Le roman « Paris-Mexico District Fédéral » du Mexicain Roberto Wong sur les pas de Cortázar

Ce premier roman d’un jeune auteur plus que prometteur, d’une construction très originale conduit le lecteur dans un Mexico réel qui se mêle aux rues et monuments de Paris grâce aux fantasmes d’un jeune homme qui peine à vivre dans la banalité, le tout dans des chapitres intercalant trois points de vue, première, deuxième et troisième personne se succédant. Nous plongeons par paliers remarquablement maîtrisés dans le vrai fantastique dérangeant à la Cortázar, auteur que Roberto Wong revendique à plusieurs reprises dans son texte.

Tout d’abord, le roman s’ouvre sur un chapitre à « je » qui explique le subtil procédé mathématique mis en place pour superposer un Paris imaginé mais réel à une partie de Mexico partant de la pharmacie bien nommée Paris où travaille le personnage, pharmacie qui correspond dans la réalité française à Notre Dame. Le roman se fermera aussi sur une très belle mise en scène dans la neige parisienne, toujours en focalisation interne. Le ton est donné, le narrateur nous explique qu’il s’est ensuite laissé porter entre ces deux espaces entrelacés. A nous, lecteurs,  de le suivre et d’entrer dans le labyrinthe. Le récit omniscient à la troisième personne apparaît sous forme de chapitres numérotés qui nous présentent Arturo, jeune homme de 33 ans. Il s’était voulu poète, rêvait de gloire littéraire, mais il a dû après ses études universitaires prendre un modeste emploi alimentaire à la pharmacie Paris. Le temporaire souhaité dure, Arturo s’enlise dans un quotidien routinier et médiocre qui le pousse à boire beaucoup et à s’étourdir.

Un fait divers rompt la monotonie de sa vie et déclenche tout un processus peu à peu de plus en plus délirant : un braqueur à la pharmacie est abattu devant Arturo par la police, le dernier appel téléphonique passé par le personnage s’adresse à une certaine Nadia, dont Arturo récupère le numéro. Il  inondera la boîte vocale de l’inconnue de messages et de confidences. Autour de lui gravitent d’autres femmes. Sa mère avec qui il vit et qui, agaçante de sollicitude le traite encore en enfant, mourra assez vite dans le roman, déclenchant chez Arturo des réactions de chagrin et de folie mêlés, et une scène de pyromanie qui se répétera ailleurs dans l’espace-temps sans qu’on sache quel est le vrai incendie. Il y a aussi sa collègue de travail Gema, une prostituée nommée Noemi, femmes avec lesquelles il entretient des relations complexes et dans les chapitres à « je » une française appelée Nadège, réelle ou non. Il sort beaucoup aussi avec un autre collègue de la pharmacie, Gonzalo qui connaîtra un étrange destin. Se met subtilement en place toute une intrigue montrant la corruption et la violence de la police dont Arturo et Gonzalo feront les frais. Subtilement aussi dans ce récit à la troisième personne Paris entre en scène. Enfin, dernier niveau de narration, des chapitres à « tu », un « tu » tantôt masculin, tantôt féminin, (mais l’identité de cette femme reste à deviner) nous promènent là aussi dans Paris et dans Mexico.

Peu à peu, dans les trois niveaux de narration, rêve et réalité se mêlent étroitement, provoquant chez le lecteur une sensation de vertige assez extraordinaire. La dernière scène à « il » où tout explose dans une confusion totale de lieux, de temps, d’hallucinations, de souvenirs qui défilent coupe véritablement le souffle. Quand on ferme ce livre, on reste à la fois ébloui et perplexe et on se pose une foule de questions fondamentales soulevées par le roman. Par exemple, quelle est la définition de la vie et du bonheur, schéma de normalité monotone offert par la société, ou vie rêvée, refuge dans l’imaginaire et la création qui peut mener à la folie ? Dans l’intrigue, y a-t-il une seule scène, la découverte du cadavre de sa mère qui déclenche chez Arturo tout l’engrenage de péripéties fictives ? Quels sont les personnages dotés d’une véritable existence, ceux totalement inventés dans son délire ? Pas de réponses rationnelles et c’est bien la force du livre. Il reste le délicieux enchantement de ces promenades à la fois parisiennes et mexicaines et ce jeu très maîtrisé et génial, pour un peu qu’on connaisse les deux villes, de passage de l’une à l’autre. Voilà donc une lecture de rentrée qui s’impose, un grand merci à Christophe Lucquin qui nous fait découvrir une fois de plus un petit joyau de littérature.

Louise LAURENT

Paris-Mexico District Fédéral de Roberto Wong, traduit de l’espagnol (Mexique) par Christophe Lucquin, éd. Christophe Lucquin, 288 p., 22 euros.