Opérations militaires, Vénézuéliens en exil : que se passe-t-il à la frontière colombo-vénézuélienne ?

Depuis le 21 mars, des confrontations armées ont lieu entre l’armée vénézuélienne et plusieurs groupes armés colombiens à la frontière entre la Colombie et le Venezuela. Caracas accuse la Colombie de vouloir déstabiliser son pays, tandis que Bogotá affirme qu’il s’agit de dissidents des FARC. Quinze personnes ont trouvé la mort et plus de 3 000 citoyens vénézuéliens ont fui leur pays pour trouver refuge en Colombie. 

Photo : El Periodico

Les combats dans l’État d’Apure (sud-ouest), région frontalière du Venezuela et de la Colombie, ont commencé le 21 mars entre l’armée vénézuélienne et un groupe armé colombien. Cette opération militaire, dont le but était d’interdire le territoire aux groupes armées colombiens qui s’y étaient installés, s’est soldée par la destruction de six campements. Depuis, une série d’opérations militaires vénézuéliennes ont été menées. Selon le dernier bilan officiel vénézuélien, six soldats vénézuéliens et neuf membres des groupes armés – qualifiés de « terroristes » par les autorités – ont trouvé la mort, une trentaine de personnes ont été arrêtées, et des armes, de la drogue et des explosifs ont été saisis.

Selon des sources sécuritaires en Colombie, le groupe armé est composé de dissidents de l’ancienne guérilla colombienne des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). La plupart des 13 000 membres de cette ex-guérilla marxiste ont déposé les armes, mais certains groupes dissidents ont rejeté l’accord de paix signé en 2016. Selon le renseignement militaire colombien, ils se sont renforcés dans les zones isolées et sont financés par le trafic de drogue et les mines clandestines.

Interrogé à ce sujet, le ministre vénézuélien Vladimir Padrino n’est pas convaincu par cette théorie. Selon lui, ces groupes armés bénéficient de l’aide du gouvernement colombien et de la CIA, que Caracas accuse régulièrement de vouloir déstabiliser le pays. Dans un communiqué, le gouvernement vénézuélien affirme que la Colombie a donné « un consentement plus que tacite aux actions des groupes criminels opérant dans la zone » et a mis en place « un corridor d’activités illégales » avec le soutien des États-Unis. Le communiqué ajoute que « l’abandon des frontières par l’État colombien est un fait avéré », ce qui a permis à des groupes armés de passer. Malgré leur 2 200 km de frontières communes, les relations diplomatiques entre le Venezuela et la Colombie sont très tendues depuis que Bogotá a reconnu l’opposant de Nicolás Maduro, Juan Guaidó, comme président intérimaire du Venezuela en 2019.

Une situation d’urgence humanitaire

De l’autre côté, Bogotá affirme que plus de 3 000 Vénézuéliens se sont réfugiés en Colombie pour échapper aux tirs croisés. C’est une véritable urgence humanitaire que vit aujourd’hui la petite municipalité de Arauquita. Etelivar Torres, mairesse de la ville, a lancé un appel de détresse dans la presse : « Nos capacités de soin et de protection se sont effondrées […]. Nous lançons un appel à l’aide aux organismes nationaux et internationaux pour qu’ils nous fournissent des chapiteaux, des matelas, de la nourriture, des médicaments, des kits de toilettes, pour que nous puissions apporter notre soutien, notre aide et notre accompagnement à ces familles qui souffrent énormément en ce moment ».

Ces derniers jours, les habitants de Arauquita assistent à l’arrivée ininterrompue de réfugiés et à l’intensification du nombre de véhicules militaires et des effectifs de l’armée et de la police. Le ministre de la défense colombien Diego Molano a ordonné le renforcement de la présence militaire dans la zone, en annonçant le déploiement de 1 200 personnes supplémentaires « pour garantir la sécurité et la protection des habitants et pour soutenir l’opération humanitaire qui a lieu à Arauca ». Il affirme également que l’armée a toujours combattu des groupes guérilleros dans la région, comme l’Armée de libération nationale (ELN), les dissidents des FARC ainsi que certains groupes criminels qui se disputent le trafic de drogues et d’armes dans cette zone.

Par ailleurs, le parquet vénézuélien a annoncé avoir ouvert une enquête sur la mort de cinq paysans tués dans la région, tandis que l’ONG vénézuélienne Fundaredes a alerté que plusieurs attaques avaient eu lieu contre la population civile dans l’État d’Apure, à la frontière avec la Colombie. Ces attaques sont attribuées à la Force d’actions spéciales (FAES), une division de la police nationale vénézuélienne, cible de multiples dénonciations d’exécutions extra-judiciaires et d’autres violations des droits de l’homme. Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a demandé au gouvernement vénézuélien la dissolution de ce corps armé.

Les affrontements au Venezuela se poursuivent ; des civils continuent à se réfugier en Colombie à la recherche de protection et d’aide. Ce dimanche, le président vénézuélien a d’ailleurs annoncé à la télévision publique qu’il préparait une demande d’aide immédiate à l’Organisation des Nations Unies pour désamorcer les champs de mines laissées par les groupes armés colombiens lors des combats. Ce drame humanitaire s’ajoute à la grave crise politique, économique et sociale dont souffre le pays depuis plusieurs années, et qui a été accentuée par la pandémie du Covid-19.

Fanny DORNIER