une « microhistoire », toujours selon les mots d’Antonio Ortuño. À ce titre, il convient de se replonger dans la création des ejidos, une organisation collective des terres agricoles mise en place à l’issue de la révolution mexicaine. Cette structure agraire est encore prégnante à l’époque actuelle, mais la prose d’Antonio Ortuño donne cruellement à comprendre que cette organisation des terres est achetée par des investisseurs sans scrupules comme les Flores. L’autre élément culturel à avoir en tête en lisant Olinka, c’est qu’il s’agit d’un projet architectural du Dr Atl (qui veut dire « eau » en nahuatl, la langue du peuple mexica). Là encore, l’utopie d’une ville idéale est rattrapée par la réalité du Mexique contemporain : ce sera finalement un complexe d’habitations gentrifiées qui verra le jour.
Il y a donc une atmosphère sociale violente qui se ressent dans la langue. La plupart des personnages alternent entre un langage policé, en apparence, et des « chingar » et autres « joder » qui expriment au fond la menace de tout perdre, comme Aurelio Blanco. Tout perdre ? Pas totalement, car derrière ces apparences, Aurelio Blanco finit par sortir de ses « fantasmes » en apprenant, avec le lecteur, la vraie histoire dans laquelle il s’est retrouvé impliqué. Une fois quittée « la casita » (« le chalet », comme l’appellent les détenus), Yeyo chemine vers la vérité sur sa propre vie, telle qu’il l’avait laissée lorsqu’il était un homme libre. Il aperçoit ainsi « l’échantillonnage de petites maisons misérables et de quartiers à moitié construits », formule qui en dit long sur la réalité immobilière à Guadalajara.
Finalement, les personnages féminins permettent au protagoniste d’accéder aux éléments manquants de sa propre histoire, à commencer par son avocate, « curieuse » de sa personne, qui l’aide à s’installer. Suivent sa fille et sa femme avec qui il renoue, non sans mal. Mère et fille jouent un rôle actif jusque dans le dénouement d‘un roman plein de surprises et très bien écrit, ou plutôt traduit, en l’occurrence.
Victorien ATTENOT
Olinka de Antonio Ortuño, traduit de l’espagnol (Mexique) par Margot Nguyen-Béraud aux Éditions Christian Bourgois. 295 p., 21,80 €.