Adoption d’une loi controversée sur la sécurité intérieure au Mexique

Le parlement mexicain vient d’adopter une loi sur la Sécurité Intérieure ce 15 décembre, malgré l’opinion de la société civile mexicaine et des organismes internationaux qui se sont prononcés contre. Cette loi polémique offre un cadre légal à la présence de l’armée dans les rues du pays avec l’autorisation légitime d’utiliser la force dans les tâches de sécurité publique.

Photo : Cuarto Oscuro/El Proceso

Le pouvoir exécutif peut ordonner le déploiement de forces armées de façon unilatérale, sans aucun contrepoids. Pourtant, il a été démontré au cours des dix dernières années que cette stratégie ne permet pas d’améliorer la sécurité publique. Au contraire, cela a généré de graves cas de torture, de féminicides, d’assassinats, de déplacements forcés, de disparitions et de multiples exécutions extrajudiciaires. Il faut comprendre la gravité de cette initiative impulsée par le PRI, il faut comprendre le contenu de cette loi et les conséquences qu’elle pourrait engendrer une fois qu’elle sera mise à exécution.

La présence active de l’armée sur la voie publique, ce n’est pas quelque chose de nouveau au Mexique. Pour illustrer la problématique de cette loi, on peut revenir quelques années en arrière avec l’exemple de l’utilisation des forces armées dans la lutte contre le trafic de drogue. En 2006, le président Felipe Calderón a mobilisé l’armée dans sa guerre contre le trafic de stupéfiants, dans le but d’affronter les cartels au nord du pays. Cette offensive militaire a donc engendré une énorme vague de violence jamais vue dans le pays, avec plus de 196 000 homicides et 30 000 disparitions, selon les chiffres officiels qui ne prennent pas en compte les cas non résolus, reflet de l’impunité existante à tous les niveaux de la société.

Toutes les fois où le gouvernement a eu recours à l’armée, celle-ci n’a pas permis une diminution de la violence. Au contraire, nombreuses violations des droits de l’homme et des actes violents ont été commis par les militaires. L’ initiative est considérée comme une somme de vire-langues remplis de concepts juridiques peu claires et vagues. Et ils n’indiquent aucun cadre régulateur pour le déploiement des forces armées, c’est-à-dire que la loi ne précise pas comment les actions de la police, de l’armée ou de la marine vont être orientées dans leurs tâches quotidiennes. La loi ne régule pas l’intervention de l’armée mais elle lui attribue le droit d’exercer les tâches de la police fédérale. Les forces armées seront assujetties au pouvoir exécutif, c’est-à-dire que le président pourra ordonner l’intervention des forces armées à n’importe quel moment ou dans n’importe quel endroit du pays, lorsque des « menaces à la sécurité intérieure » sont identifiées, et que les capacités des forces fédérales et locales sont considérées insuffisantes pour y faire face.

D’autre part, il n’y aura pas de contrôles pour vérifier le respect des droits humains ; le texte indique que ceux-ci seront « respectés » mais il n’y a aucune précision sur la manière dont ils le seront. Les forces fédérales comme les forces militaires pourront intervenir contre des protestations sociales si celles-ci ne sont pas considérées comme pacifiques. Cela ouvre la voie à l’usage de la force publique, incluant la force létale. C’est aussi une attaque contre la transparence : toute l’information sur les mesures de sécurité sera confidentielle. Et les forces militaires comme fédérales auront accès au développement des activités d’intelligence en matière de sécurité.

L’ imprécision et l’amplitude dans la rédaction de la Loi de Sécurité Intérieure ouvre la porte pour que les Forces Armées, la Marine, la Force Aérienne et toute force de sécurité publique fédérale puissent mener des enquêtes et réaliser des actions de surveillance de la population par « toute méthode de collecte d’informations », sans aucune restriction ou limitation que ce soit. La société civile mexicaine s’est prononcée rapidement face à cette menace gouvernementale via la création de la campagne Seguridad Sin Guerra, un collectif d’organisations sociales qui exigent aux députés et aux sénateurs du pays de voter contre cette initiative qui cherche à « consolider la militarisation du pays ». Les activistes demandent un retrait progressif des forces armées et un renforcement de la police fédérale, par la mise en place des conditions de paix et non de guerre.

Des organismes internationaux, des journalistes, des intellectuels, des artistes, et des millions de voix de la société civile sont fermement opposés à cette loi. Une dizaine d’organisations internationales ont même constitué une coalition pour documenter et suivre l’approbation de cette loi qui, selon un de leurs communiqués, implique un grave recul pour la nation et un risque de connaître des niveaux de violence contre les droits humains sans précédents, en ouvrant la voie à la répression sous prétexte de maintenir l’ordre et la sécurité.

Ce n’est pas une solution, alertent l’ONU, la CIDH et la CNDH. Ces organismes internationaux affirment que l’approbation de cette loi est inquiétante et ne répond pas aux problèmes actuels du pays. « L’ intervention des forces armées en matière de sécurité n’a pas contribué à améliorer la situation du pays. Bien au contraire, elle a aggravé des problèmes déjà existants tels que la disparition de personnes, la torture, les mauvais traitements et les exécutions extrajudiciaires », a communiqué l’ONU.

Cette décision historique montre la profonde crise institutionnelle existante dans le pays. « Tout ce qui est voulu, c’est la permission de tuer », reprochent les citoyens qui ont manifesté dans les rues. Il est de la plus grande importance que l’État mexicain opte pour la mise en place de conditions de paix, et pas de guerre, pour résoudre l’actuelle crise. Le collectif Seguridad Sin Guerra exige du président Peña Nieto d’exercer son droit de veto sur la loi pour qu’elle soit suspendue et mise à discussion dans des espaces de dialogue.

Karla RODRIGUEZ