« Le fils du héros », par la Cubaine Karla Suárez, « à l’écoute de toutes les voix de la société cubaine »

Ernesto, douze ans, apprend la mort de son père, soldat cubain envoyé en Angola. Il devient le fils du héros et perd l’innocence et les joies insouciantes de l’enfance. Devenu adulte, à Lisbonne, il remonte dans le passé et nous raconte son parcours et ses souvenirs jusqu’à l’âge adulte. Karla Suarez est née à Cuba en 1969, elle est ingénieur en informatique et vit actuellement à Lisbonne. Le fils du héros est le quatrième roman publié aux éditions Métailié. elle sera en France du 15 au 21 septembre  et elle sera à nouveau  en novembre au 16e festival Bellas Latinas.

Parallèlement à des étapes de l’histoire cubaine et de la vie quotidienne à La Havane, il nous confie sa quête de la vérité sur la mort de son père dont il ignore les détails et qui l’obsède de plus en plus, le tout mené de main de maître avec un mélange du passé et du présent dans chaque chapitre tout à fait réussi. Le récit commence donc à la mort du père envoyé comme soldat dans un contingent cubain en Angola. Ernesto a douze ans, des amis fidèles, une famille aimante et lumineuse. S’écroule alors pour lui le monde de l’insouciance, on lui interdit les larmes parce qu’un homme ne pleure pas. Il devient officiellement le fils du héros, en privé l’homme de la maison qui doit veiller sur la mère et la petite sœur. Il gagne en maturité mais reste obsédé par l’image de ce père si merveilleux pour lui, à la fois plein de fantaisie et de sérieux, ce père un peu déifié, sublimé, il n’a pas eu le temps de faire son Œdipe, la politique de Cuba et la guerre l’ont fait pour lui. C’est lourd à porter. Et le soulagement par des pleurs ne viendra que des années plus tard bien loin de l’île.

Peu à peu, dans chaque chapitre, Ernesto nous raconte ses souvenirs, dans une progression chronologique de l’enfance à la jeunesse, avec les contraintes, l’idéologie et l’encadrement strict imposé par l’état à l’école, au lycée, à l’université. En toile de fond, il déroule les grandes étapes de la Révolution et les événements internationaux qui ne sont pas sans conséquences pour la vie de l’île. Mais nous sommes aussi plongés dans un passé plus récent, avec ses années de jeune adulte à Berlin, puis à Lisbonne et sa recherche effrénée de la vérité sur la participation cubaine si longue dans la guerre qui a déchiré l’Angola. Nous suivons aussi les complications de sa vie de couple jusqu’à la rupture due à son caractère renfermé, incapable de légèreté. Nous découvrons la rencontre avec un Cubain, Berto, qui lui aussi s’est battu en Angola, qui pourrait devenir un père de substitution et qui se révèle un moteur de l’intrigue.

Dans chaque chapitre, le mixage des trois époques voire quatre (l’époque actuelle, années 2015-2016, dans l’avion qui emmène Ernesto à Luanda, les moments un peu plus lointains à Lisbonne, les années berlinoises, et le passé cubain) ce mixage donc est très réussi, les enchaînements se font naturellement et à aucun moment le lecteur n’est perdu. L’auteur par la voix d’Ernesto à la première personne laisse planer ce qu’il faut de mystère et de doute pour nous tenir en haleine. Les personnages sont tous attachants ; par leur humanité, leurs failles et leur vérité, ils nous permettent sans mélodrame, ni agressivité, ni exagération tragique de traverser cette Révolution cubaine et ses soubresauts jusqu’à notre époque.

Bref, beaucoup d’humanité et d’empathie, une réflexion intéressante sur l’Histoire de Cuba vécue par des citoyens cubains, une analyse psychologique très vraie sur la construction lente et difficile d’un être victime d’un traumatisme violent et d’une absence irréparable, une fabuleuse habileté à mêler les époques sans perdre le fil conducteur : en conclusion, une excellente lecture de rentrée !

Louise LAURENT

Le fils du héros, de  Karla Suárez, traduit de l’espagnol (Cuba) par François Gaudry, éd. Métailié, 272 p. 20 €. Voir site