Procès historique au Chili : la justice s’attaque au trafic d’enfants sous Pinochet

L’enquête ouverte récemment cible notamment Ivonne Gutiérrez Pavez, ex-juge pour mineurs réfugiée en Israël, dont l’extradition est demandée. Bien que ces crimes soient connus depuis des décennies (avec environ 20 000 victimes estimées), ce n’est qu’en 2014 que les premières plaintes ont été déposées. Le gouvernement actuel de Gabriel Boric a lancé un programme pour identifier et réunir les familles séparées.

Si un procès semblable avait été réalisé en Espagne pour les enfants volés sous la dictature franquiste, il marque une première historique au Chili : jamais la justice ne s’était penchée de manière aussi approfondie sur le réseau structuré d’adoptions illégales ayant sévi sous la dictature de Pinochet. Le procès, au-delà de son importance judiciaire, constitue une étape symbolique majeure dans la reconnaissance par l’État chilien d’un système de trafic organisé, avec la complicité d’institutions publiques et religieuses. Il pourrait ainsi faire jurisprudence en Amérique latine, en rejoignant les dynamiques de justice transitionnelle à l’œuvre dans d’autres pays touchés par des pratiques similaires, comme l’Argentine ou le Guatemala.

Ce procès chilien, aussi tardif soit-il, résonne avec d’autres récits de victimes de trafics d’enfants dans toute l’Amérique latine. C’est notamment le cas de Carmen Maria Vega, chanteuse et autrice franco-espagnole. En effet, dans son ouvrage Le Chant du Bouc paru en 2021, elle révèle avoir été arrachée à sa mère biologique guatémaltèque dans les années 1980, puis « vendue » à une famille française via des falsifications administratives. Son livre revient sur sa découverte à l’âge adulte qu’elle a été une enfant « achetée » et non abandonnée, il devient une enquête sur ses origines et sur la compréhension du système mis en place à l’époque. Son livre fait donc écho aux batailles judiciaires des victimes chiliennes aujourd’hui. On peut faire de nombreux parallèles frappants.

Premièrement, des méthodes identiques : comme au Chili, son adoption repose sur un faux certificat de naissance et une tutelle frauduleuse. Ensuite, des intermédiaires payés tels que des avocats ou des médecins ont organisé son transfert vers l’Espagne, tout comme les réseaux chiliens exportaient des enfants vers les États-Unis ou l’Europe. Là aussi on peut noter la complicité des institutions, au Guatemala, comme sous Pinochet, ces trafics impliquaient des juges, des hospices religieux et des cliniques privées. Vega dénonce donc le silence des autorités espagnoles, qui ont fermé les yeux sur des milliers d’adoptions illégales en provenance d’Amérique centrale dans les années 1980-90.

Le procès chilien est un premier pas vers la justice, mais Carmen Maria Vega rappelle que ces trafics d’enfants ont été massifs et organisés dans plusieurs pays (Guatemala, Argentine, Salvador…). Son histoire personnelle, comme celles des victimes de Pinochet, soulève des questions toujours brûlantes : Qui a profité de ces réseaux ? Comment réparer l’irréparable ?

https://www.france24.com/es/am%C3%A9rica-latina/20250603-chile-abre-primer-juicio-por-red-de-robo-y-adopciones-ilegales-durante-la-dictadura-de-pinochet

https://www.europe1.fr/emissions/hondelatte-raconte/carmen-maria-vega-enfant-volee-lintegrale-4193647